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vingt hommes qui la conduisaient, ayant haches et glaives. Jeanne pleurait très fort. La compassion me prit. Je n'eus pas la force d'aller jusqu'au lieu du supplice.

...

Déposition de Guillaume de la Chambre, médecin.

J'ouïs dire que les Anglais avaient amené Jeanne à reprendre l'habit d'homme. On racontait que les habits de femme lui avaient été soustraits et les habits d'homme mis à la place d'où cette conclusion qu'on l'avait injustement condamnée.

J'assistai à la dernière prédication qui fut faite au VieuxMarché, à Rouen, par maître Nicolas Midi, après laquelle Jeanne fut brûlée. Les fagots étaient tout prêts et Jeanne faisait de si pieuses lamentations et exclamations que beaucoup pleuraient. Quelques Anglais riaient ; j'entendis Jeanne prononçant ces mots ou d'autres semblables: << Ha! Rouen ! j'ay grant paour que tu ne ayes à souffrir de ma mort ! » Un moment elle se mit à crier « Jésus ! » et à invoquer saint Michel. Puis elle expira dans les flammes.

Déposition de Guillaume Boisguillaume, greffier.

J'ouïs dire en ce temps-là que le jour où il vit Jeanne. condamnée à mort, Loyseleur eut le cœur torturé par le remords et voulut monter sur la charrette pour crier pardon à Jeanne. Cela indigna les nombreux Anglais présents, si bien que sans l'intervention du comte de Warwick, Loyseleur eût été tué. Le comte enjoignit à Loyseleur de sortir de Rouen au plus vite s'il tenait à la

Déposition de Jean Riquier, curé d'Heudicourt.

Maître Pierre Morice visita Jeanne dès le matin avant qu'on la conduisît au prêche du Vieux-Marché. « Maître Pierre, lui dit-elle, où serai-je ce soir? - N'avez-vous pas bonne espérance dans le Seigneur? répondit maître Pierre. Oui, reprit-elle. Dieu aidant je serai en para

dis. » Maître Pierre m'a raconté cela.

Quand Jeanne vit mettre le feu au bûcher, elle se mit à crier d'une voix forte : Jésus ! et toujours, jusqu'à son trépas, cria: JÉSUS!

Une fois morte, les Anglais, redoutant qu'on ne fit courir le bruit qu'elle s'était échappée, ordonnèrent au bourreau d'écarter un peu les flammes pour que les assistants la pussent voir morte.

Pendant l'exécution, maître Jean Alépée, alors chanoine de Rouen, était à mes côtés. Il pleurait que c'était merveille et je lui entendis dire : « Plut à Dieu que mon âme fût au lieu où je crois être l'âme de cette femme. »

Extrait du « Journal de Paris ».

Jeanne fut bientôt estainte et sa robe toute arse (toute brûlée); et fut veue de tout le peuple toutte nue et tous les secretz qui peu[v]ent estre ou doibvent en femme, pour oster les doubtes du peuple. Et quand ils l'[eu]rent assez à leur gré veue, toutte morte, le bourrel remist le feu grant sur sa p[a]u[v]re charongne qui tantôt fut toutte comburée et os et cha[i]r mis en cendre.

JÉRÔME SAVONAROLE

A FLORENCE, LE 23 MAI 1498.

Les tentatives plus généreuses qu'utiles pour innocenter Alexandre VI des infamies sans nombre et sans mesure qui souillèrent sa vie privée et son pontificat sont demeurées sans résultat. Ce « monstre », ainsi que l'appelait Joseph de Maistre, occupa le trône pontifical pendant onze années (1492-1503). Le récit de sa vie privée avant et depuis son élévation à la tiare souillerait les pages de ce livre. Sa conduite comme prince temporel n'est pas moins répréhensible. Avide d'assurer à ses fils la souveraineté de l'Italie centrale, il ne recula pas devant le démembrement à leur profit du domaine patrimonial de l'Eglise. Les chrétiens soucieux de l'honneur de cette Eglise ne purent se résoudre à un tel spectacle et il s'en trouva un grand nombre pour se jeter à corps perdu dans un essai de réforme générale prêché à Florence par un dominicain du couvent de San-Marco, le frère Jérôme Savonarole, né à Ferrare en 1452. Servi par un incomparable talent oratoire, Savonarole s'éleva contre la dépravation qui régnait à Florence, contre les tendances immorales et antichrétiennes de l'humanisme contempo

