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bre, par le motif qu'il espère retirer dix pour cent de ce nouveau placement, au lieu de cinq pour cent que lui rapportait précédemment son capital? Il n'est pas plus juste de soutenir une fabrique, parce qu'elle promet et assure de grands bénéfices à venir.

Mais il me reste à faire une question toute contraire. Le capital employé à l'établissement de la nouvelle fabrique ne sera-t-il pas soustrait à d'autres métiers plus lucratifs, et ceux-ci n'en souffriront-ils pas? On trouve ridicule que les Espagnols vendent leur laine et tirent leur drap de l'Allemagne. Mais, s'ils veulent établir des manufactures de drap, trouveront-ils, pour le faire, des capitaux tout-à-fait oisifs? S'ils en trouvent, ils feront bien de les employer ainsi. Mais s'ils n'en trouvent pas, vendront-ils leurs bêtes à laine? ou l'entretien de ces bêtes à laine n'en souffrira-t-il pas? ou, enfin, l'intérêt que l'on tirera des manufactures sera-t-il plus fort que celui que rapportaient les bêtes à laine?

En second lieu, pour monter la nouvelle fabrique, il faut des ouvriers. Ces ouvriers étaient-ils aussi oisifs auparavant, ou, s'ils ne l'étaient pas, est-il certain que l'on pourra les soustraire, sans inconvénient, à leur précédent

métier? Serait-il plus avantageux que les Espagnols fissent des tisserands de leurs bergers?

Une fabrique véritablement utile n'a donc pas besoin d'être encouragée ni soutenue par l'État. Il n'est pas nécessaire de stimuler les hommes pour qu'ils cherchent à se procurer un bénéfice quelconque; et toute fabrique qui a besoin, pour se soutenir, que l'État lui accorde un secours, est incontestablement défavorable; car c'est un indice certain qu'elle ne rapporte aucun bénéfice, et que le capital et le travail que l'on y emploie seraient employés plus utilement à tout autre genre d'industrie.

2° Prohibition d'exportation des matières premières. Maintenant, soumettons à l'examen les différents moyens que les gouvernements ont employés pour soutenir les fabriques.

Déja, nous avons fait voir quel préjudice inique cause aux producteurs et à tout le pays la défense d'exporter les matières brutes, proclamée dans la vue de les procurer à plus bas prix aux fabricants de ce pays. Nous allons prouver aussi que cette défense est défavorable aux fabricants mêmes.

En effet, croit-on qu'il soit avantageux aux manufactures de laine et de toile de ruiner l'en

tretien des bêtes à laine et la culture du lin? et ne porte-t-on pas un coup sensible à ces deux branches de l'économie rurale, en diminuant le gain qu'elles peuvent produire?

A cela, ajoutez que l'on prohibe l'exportation des matières crues, dans l'intention qu'elles soient fabriquées dans le pays et exportées ensuite comme produits manufacturés, afin de gagner, dit-on, le prix de la fabrication. Cependant, il n'est pas certain que les étrangers qui achetaient les matières premières voudront aussi acheter les produits manufacturés. Je connais un pays où l'on défendit l'exportation du lin, dans l'espérance que l'on exporterait plus de fil. Mais ce sont les manufactures de fil étrangères qui jusqu'alors avaient acheté le lin. Comment put-on imaginer que la mesure prohibitive engagerait les propriétaires de ces manufactures à renoncer à leur industrie? Ils cherchèrent à se procurer le lin et par voie de contrebande et dans d'autres pays. Par-là, ils encouragèrent ailleurs la culture du lin; et, dans le pays où la prohibition avait eu lieu, on ne vendit pas une pièce de toile ni de fil, de plus qu'auparavant, et, au contraire, la culture du lin et le filage y déchurent. C'est ce qui arrivera dans tous les lieux et dans tous les temps. Dès que l'étranger ne peut plus s'y Tome II.

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procurer la matière brute, il s'efforce de se la procurer dans un autre pays; et l'on ne peut le contraindre de prendre les produits manufacturés, au lieu de cette matière première.

Vouloir, d'ailleurs, empêcher, par une semblable prohibition, que l'argent ne sorte du pays, serait une conduite tout aussi peu sensée que celle d'un tanneur, qui, pour garder son argent dans sa maison, entreprendrait de faire ses souliers, lui-même, avec son cuir. L'insensé! Pendant que lui ou les siens seraient occupés à fabriquer leurs souliers, ils ne pourraient pas tanner et préparer le cuir. Ils épargneraient, à la vérité, un écu sur le salaire qu'ils eussent été obligés de payer au cordonnier; mais, comme ils avanceraient bien moins dans la fabrication des souliers que dans celle du cuir, ils perdraient deux écus sur cette dernière fabrication.

3° Prohibitions d'importation des produits manufacturés de l'étranger. Si l'on ne savait pas à quel point les hommes sont, en général, prévenus en faveur du système commercial ou mercantile, on aurait peine à croire que jamais une semblable prohibition ait pu être prononcée.

En effet, quand les fabriques travaillent à meilleur marché et mieux, ou même à aussi bon

marché et aussi bien, que les fabriques étrangères, la prohibition est sans objet. On prohibe, précisément parce que le fabricant étranger vend à meilleur marché. Comment imagine-t-on qu'il soit plus avantageux à une nation d'acheter cher ce qu'elle pourrait avoir à plus bas prix ? Supposons, par exemple, que, chaque année, une nation emploie six millions d'aunes de toile de coton; qu'en les achetant de l'étranger, elle puisse se les procurer à raison de 6 gros l'aune, et que ses propres fabriques ne puissent les lui fournir qu'à raison de 12 gros: la toile de coton étran gère que cette nation achèterait, lui coûterait un 1/2 million d'écus, tandis que la même quantité de toile de coton produite par ses propres fabriques, lui reviendrait à trois millions d'écus. On ne peut se persuader et vouloir persuader aux autres, qu'il est avantageux, pour cette nation, de payer, chaque année, pour la toile de coton dont elle fait usage, un 1/2 million de plus qu'elle ne pourrait le faire. Tous les pères de famille, dépensant pour la toile de coton proportionnellement davantage, épargneront sur un autre article de dépense; et leur épargne, à cet égard, sera une soustraction faite aux autres agents de l'industrie sur ce qu'ils auraient pu gagner par leur travail. Quiconque aura dépensé dix écus de plus

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