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LIVRE DEUXIÈME.

DES PROFESSIONS EN GÉNÉRAL, ET DES DIFFÉRENTS

GENRES DE PROFESSIONS.

I.

DES PROFESSIONS EN général.

Avant d'entrer dans l'examen des différents genres de professions sous le rapport de l'économie politique, avant d'approfondir ce qui les concerne en particulier, je crois devoir présenter quelques considérations générales et qu'il importe de ne point oublier.

I. TOUS LES PAYS NE SONT PAS PROPRES AUX MÊMES PROFESSIONS. L'homme d'état se croit obligé d'accorder à toutes les professions une égale protection; il emploie sa science, il met sa gloire à les faire prospérer toutes. Cependant, sans connaître à fond les particularités relatives aux différents métiers, et les difficultés contre lesquelles ils ont à lutter, il est facile de comprendre qu'ils ne peuvent pas arriver tous indifféremment, dans un même pays, à un même degré de prospérité. On ne proposera pas, sans doute, de créer une

y

branche nouvelle d'industrie en Allemagne, en faisant venir le sucre et le café dans des serres; et ce, pour le plus grand avantage des consommateurs. Relativement aux produits manufacturés, il existe pareillement des difficultés de nature à entraver l'industrie. Fabriquera-t-on du vinaigre en Suède? ou fera-t-on venir, de Russie en Allemagne, des œufs d'esturgeon ou d'acipe pour y faire du kaviar?

C'est l'expérience qui nous apprend quels sont les métiers qui peuvent prospérer dans un pays, et les obstacles qui s'opposent au développement de chaque branche d'industrie. Mais pour qui les leçons de l'expérience sont-elles sensibles? Bien moins pour les gouvernements que pour le propriétaire et pour le fabricant, directement intéressés dans une entreprise, et par cela même aptes à en apprécier les avantages et les difficultés.

Cette considération devrait donc suffire pour que tout gouvernement, auquel on demande d'accorder une protection particulière à un genre d'industrie, examinât mûrement et avec une sorte de défiance si la faveur sollicitée aura assez de puissance pour vaincre les obstacles qu'opposent la nature et les relations existantes. Par la suite nous rechercherons quels sont ces divers obs

tacles qui s'opposent au développement de chaque branche d'industrie.

II. LES PROFESSIONS NE PROSPÈRENT QUE PAR LA JUSTICE ET LA LIBERTÉ. Avons-nous besoin de rappeler que partout où la sûreté individuelle est sans garantie, l'industrie est inactive et sans vie? On sait assez que le despotisme a appauvri, autant que la beauté du climat et la fertilité du sol ont pu le permettre, les contrées autrefois. si riches de l'Asie-Mineure et de la Grèce. Que ne seraient pas ces contrées sous un gouvernement protecteur de la sûreté et de la liberté individuelles! Lorsque l'arbitraire peut à tout instant dépouiller l'homme du fruit de son travail, comment prendrait-il la peine d'acquérir? Comment, sous un gouvernement despotique, tout ne languirait-il pas dans la paresse et la misère? Un individu parvient-il, par l'exercice d'une industrie cachée, à se procurer quelque gain? it l'enfouit aussitôt, dans la crainte d'exciter l'avidité du pacha et de ses délégués. Le possesseur de ce capital enseveli n'ose le prêter à son voisin, pour l'employer dans son commerce, étendre. ce commerce et le faire prospérer.

On voit, par-là, combien sont bornées les vues d'un gouvernement despotique, où toutes les lois de la justice ne sont pas garanties. Si les

exactions d'un despote peuvent arracher d'un pays quelques millions; sous un gouvernement sage, dans un état de liberté, ce même pays en produirait mille fois davantage.

III. LE BÉNÉfice que faIT UN CITOYEN PROFITE A TOUS LES AUTRES. La plus douce satisfaction qu'un prince puisse éprouver, c'est de voir ses sujets accroître progressivement leur aisance et assurer celle de leurs enfants, par le travail. Or, plus un métier profite à celui qui l'exerce, plus il atteint ainsi son but, et plus il prospère. Et, sous le règne de la liberté, un bienfait admirable de l'ordre social, c'est que, par un enchaînement vraiment merveilleux, le succès, la fortune de l'un, loin de porter préjudice à la fortune des autres, lui est au contraire favorable. Car, lorsque tous les membres d'une société peuvent librement exercer leur industrie, comment l'un d'eux s'enrichirait-il au détriment d'autrui? Nul ne peut gagner dans la profession qu'il exerce, qu'autant qu'il est utile par cette profession à ses concitoyens; et ceux-ci n'ont recours à lui, que parce qu'ils en retirent de leur côté un avantage réel. Au contraire, lorsqu'un absurde système de banalité investit quelques privilégiés du droit exclusif de pourvoir à tous les besoins des autres habitants du pays, de s'en

richir sans peine à leurs dépens, indubitablement ceux-ci s'appauvrissent.

IV. SOUS LE RÈGNE DE LA liberté, toute PRÉPONDÉRANCE TROUVE EN ELLE-MÊME SON CONTREPOIDS. Lorsque le commerce est libre, nul bénéfice ne s'accroît outre mesure: car, si celui qui résulte d'une profession dépasse les justes bornes, il ne tarde pas à rencontrer un contrepoids dans la concurrence que l'appât du gain y établit. En cette matière, on peut le dire, le flux est suivi du reflux; et cependant, pour peu qu'il soit utile, un métier ne tombera jamais entièrement; les bénéfices qu'il offre diminuentils, la concurrence diminue de même, et l'équilibre s'établit.

Les métiers, du reste, se perfectionnent d'autant plus et les hommes qui les exercent jouissent d'une considération d'autant plus solide qu'ils sont moins exposés aux chances fortuites de bonne ou de mauvaise fortune, et que la prospérité de leur commerce est le résultat d'une marche régulière, d'une progression lente et uniforme. On pardonne difficilement aux hommes qui s'enrichissent ou qui s'appauvrissent trop subitement. Ces grandes et rapides fortunes, lors même que leur source honteuse reste ignorée, contrastent si visiblement avec le mérite de ceux qui les possèdent, qu'on

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