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cultive dans ce pays le dockoun et le douro. Le trop ou trop peu de pluie, les oiseaux, les sauterelles forment autant d'incidents qui nuisent aux récoltes. Le Kordofan semble offrir une preuve que l'humus n'est point nécessaire à la végétation, puisque, au dire des habitants, à quelque profondeur qu'on y creuse, on ne rencontre jamais que du sable. Il existe au Kordofan des sables aurifères exploités par les indigènes. On trouve des mines de fer dans les montagnes au sud d'El-Obéid, gouvernées par des chefs ou meks indépendants de l'Égypte et du Darfour; ces mines sont exploitées également par les naturels au moyen de fourneaux alimentés par du charbon de bois, dont la combustion est accélérée par d'énormes soufflets.

Le Djébel-Taggalé, dont j'ai déjà dit deux mots, à propos de la révolte de Nacer et à propos du néfir, cette coutume bizarre qu'on y rencontre, est un immense groupe de quatre-vingt-dix-neuf montagnes au sud d'El-Obéid. Chacune de ces montagnes est par ellemême une forteresse, et elles communiquent toutes entre elles, à l'exception de dix-huit qui sont isolées. On ne peut pénétrer dans ce massif que par deux gorges. La bataille dont j'ai parlé et dont le docteur avait appris la nouvelle à Es-Çafi avait eu pour résultat, outre la défaite et la mort d'Osman-Bey, la destruction totale des troupes égyptiennes, à l'exception de deux cents hommes revenus à El-Obéid avec les Arabes Chékiés, leurs alliés dans cette expédition, et dont un des cheiks avait également péri. La polyandrie n'est point inconnue au Djébel-Taggalé.

Au pied du Djébel-Taggalé, sur les bords du Nil, campent les Arabes Djafariés, dont la couleur est plus blanche que celle des Kababichs. A propos de caractères ethnologiques, le docteur remarque que les Arabes du Dâr-flamed ont en général les cheveux crépus, tandis que les traits de leur visage présentent le type caucasique. Une autre observation qui doit trouver sa place ici est relative aux mollets. D'après une note du docteur Cuny, une fois la première cataracte dépassée, hommes et femmes commencent à les avoir moins saillants, et ils vont ainsi en diminuant jusqu'aux nègres, qui n'en ont plus.

Le journal de M. Cuny, malheureusement trop court, se termine au 10 avril. Le docteur élait depuis cinq jours à El-Obéid. Il y était encore à la date du 25 mai. C'est à cette date qu'il envoyait son journal à M. d'Escayrac de Lauture, en lui annonçant son départ pour le lendemain. « Pour se rendre d'El-Obéid au Darfour, ajoutait-il,

il y a trois routes principales: celle du sud, que l'on appelle DarbKérem, aboutit au Dâr-Atouascha; elle n'est plus suivie par les djellabs, parce que le désert sans eau y est trop long. Celle dite. Onoustanié (du milieu) est celle que l'on préfère actuellement; c'est la seule suivie. Enfin la troisième, celle du nord, passant par Kadjea, Katoul, etc., n'est plus suivie parce qu'elle est infestée de voleurs. >> Depuis ce moment on n'a plus eu de nouvelles de M. Cuny. Seulement, plus de deux ans après sa mort, son fils fut renvoyé au vice-roi d'Égypte avec quelques présents, sur les réclamations réitérées de Linant-Bey.

Je pense faire plaisir au lecteur en terminant cette analyse du voyage du docteur Cuny par quelques renseignements sur le Darfour principalement empruntés aux travaux de M. d'Escayrac de Lauture. Comme le Kordofan, le Darfour est couvert sur une partie notable de son étendue, surtout vers le sud, de forêts composées principalement de gommiers et d'arbustes épineux que domine le baobab, et qu'entrecoupent des clairières, quelquefois cultivées, au milieu desquelles s'élèvent alors les villes ou villages. Ces agglomérations, qui ne diffèrent que par l'étendue, occupent toujours un grand espace, chaque habitation ayant son enclos fermé par une haie épineuse. Les huttes, appelées tukkoli, consistent en un toit conique posé sur une base cylindrique en maçonnerie. Il y en a de plus légères qu'on nomme recouba, et qui sont en paille avec le toit plat. Caubé (ou Kobbé) est la ville de commerce et comme le port du Darfour. Seule elle a des rues et des maisons bâties sur le modèle de celles de Siout. La capitale actuelle du Darfour, qui en a changé déjà plusieurs fois et qui en changera peut-être encore, est Tendelty. Le nom de Facher qu'on lui donne est, à proprement parler, celui du palais du sultan. Ce sultan se nomme Hussein; il règne depuis vingt et un ans. Lors du voyage de M. Cuny, il était en guerre avec son voisin de l'ouest, le sultan du Ouaday. Ces deux États, de même que le Baghirmi, passent pour être nés du démembrement du grand empire païen des Tyniurs. La fondation de la dynastie régnante des rois fouriens paraît remonter, ainsi que l'introduction de l'islamisme dans le pays, à peu près à la moitié du dernier siècle. L'organisation dir Darfour est féodale; le pays est divisé en quatre grands gouvernements habituellement héréditaires. Les gouverneurs se révoltent quelquefois. La garde royale est composée de cavaliers armés de masses d'arme et d'épées droites à pommeau en croix comme celle

des Kababichs ou de nos anciens chevaliers; ils ont des casques de la forme des anciens casques normands. Lorsque la guerre éclate, le ban et l'arrière-ban sont convoqués dans chaque village à son de trompe pour un nombre de jours fixé par l'usage. Le symbole de la puissance royale est le tombal, sorte de tambour de cuir et de métal, autour duquel se groupe la réserve, et qu'il est de l'honneur de défendre contre l'ennemi comme nous défendons le drapeau. Les populations du Darfour parlent différents idiomes; le plus répandu est la langue fourienne. M. d'Escayrac de Lauture a promis d'en publier un vocabulaire et une grammaire. Les Arabes pasteurs, tant ceux qui paissent des chameaux au nord du Darfour que ceux du sud qui sont pasteurs de bœufs, parlent l'arabe.

