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sans but comme sans utilité; sans la métaphysique, la morale, étant subjective, serait également privée de but et d'utilité; et sans la morale enfin, l'économie politique, n'ayant d'autre critérium que l'intérêt individuel, n'aurait qu'à laisser apprécier les faits économiques par cet intérêt individuel; au risque de voir les règles de la production et de la distribution des richesses transformées en incessants et violents conflits.

C'est ainsi que, placé devant la morale, placé devant le droit, placé devant l'économie politique, le positivisme révèle son impuissance. Il ne peut expliquer le mouvement sociologique; il ne peut distinguer le droit de la force; il ne peut indiquer l'origine de la notion de justice; et le devoir, pour lui, le devoir, sans la reconnaissance duquel toute société humaine est impossible, le devoir est un mot vide de sens, parce qu'il est dépourvu de sanction aussi bien que de cause. Aussi, l'épithète railleuse de morale de l'avenir, qui a été donnée à la morale tirée des enseignements positivistes, ne peut être acceptée autrement qu'avec cette acception moqueuse et ironique; car, en réalité, cette prétendue morale de l'avenir, qui replace la force au sommet de l'édifice social, qui préconise la sélection des forts et la disparition des faibles dans le combat vital, qui légitime tous les despotismes et doit appeler à leur aide toutes les superstitions; cette morale, cette morale de l'avenir qui, pour améliorer les types, ne craindrait pas d'imiter Sparte, et de rejeter vers la mort les types défectueux; cette morale, disons-nous, bien loin d'être la morale de l'avenir, est la morale du passé.

H.-C. MAILFER.

ETAT ACTUEL

DE

L'ÉCONOMIE POLITIQUE EN ALLEMAGNE

(Troisième article 1.)

I. LA DISTRIBUTION, PAR M. MITHOFF, PROFESSEUR A DORPAT. La production et la distribution des richesses (ou des biens économiques) ont toujours été considérées comme les deux principales branches de l'économie politique et, selon les tendances des auteurs, on peut dire aussi selon les époques, c'est tantôt à la production, tantôt à la distribution que le premier rang a été attribué 2. En tout cas, puisque nous avons traité de la production, il est naturel de nous étendre aujourd'hui, dans les limites de l'espace dont nous disposons, sur la distribution, sans nous prononcer autrement sur ce débat.

Dès l'abord nous sommes obligé de nous plaindre d'une obscu rité dans la définition de M. Mithoff. Il dit: le produit net total de la production nationale forme le revenu total du peuple (de la nation?). Le produit net? Puisque ce revenu est « le résultat des efforts de tous », c'est, il semble, le produit brut qu'il devrait dire. En effet, voici des souliers qui sont vendus 20 francs. Ils produisent 2 fr. de bénéfice au patron, 6 fr. de salaires aux ouvriers cordonniers, 1 fr. de bénéfice au fabricant de cuir, tant aux ouvriers tanneurs, aux cultivateurs, aux forestiers et autres qui ont contribué tant soit peu à la production; ou le produit net de M. Mithoff

1 Voy. les livraisons de mars et de juin 1883. Nous n'avons pas besoin de rappeler que nous analysons et apprécions le Handbuch ou Manuel d'économie politique, de MM. Schönberg et autres, qui a paru, en deux forts volumes, à la librairie Laupp, de Tubingue.

Nous n'admetto ns pas, comme le soutiennent quelques professeurs de l'école socialisante, que les économistes se préoccupent surtout de la production et les socialistes de la distribution. Les économistes font à la distribution la part qui lui est due, les socialistes et « leurs protecteurs » voudraient l'avantager; les économistes pensent qu'en décrivant comment s'opère la production, on indique implicitement comment la distribution doit se faire; mais les choses sont devenues moins simples de nos jours.

comprend-t-il tout, sauf les déchets, le coulage, l'ouillage et le mouillage (encore les déchets aussi doivent-ils être payés), ce qui voudrait dire ici que les 20 francs ne se distribuent pas en entier, mais qu'un certain nombre de centimes se perdent et deviennent la part de la destruction, sans profit pour personne? On comprend clairement ce qu'on entend par le produit net d'un particulier, mais non ce que serait le produit net d'une nation.

