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tisme a disparu; l'ouvrier ne compte plus sur une organisation extérieure et despotique, il compte sur lui-même et sur l'association volontaire; il n'est plus socialiste et révolutionnaire, il est individualiste et libéral. En France, j'oserai dire que cette réforme est mûre; il est aisé d'en finir avec les sociétés secrètes, s'il en existe encore. Les ouvriers ont un désir extrême de vivre tranquilles et maîtres de leurs droits; on les attachera vite aux institutions nouvelles en leur donnant franchement et largement la liberté.

Dissoudre ce qui reste des partis, rallier autour de soi cette masse de gens honnêtes et paisibles qui détestent les révolutions et qui aiment la liberté, c'est selon moi une œuvre facile pour le gouvernement dans les circonstances présentes. Il est puissant, il est le maître, il peut, sans qu'on l'accuse de faiblesse, donner la liberté. Si le pouvoir entre dans cette voie féconde, les libéraux ne sont plus un parti, ils se nomment la France. Si, au contraire, le gouvernement ne croit pas que le moment soit venu de couronner l'édifice, que deviendra le parti libéral ? Il est aisé de le dire. Comme c'est un parti, et non pas une faction, comme il n'a rien à cacher, et qu'il peut arborer son drapeau au grand jour, il n'est pas douteux que c'est autour de lui que se rallieront tous ceux qui veulent la liberté. De tous les côtés il lui viendra des auxiliaires qui grandiront son influence; il ne sera pas seulement l'opposition dans les Chambres, il sera l'opinion dans le pays. Voilà ce qu'une sage politique doit éviter. Quand une force légitime se montre chez un peuple, l'habileté d'un homme d'État, c'est de s'en emparer et de s'en servir. Le goût de la liberté renaît en France, il faut avoir la liberté pour soi ou contre soi. Le choix peut-il être douteux?

J'ai terminé ce travail qui m'a mené plus loin que je ne pensais, et qui peut-être a fatigué plus d'une fois la patience du lecteur. Ce qui m'a décidé à me risquer sur un terrain mal assuré, et à aborder franchement des questions brûlantes, c'est le sentiment d'un devoir à remplir. Pour tout citoyen qui croit avoir quelque chose à dire, le moment est venu de parler. Les dernières élections ont montré que la France revenait à ses anciennes idées. A toutes les promesses, à toutes les menaces, le suffrage universel a répondu par un seul mot : Liberté. Il n'y a ni passions, ni colères, ni ambitions cachées dans les dernières élections. C'est le sentiment populaire qui a parlé. C'est la voix de la nation qu'on a entendue.

Tome XIV.

54 Livraison.

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En de pareilles circonstances j'ai cru bien faire de tracer le programme de la liberté, pour donner à chacun l'occasion de s'éprouver soi-même, pour appeler l'attention publique sur ces graves questions, pour empêcher enfin qu'une fois encore ce mouvement n'avortât en luttes stériles. Après tant d'agitations, après tant de souffrances perdues, ce que veut la France, si l'on en peut juger par les élections, ce ne sont ni de beaux discours, ni des querelles d'influence; ce qu'elle veut, c'est le droit pour chaque individu de développer toutes ses facultés, c'est le droit pour le pays de vivre par lui-même et d'exercer un contrôle décisif sur ses propres affaires. Voilà le programme de la démocratie française. Deux mots le résument: La liberté pour tous. Cette liberté, c'est celle que nos pères rêvaient à l'aurore de la révolution, celle qui charmait l'Europe entière, celle que la France n'a jamais cessé d'aimer. Les élections de 1863 sont un retour aux principes de 1789. C'est là ce que personne ne doit oublier.

ÉDOUARD LABOULAYE.

LES

ANCIENNES ÉCOLES DE PEINTURE

D'ALLEMAGNE

Soit ignorance, soit dédain, la critique ne fait guère remonter les origines de la peinture au delà de certaines époques où l'éclat de quelques personnalités brillantes lui fait prendre pour une aurore ce qui est déjà un matin. Oubliant que tout naît de quelque chose, et qu'il n'y a rien ici-bas qui ne soit soumis à la nécessité des développements successifs, on s'imagina que l'art était éclos, déjà savant et fort, sous la main de Giotto et sous celle des Van-Eyck, comme Minerve sortit du front de Jupiter, jeune, vaillante, et tout armée. Si quelques-uns se prirent à chercher au delà de ces artistes par lesquels on est accoutumé de faire commencer l'histoire de la peinture, on relégua dans le domaine de l'archéologie et de la curiosité les faits qu'ils observèrent, les monuments qu'ils découvrirent, 'et l'on s'obstina à borner le champ des investigations au cercle exclusif que Vasari avait tracé.

A ne considérer exclusivement que la pratique de la peinture, les faits, tels qu'on les présente, sont erronés pour l'Italie, et ils sont de toute fausseté pour les écoles du Nord. Mais si l'on veut envisager les manifestations diverses des arts graphiques, le champ s'agrandit aussitôt d'une façon démesurée. On est alors forcé de reconnaître qu'une pratique constante de ces arts appliqués à la décoration a dû conduire la peinture au point où l'ont trouvée, d'une part, l'élève de Cimabué, de l'autre cette heureuse famille à qui l'on se croit redevable de la peinture à l'huile.