La famille régnante du Darfour est sortie d'une tribu qui habite les monts Marrah ou Marrak. Ces montagnes, très-peuplées, habitées par des peuples très-noirs, mais différents de la race nègre, traversent le pays du nord au sud. «Le Darfour, dit M. d'Escayrac de Lauture, a dans les monts Marrah ses forteresses naturelles; il y existe, m'a-t-on dit, une vallée entourée de toutes parts de sommets inaccessibles que les indigènes regardent comme leur place forte, et dont ils ne laissent pas même approcher les étrangers. » Espérons qu'un jour cette vallée elle-même sera visitée, et que le vœu formé par M. d'Escayrac de Lauture, à l'époque du départ de M. Cuny, de voir enfin se dissiper les ténèbres qui couvrent encore le Soudan, et particulièrement le Darfour, recevra son accomplissement. Le zèle des explorateurs ne se ralentit pas; il ne tient compte ni des obstacles, ni des dangers, ni des funèbres avertissements. A cette heure où j'écris, l'Europe retentit de la découverte des sources du Nil par deux officiers anglais1. Toutes les nations civilisées ont applaudi à ce succès de l'Angleterre. Le jeune royaume d'Italie a payé par deux médailles sa dette aux capitaines Speke et Grant, en attendant qu'il. envoie lui-même de nouveaux explorateurs scientifiques sur-les pas des Italiens Belzoni et Miani, des Piémontais Brun

1. Le mémoire du capitaine Speke sur son voyage a été lu à la Société royale de géographie de Londres, le 22 juin dernier, devant une nombreuse et brillante réunion. Le Nil paraît sortir du lac Nyanza, découvert par M. Speke à un précédent voyage. Voir sur ce lac et sur le voyage des capitaines Speke et Burton notre article déjà cité. M. Vivien de Saint-Martin a publié un compte rendu du nouveau voyage et des découvertes de M. Speke dans le Tour du Monde, 3 juillet.

Rollet et Vaudey. Néanmoins l'issue heureuse d'une dernière tentative ne doit pas faire oublier celles qui l'ont précédée. Les noms du docteur Peney, de M. de Malzac, de M. Guillaume Lejean rappellent honorablement la part de la France dans les explorations successives qui ont enfin amené la découverte tant désirée. Ces efforts généreux ne seront point oubliés. Quoi qu'il en soit, une nouvelle œuvre reste à accomplir, plus importante et plus glorieuse encore que la découverte des sources du Nil et des montagnes de la Lune : l'abolition sérieuse et définitive de la traite. Il appartient à la France d'user de son influence légitime sur le gouvernement égyptien pour rendre effective cette abolition déjà officielle pour les pays qui dépendent de l'Égypte. Tant que la traite ne sera pas entièrement abolie, les conquêtes de la science seront inutiles pour la civilisation de ́ l'Afrique. Il serait beau que le siècle qui a vu la découverte des sources mystérieuses du fleuve des Pharaons vît aussi la fin du fléau qui contribue plus que toute autre chose au maintien de la barbarie dans les contrées où il coule.

LOUIS DE RONCHAUD.

ET. LA VIE MORALE EN ANGLETERRE 1

LES OEUVRES.

I

Lorsqu'on compare la vie et les romans de Charlotte Brontë, on trouve que l'écrivain et les héros se valent; le modèle idéal nouveau qui a flotté devant ses yeux l'a guidée à la fois dans son invention et dans sa conduite; et cette conception est si bien sortie du fonds de son passé et de son être, que dans tous ses romans elle l'a repris pour mettre en pied le même personnage et développer les mêmes sentiments. Jane Eyre, Lucy Snowe, Shirley, Pauline, même parmi les caractères d'hommes, Crimsworth, Rochester, sont des âmes composées des mêmes éléments, étranges et véhémentes, patientes et énergiques, courageuses jusqu'à la roideur et la témérité, faites pour oser et pour souffrir, capables de marcher seules dans la vie, de trouver en ellesmêmes la règle de leur conduite et le ressort de leur résistance, de tenir tête au monde, sans vanité et sans outrecuidance, par conscience et par conviction. Par-dessus tout cela, généreuses, pénétrées jusque dans leur fond du plus profond et du plus passionné besoin d'aimer, semblables à ces fleuves du Nord qui semblent immobiles sous leur âpre cuirasse de glace, et qui tout d'un coup, au soleil du printemps, bouillonnent par une fonte subite, et roulent avec des fracas et des splendeurs magnifiques sous leurs glaces entrechoquées.

Qu'est-ce que Jane Eyre? Une pauvre petite fille, orpheline, ni belle ni aimée, parmi des enfants égoïstes et grossiers, plus forts qu'elle, qui prennent pour eux toutes les caresses et ne lui laissent que les mauvais traitements. Du premier coup elle se révèle tout

1. Voir la 52e livraison.

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