Voici une autre proposition: « La situation économique (richesse, aisance, pauvreté) de chaque citoyen dépend, d'une part, de la grandeur du revenu national, et de l'autre de sa distribution plus ou moins égale. » Cette proposition renferme sa part de vérité. Nous consentons même à lui trouver un sens qui en ferait une vérité absolue, mais une de ces vérités stériles comme M. de La Palisse savait les formuler, ou aussi comme celle que M. Schäffle a énoncée tout récemment : «La meilleure distribution et celle qui rend tout le monde heureux », c'est la traduction très peu littérale, mais assez fidèle de cette proposition: Der an Vervollkommnung der Gesellschaft fruchtbarste Einkommensprocess ist das Ideal volkswirthschaftlicher Vertheilung der Güter durch die Gesammtheit aller Einkommen (Handbuch, p. 435). Des formules de cette nature, qui sont fort à la mode de nos jours, n'ont d'autre effet, et souvent pas d'autre but, que de jeter de la poudre aux yeux. Si vous admettez la liberté des transactions, la distribution se fera conformément à la nature des choses; si vous fixez les conditions arbitrairement, c'est-à-dire selon votre appréciation, vous causez d'autant plus de mal que vous faites plus de violence aux choses. Je ne prétends pas dire par là que la liberté soit infaillible et qu'elle ne puisse produire aucun mal; j'admets qu'elle en produise beaucoup, mais votre intervention en produira davantage, si elle va au delà de l'exercice des grands pouvoirs ou devoirs de l'Etat justice et protection. Ainsi, nous ne pouvons pas exercer d'influence sur la situation sans fixer le montant des salaires; approuvez-vous cette fixation? La grande majorité des rédacteurs du Handbuch ne l'admet pas. A quoi servent alors des phrases comme celle de M. le professeur Wagner citée p. 435 en note? Il veut que la fortune nationale s'accroisse sans cesse et que la distribution se fasse d'une façon telle que chacun ait un revenu suffisant pour satisfaire complètement (vollständig) à tous ses besoins physiques et moraux. Tout le monde, depuis l'empereur de Chine jusqu'au dernier mendiant européen, sera de l'avis du savant professeur de Berlin; nous reprochons seulement à M. Mithoff d'avoir cité cette phrase sans avoir indiqué en même temps la manière de résoudre le problème.

L'auteur distingue ensuite les différentes sortes de revenus (ou les éléments du revenu), qui sont: 1o la rente du sol ou la rétri bution pour l'usage du sol, c'est le revenu du propriétaire foncier; 2o le salaire, rétribution pour l'usage de la « faculté de travail », c'est le revenu des travailleurs; 3° les intérêts, rétribution pour l'usage du capital, ou le revenu du capitaliste; 4° le bénéfice de l'entrepreneur, la rétribution pour la peine, le risque, la direction de l'entreprise, c'est le revenu de l'entrepreneur (fabricant, patron). M. Mithoff reconnaît comme légitimes ces éléments de la production ou de la distribution, mais, à l'exemple de ses savants maîtres MM. Wagner et Schäffle, il nous fait connaître son «< idéal », il veut que chacun ait un résultat net de la production, une part égale à celle pour laquelle il y a contribué. Il nous semble que cet idéal ressemble tout à fait à l'idéal d'Adam Smith, ou à celui de Turgot et autres. Au moyen de la distribution, chaque coopérateur doit retirer de la production une part proportionnelle à sa mise.

M. Mithoff fait ensuite un très bon exposé des opinions émises sur chacun de ces éléments du revenu; il y a là beaucoup de choses nécessairement admises ou connues de tous les économistes et que nous pouvons passer sous silence; nous ne nous arrêterons qu'aux points controversés.

