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politique de notre époque, est une très-forte présomption en faveur de ceux qui soutiennent qu'il n'acceptera pas. Il a ensuite mis à son acceptation des conditions non-seulement d'une réalisation très-difficile, mais qui nous semblent une ironie fort peu déguisée à l'adresse de ceux qui lui ont offert la couronne du Mexique bien longtemps avant que la députation mexicaine se soit doutée que « le doigt de la Providence » l'avait en effet désigné à l'amour du peuple mexicain. L'archiduc Maximilien n'a pas craint de s'engager publiquement à doter ses sujets de ces institutions constitutionnelles que nos gouvernants nous dépeignent suivant les hasards de l'improvisation - tantôt comme l'anarchie organisée, tantôt comme un gouvernement dont nous n'avons pas encore su nous rendre dignes à l'exemple de l'Angleterre. L'archiduc Maximilien a soulevé là une question bien embarrassante pour nos ministres. Voudrait-il d'aventure les contraindre à patronner à Mexico la forme de gouvernement qu'ils proscrivent à Paris? Voudrait-il les amener à déclarer indirectement que les Mexicains se trouvent dès aujourd'hui et de plain-pied à la hauteur d'un régime dont les Français n'ont pas encore été jugés dignes?

Ce n'est pas tout l'archiduc Maximilien a manifesté des scrupules qui nous semblent injurieux pour la députation des notables de Mexico. Déclarer qu'il lui faut avant tout le consentement du suffrage universel, et non pas seulement du suffrage universel des soixantesix villes, bourgs ou villages que le maréchal Forey dit occuper, mais du Mexique tout entier, n'est-ce pas avouer implicitement qu'il ne considère pas la députation comme l'expression exacte des vœux du pays, et n'est-ce pas aussi préparer à notre expédition un surcroît de besogne qui ajourne presque indéfiniment la proclamation de l'empire du Mexique? Enfin, après toutes ces réserves, subordonner encore cette acceptation à l'assentiment du chef de la famille dont on connaît la répugnance pour un établissement qui peut compromettre sinon les forces de l'Autriche (car elles ne seront jamais engagées dans une telle entreprise), du moins la dignité de la maison impériale; exiger en outre la garantie préalable des puissances européennes pour ce trône placé sur un volcan, c'est opposer bien des complications au « doigt de Dieu » et à la démarche si spontanée des notables de Mexico. L'archiduc n'a pas réfléchi sans doute qu'il est plus facile aujourd'hui de donner un trône que de le garantir. Qui lui rédigera ce bon billet? Et qui lui garantira ses garants?

Nous sommes étonné que les proclamations du maréchal Forey et les correspondances officielles n'aient pas fait comprendre à l'archiduc combien ses scrupules sont hors de saison. D'abord, en ce qui concerne la question du suffrage universel, comment a-t-il pu croire

avoir besoin d'une ratification des Mexicains devant le témoignage du Moniteur, qui constate, non pas leur consentement, mais leur enthousiasme, et qui assure qu'il est impossible « de tenir une liste complète de leurs manifestations? » Et quant à l'établissement d'une monarchie constitutionnelle, comment n'a-t-il pas songé à appliquer à ses propres projets la déclaration mémorable du maréchal Forey, disant aux Mexicains que les républiques ont pour principe la vertu, et que ce n'est pas là ce qu'il est venu leur apporter. N'est-ce pas leur rendre un mauvais service que de leur laisser le choix entre le vice et la vertu, puisque le maréchal Forey, d'une part, et le « doigt de Dieu,» de l'autre, les ont si visiblement condamnés à une éternelle abjection?

Au reste, ce sont là les affaires de l'archiduc Maximilien et non les nôtres. Nous voyons seulement avec un profond regret la politique de notre pays s'engager de plus en plus dans une impasse d'où il lui était facile de sortir après la prise de Mexico, et où elle est exposée à rencontrer, non pas seulement de graves obstacles, mais de véritables désastres. Quoi qu'il arrive, les avertissements ne lui auront pas fait défaut. Le plus élémentaire bon sens suffit encore aujourd'hui pour éviter les écueils que nous signalons ici. La politique suivie au Mexique nous conduit en droite ligne à une rupture avec les États-Unis. Nous n'avons pas cessé d'encourager le Sud, nous nous sommes efforcés de le faire reconnaître; nous donnons asile à ses corsaires; nous accueillons avec honneur M. Mason, l'avocat juré de la traite des nègres et l'auteur de la loi sur les esclaves fugitifs, alors qu'il se voit forcé d'abandonner l'Angleterre; enfin nous offrons notre garantie pour l'établissement d'une monarchie au Mexique avant même d'avoir fait le recensement de ces électeurs dont nous disions vouloir consulter les vœux. Et nous avons choisi, pour indisposer le plus vivement les États-Unis, le moment même où l'Angleterre se réconcilie avec eux. S'il y a dans tous ces actes quelque secrète et profonde pensée qui en rachète l'énorme imprudence, il serait temps de la mettre en lumière.

