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Mais il est peu de ces matières brutes qui soient employées, dans les temps de luxe, telles que la nature nous les donne. Il est vrai que nous pouvons boire l'eau et le lait, que nous mangeons le fruit, sans préparation. Cependant, combien le luxe n'a-t-il pas fait trouver de manières d'apprêter et de varier ces productions naturelles! Nous l'avons déja dit, la plupart des matières crues passent par une multitude de mains, avant de pouvoir être employées par l'homme le plus indigent. L'habillement d'un mendiant, par exemple, exige, premièrement, que la laine, des mains du cultivateur, entre successivement dans celles du fileur, du tisserand, du foulonnier, du tondeur, du teinturier, du tailleur; secondement, que l'on invente et construise les outils et les machines sans lesquels ces artisans ne sauraient exercer leurs professions; troisièmement, que l'on fabrique la toile, les boutons, etc.; et, outre cela, combien de négociants et des marchands intermédiaires ont été mis en activité pour le même objet! L'un des bienfaits du luxe consiste précisément en ce qu'il fait ainsi agir un grand nombre de bras. Tout ennemi du luxe est donc ennemi des fabriques et des professions; et cependant les fabriques et les professions influent

d'une manière sensible et bienfaisante sur le moral et l'intellectuel de l'homme, en provoquant l'esprit d'invention dans les arts et les sciences, et en préservant, par le travail, des vices que la paresse ne manque jamais d'enfanter.

II. L'INDUSTRIE AJOUTE A LA VALEUR DES produits naturels. Il n'est pas nécessaire de connaître à fond les principes de l'économie politique, pour entrevoir de suite à quel point l'industrie des artisans et des fabricants augmente la valeur vénale des productions brutes de la nature. Dans la main du menuisier, un morceau de bois qui valait un écu devient un meuble élégant qui en vaut dix; par l'industrie de l'horloger, un morceau de métal dont la valeur n'excédait pas non plus un écu, est converti en un ouvrage qui en vaut vingt; et, dans le Brabant, d'une quantité de lin qui n'a pas coûté cette modique somme d'un écu, le fabricant de dentelle crée un objet qui vaut plus de vingt mille francs.

III. AVANCES qu'exige l'IndUSTRIE. De même qu'il convenait, dans ce traité, au chapitre de l'économie rurale, de reconnaître les avances que réclame l'agriculture et les bénéfices qu'elle procure, de même, il faut, au sujet de l'industrie manufacturière ou de la théorie des métiers,

proprement dits, rechercher comment l'industrie augmente la valeur des matières crues, quelles sont les avances que chaque profession exige, et quel gain elle peut donner.

Partout où le poids de la misère retient ou rejette les métiers dans leur première enfance, le travail de l'artisan n'est qu'un simple service. Dans les Indes, le forgeron offre son travail de maison en maison, en brouettant son enclume et son soufflet comme, chez nous, le font le chaudronnier et le rémouleur. Bien plus, on lui donne le fer, et il le forge sur des charbons qu'on lui fournit également. Il n'y a aucune différence entre lui et le journalier qui, pour fendre du bois, apporte avec lui sa hache et sa scie, tout comme le premier brouette son enclume et son soufflet.

Mais, dans nos climats, l'artisan est habituellement un père de famille, un citoyen indépendant, et qui livre au commerce, en toute liberté, les produits de son industrie. Comme nous achetons du cultivateur un boisseau de seigle, nous achetons du cordonnier une paire de souliers. Ces deux objets sont livrés et payés comme produits, l'un de l'agriculture, l'autre de l'industrie, et tous deux comme articles de commerce ou marchandises susceptibles d'être négociées, échangées

ou vendues. Ici, le cordonnier fait donc quelque chose de plus que le forgeron dans les Indes; son travail ne se borne pas à un simple service. Il nous vend deux choses: premièrement, la matière fabriquée dont il a fait usage (le cuir); secondement, la façon ou la forme de souliers qu'il a su lui donner. Il a donc fait pour nous office d'ouvrier et de marchand : car il a travaillé, et il nous a vendu. Et c'est en raison de ce double rapport que nous avons à examiner quels sont ses avances et ses bénéfices.

En fait d'économie rurale, l'agriculture nous a servi de prototype, parce que nos observations sur les avances et sur les produits de cette branche principale de l'économie rurale seront facilement applicables aux autres professions qui en dépendent également. Relativement à l'industrie, c'est la profession de fabricant que nous choisirons également pour modèle, parce que nos observations sur ses opérations, compliquées de leur nature, s'appliqueront aussi avec facilité à celles du métier beaucoup plus restreint d'un simple artisan.

Les recherches relatives à l'agriculture sous le rapport de l'économie politique, diffèrent des recherches relatives à l'industrie manufacturière, en ce que ces dernières doivent avoir égard à

certaines relations, à certains rapports de droit commercial dont les premières n'ont point à s'occuper. C'est de la nature que le cultivateur obtient tout, c'est du moins de l'abondance des récoltes qu'il tire son principal bénéfice; et, de ce côté, il n'a pas à entrer en contestations. Le fabricant, au contraire, reçoit tout des hommes; savoir, d'une part, les matériaux, et, d'autre part, le salaire ou le prix de sa fabrication. Et il ne peut contraindre les hommes à acheter et à consommer les produits de son travail. Une partie de ce que gagne le cultivateur provient de la terre, est donnée par le sol; tout le profit de l'artisan doit être prélevé sur les consommateurs. L'industrie manufacturière est donc environnée de toutes parts de certaines relations de droit qu'il importe de bien connaître, et qui elles-mêmes réclament l'existence de principes et de règles qu'il s'agit de rechercher et d'établir, afin que, dans l'intérêt du fabricant et du chaland, les marchandises puissent être vendues à leur plus juste prix.

Le fabricant doit recevoir des consommateurs ce que lui-même a déboursé pour exercer son industrie, et de plus une juste récompense de son travail. Mais les consommateurs préféreront toujours les productions manufacturées, qui, à

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