Dans ces époques, plus fécondes qu'on ne se l'imagine, où l'architecture régnait en maîtresse et imposait ses lois à la forme et à la couleur, l'art était un, quel que fût le cadre. Peinture murale, mosaïque, vitrail, miniature ou émail; bas-relief sculpté dans la pierre ou ciselé dans un feuillet d'ivoire, tout, à travers la différence des

procédés et des effets, procédait du même principe, tendait au même but. Aussi la peinture et la sculpture, unies par un lien solide et se complétant l'une par l'autre, peuvent montrer quelles transformations l'art a subies depuis l'écroulement de l'empire romain sous les efforts des barbares, jusqu'aux siècles où le génie de chacune des nations occidentales prit enfin la forme qui lui était propre et lui imprima le sceau de sa personnalité.

Affranchi de tout contact avec les barbares qui débordaient autour d'elle, en communication constante avec l'Orient, dont elle avait emprunté le luxe et presque les mœurs, Byzance fut un foyer toujours allumé où s'éclaira l'Occident.

L'Italie, en demandant des œuvres et des artistes à la ville de Constantin, ne fit qu'imiter l'ancienne Rome, dont les Grecs furent les initiateurs dans l'art, s'ils ne furent pas davantage. La seule difficulté, donc, que l'on doive rencontrer en étudiant les origines traditionnelles de l'art italien, consiste en ceci : à savoir discerner jusqu'à quel point, le génie latin réagissant sur les exemples venus de la Grèce, telle œuvre, en tel moment donné, doit être attribuée à Rome ou à Byzance. Avec les peintures des Catacombes, avec les mosaïques, avec quelques manuscrits et quelques ivoires, on peut, en Italie, remonter plus haut que partout ailleurs et rétablir l'échelle des temps.

Quant à la France, elle nous semble s'être rangée assez tôt sous la discipline latine, jusqu'au moment où, devançant son institutrice dans la pratique de la peinture et dans la statuaire, elle donna, au treizième siècle, l'exemple de cette architecture nouvelle, dont elle dota la chrétienté, tandis que ses écoles étaient la lumière des intelligences.

En Allemagne, la question des origines est plus complexe. Tant de courants divers viennent s'y mêler au flot agité, mais limpide, que nous avons vu couler de Byzance à Rome, puis dériver en France, pour s'y colorer aux sources gauloises et franques, qu'il faudrait une étude attentive et quelque peu pénible pour en analyser tous les éléments.

Il y eut d'abord un art autochthone qui s'affirme par quelques œuvres rares et précieuses; puis, au huitième siècle, une influence que l'on ne saurait nier, malgré la bizarrerie de son origine, une influence anglo-saxonne qui s'exerce à la suite de l'apostolat de saint Boniface. Charlemagne vint ensuite imposant un art qui, originaire d'Italie ou de Grèce, était, avant tout un abâtardissement de l'antiquité. Plus tard,

ce fut le tour des Othon, qui amenèrent avec eux la byzantine Théophanie, à laquelle les savants doutre-Rhin attribuent une grande influence sur leur art national. Puis, tandis que l'ordre de Cîteaux étendait partout son influence et la sévérité de ses pratiques, Frédéric Barberousse, sans cesse guerroyant en Italie, comme la plupart des empereurs qui l'ont précédé ou suivi, rapportait, sans doute, de ses expéditions des œuvres méridionales ou ramenait des artistes italiens. Il ne faut point non plus oublier le commerce, qui, accusé aujourd'hui d'être contraire aux arts, était jadis leur excitant et leur missionnaire. Le Rhin reliait le Nord au Midi, et, dans les villes qui forment les stations de cette grande route, nous voyons par ce qui reste de monuments d'architecture, en quel honneur devaient y être les arts décoratifs. Puis, caché sous ces alluvions successives, il y avait le vieil esprit germanique, rude et sauvage, qui les soulevait par intervalles et affleurait même à la surface, comme ces roches qui donnent leur relief aux sédiments séculaires.

Pour débrouiller cet écheveau inextricable d'origines et de réactions diverses et successives, il faudrait, en l'absence de peintures murales, qui font défaut pour les hautes époques, étudier les miniatures des manuscrits, l'émaillerie et les vitraux, puis la sculpture monumentale et les ivoires, œuvres charmantes autant que précieuses pour l'histoire. Les ivoires, en effet, assez abondants de l'autre côté du Rhin, sont de toutes les époques, et le moulage, permettant d'en réunir de nombreux exemplaires sur une surface restreinte, favorise singulièrement les comparaisons sur lesquelles on peut seulement baser des études sérieuses.

Nous n'avons ici ni la volonté ni le pouvoir de montrer dans quels monuments successifs on trouverait la trace des influences diverses que nous venons d'indiquer; mais nous devons caractériser la physionomie de l'art allemand, telle qu'elle paraît naître dans les manuscrits et dans les ivoires carolingiens, pour acquérir son plus grand développement au douzième siècle, dans la peinture émaillée et dans la sculpture. Puis, arrivant aux époques où la peinture proprement dite prend la première place, nous suivrons, sur les œuvres que possèdent certains musées d'Allemagne, les vicissitudes que cet art a subies depuis le quatorzième siècle, jusqu'à ce qu'étant de plus en plus affecté par l'imitation italienne et surtout florentine, il se soit perdu au seizième siècle dans un maniérisme outré.

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