L'Allemagne continue à tenir son éternelle exécution fédérale suspendue sur le Danemark. Il n'y a pas cependant à concevoir de trèsvives alarmes; tout porte à croire que la paix de l'Europe ne sera pas troublée. Les personnes que ce mot d'exécution effraye ignorent apparemment le sens qu'il prend en Allemagne lorsqu'il est uni à l'adjectif fédéral. Exécution fédérale signifie une exécution qu'on n'exécute pas. C'est ainsi que les résolutions des congrès en général et du congrès de Francfort en particulier sont des résolutions qui ne résolvent rien. Il ne s'agit que de s'entendre sur les mots. Nous espé

rons que notre explication rassurera tous ceux qui n'avaient pas encore pénétré le sens de cette locution abusive. Au reste, le petit mais intrépide peuple du Danemark paraît attendre avec beaucoup de tranquillité le choc du Goliath germanique. Si, par impossible, cette guerre se faisait, ce serait parce que le roi de Prusse voudrait à tout prix se créer une diversion. Or, on peut déjà prévoir, d'après le mouvement de l'opinion en Prusse, que sa déconvenue dans les prochaines élections sera telle que cette guerre même lui paraîtra une diversion insuffisante. Les débuts de l'agitation électorale en Prusse prouvent combien M. de Bismark s'est trompé en comptant sur une réaction du sentiment national en faveur de sa politique. Les Prussiens ont pu être froissés par les prétentions excessives que l'empereur d'Autriche a affichées au congrès de Francfort; mais cette légitime irritation n'a pu leur fermer les yeux sur les torts d'un ministère qui a violé chez eux tous les principes constitutionnels et qui a ensuite frappé un véritable coup d'État pour échapper à la responsabilité de ses actes. En faisant appel à la volonté de la nation, M. de Bismark a couru au-devant de son propre châtiment. C'est vainement qu'il se présente aux électeurs avec le programme libéral qu'il a opposé aux vues de l'empereur d'Autriche; il ne s'est pas aperçu qu'on ne peut lui donner raison à Francfort qu'à la condition de le condamner à Berlin. Les principes qu'il invoque pour sa justification sont ceux mêmes qui motivent le mieux son arrêt.

Je n'ai rien dit de notre situation intérieure; elle sera comme vide d'événements, tant que la nouvelle Chambre ne sera pas réunie. Elle offre pourtant un trait remarquable; c'est l'énorme dépense de notes et de circulaires qui se fait au ministère de l'Instruction publique. S'il n'a pas beaucoup agi, ce n'est pas, à coup sûr, faute d'avoir beaucoup parlé. Parmi les mesures qu'il a décrétées, celle qui a le plus occupé le public est le programme du nouveau cours d'histoire sur les événements accomplis depuis le commencement du siècle. Ce programme est, par sa nature, tout politique. Cette tentation de donner aux jeunes gens des leçons de politique s'était certainement présentée à l'esprit des gouvernements antérieurs au régime actuel, mais ils l'avaient écartée par d'honorables scrupules pour la liberté de leurs adversaires. Les opinions politiques se forment d'elles-mêmes par le spectacle des événements, elles ne s'enseignent pas. Or, le nouveau cours institué par M. Duruy n'est pas autre chose qu'un cours d'impérialisme.

Il a appliqué à notre histoire contemporaine la théorie bien connue du progrès continu, et, en vertu des déductions qu'il en tire, il se trouve que le dernier terme du progrès accompli jusqu'à présent

par l'humanité est le ministère de M. de Persigny. Nous ne contredirons pas sur ce point le savant ministre de l'instruction publique, nous lui ferons seulement observer combien son programme est chose grave au point de vue de la liberté et de la dignité de l'enseignement. Jusqu'ici le professorat était dans une certaine mesure accessible à des hommes de toute opinion. On pouvait, par exemple, être professeur d'histoire et ne pas adopter les théories officielles sur les empereurs romains. Mais, au sujet des faits contemporains, ces dissidences ne seront jamais admises, et le programme en est d'avance la preuve. L'enseignement est fermé aux hommes qui n'appartiennent pas à l'opinion orthodoxe. La timide histoire ne s'arrêtera plus sur le seuil du présent, elle ne sera plus retenue par la crainte de blesser nos modesties contemporaines, elle osera dire désormais, en complétant la classique série des grands noms du passé : Alexandre, César, Charlemagne et M. de Persigny!

P. LANFREY.

CHARPENTIER, propriétaire gérant.

Droit de reproduction réservé.

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