Commençons par la rente du sol. On sait que la rente est un élément abstrait, ou une partie du fermage; nous disons abstrait, parce qu'il serait bien difficile de le traduire en chiffres. On en a même nié l'existence et soutenu que le fermage en entier représente le capital employé pour le défrichement et la mise en culture de la ferme. M. Mithoff combat cette manière de voir, et avec raison; le taux du fermage ne dépend pas uniquement des dépenses que le propriétaire a consacrées à sa terre; la fertilité naturelle du sol y est pour quelque chose. Et cela est évident. Pourquoi payet-on quelqu'un ou quelque chose? 10 parce qu'on en obtient ou qu'on en attend des services; 2° parce qu'on ne peut pas avoir ces services pour rien. Or, il y a un rapport entre le service et le montant de la rétribution: si vous me louez un champ qui rapporte 10 hectolitres de blé je vous donne tant, et je vous payerais davantage s'il me rapportait 20 hectolitres. La rétribution tend à être proportionnelle au service rendu.

La question de savoir si l'on paye ou ne paye pas les forces naturelles est moins importante que l'on croit, car les forces naturelles ne sont pas isolées, mais attachées à l'instrument; c'est cet instrument, le moulin, et non le vent, ou l'eau, la vapeur (c'est-àdire la force) qu'on vend. De même le champ est l'instrument par

lequel nous faisons pousser les plantes, et nous vendons ou louons plus cher l'instrument puissant que l'instrument faible. On voit que nous étendons le sens de la rente; pour nous c'est tout privilège naturel, même une belle voix, un talent dont on paye les services à l'heureux possesseur. Cette manière de voir a été exprimée en Allemagne par Herrmann, Mangoldt et plus tard par M. Schäffle. En France elle a été émise (peut-être en premier entre tous) par M. Boutron (Théorie de la rente foncière, Paris, Guillaumin, 1867) dans un livre couronné par l'Institut en 1858. Hippolyte Passy, dans son Rapport, dit : « Jusqu'ici l'idée que la rente était un attribut particulier à la terre avait dominé les esprits 1; l'auteur avait eu le mérite de démontrer définitivement qu'elle apparaît dans les fruits que produisent tous les emplois de l'activité humaine, aussi bien dans ceux que laisse l'exercice des arts manufacturiers et des professions lettrées ou simplement manuelles, que dans ceux que fournit la terre, et que, dans tous les cas, elle a pour source des dons que la nature ne répartit pas également, soit entre les personnes, soit entre les choses. >>

Nous ne poursuivrons pas plus loin ce point, l'extension de l'idée de la rente, mais nous toucherons en passant à un autre, l'objection faite par Carey. M. Mithoff démontre aisément que cette objection tombe dans l'eau, car l'ordre dans lequel les différents terrains ont été mis en culture est d'importance secondaire; ce qui produit la rente, c'est qu'il y a des degrés différents de fertilité. En analysant le travail de M. Mithoff et en nous rappelant une récente discussion, nous avons voulu relire les principaux passages de Carey pour voir si nous en aurions la même impression qu'il y a une vingtaine d'années. Elle est, si c'est possible, encore plus défavorable. Vous paraît-il possible, ô lecteur, que les colons choisiront de préférence les plus mauvaises terres? Prenez le livre de Carey, Principles of social Science (Philadelphia, J.-B. Lippincott et C., 1858, t. I, p. 108 et suiv.); l'auteur, en accumulant nombre de faits, croit avoir prouvé sa thèse, il l'a si peu prouvée, que nous nous demandons s'il a pu espérer qu'on la prendra au sérieux.

Revoyons d'abord les œuvres de Ricardo, édition Guillaumin (1882), page 36; on y lit : « C'est donc uniquement parce que la terre varie dans sa force productive, et parce que, dans le progrès de la population, les terrains d'une qualité supérieure, ou MOINS BIEN SITUÉS, sont défrichés, qu'on en vient à payer une rente pour avoir la faculté de les exploiter. » Donc, non seulement la qualité des terrains, mais aussi leur situation, et sans doute aussi les au

1 Ad. Smith et Ricardo parlent d'ailleurs aussi des mines.

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