rain, contre la politique corruptrice du pape et des Médicis. Le roi de France, Charles VIII, ayant expulsé les Médicis de Florence, le pouvoir politique passa aux mains du parti populaire dirigé par Savonarole, dont la prédication dépassa souvent en véhémence celle des vieux prophètes de la Judée. Un si rare talent, un pouvoir absolu, des erreurs de jugement et de conduite, devaient ameuter contre lui une foule d'ennemis qui le dénoncèrent à Alexandre VI. Mandé à Rome pour s'y disculper, Savonarole ne s'y rendit pas et déclara qu'Alexandre, étant coupable de simonie, n'était point pape à ses yeux. L'excommunication fut alors lancée contre le tribun et l'interdit jeté sur Florence. Ce serait s'écarter du cadre de ce Recueil que de suivre l'histoire passionnante de la prédication de Savonarole; elle nous imposerait d'ailleurs la discussion des idées émises par lui, discussion qui est étrangère à notre dessein. C'est donc seulement la période des derniers jours qui appartient à ce livre, c'est elle que nous allons retracer en nous aidant des documents contemporains.

Le procès nous a été conservé par Mansi avec quelques altérations et par Quétif, mais d'une manière incomplète. C'est le procès rédigé par Ser Ceccone avec une partialité inique, en s'aidant des aveux de fra Girolamo pendant la torture, aveux arrangés impudemment mais avec tant de maladresse et, pour dire le mot, de folie, qu'ils portent avec eux la marque de l'imposture. Ce procès est devenu, dans l'édition princeps, une rareté bibliographique. Ceci s'explique en disant que la Seigneurie elle-même donna ordre de la retirer de la circulation, à la suite du scandale que provoquait un pareil document.

On a dit qu'il avait existé un procès authentique et un

procès-verbal des interrogatoires rédigé avec fidélité, mais que cette pièce fut confiée à un tiers, ou dérobée jusqu'après la mort de fra Girolamo. Le bruit courut qu'un certain Jean Berlinghieri en était détenteur. Fra Benedetto et le P. Marco della Casa s'en portent garants et disent en avoir eu connaissance; mais J. Berlinghieri anéantit lui-même avant de mourir le précieux docu

ment.

Un troisième procès, celui du 19 avril, aurait été rédigé encore par Ser Ceccone avec son infidélité ordinaire; Vivoli prétend avoir vu les pièces sincères sur lesquelles il établit ses impostures.

Enfin l'instruction faite au mois de mai, ou quatrième procès, fut dirigée par les commissaires du Saint-Siège. En définitive, il faut user du procès de Ser Ceccone qui, à travers ses impostures, garde une trame de vérité et contient d'utiles enseignements.

En l'année 1497, fra Dominique Buonvicini, compagnon de fra Jérôme Savonarole, prêchant à Prato, avait été défié par un franciscain nommé fra Francesco di Puglia qui prêchait dans une autre église. Fra Francesco lui proposa d'entrer avec lui dans le feu pour voir, par cette épreuve, lequel des deux avait raison. Fra Domenico accepta de grand cœur. Le jour fixé, le franciscain avait disparu et ne se laissa plus trouver.

Fra Girolamo était persuadé de l'efficacité de ces sortes d'épreuves, et dans les premiers jours du mois de janvier de l'année 1498 il proposa de gravir une colline avec ses adversaires, le Saint-Sacrement dans les mains, et là, de prier Dieu de faire descendre le feu du ciel sur ceux qui ne marcheraient pas dans les voies de la vérité. Vers le même temps il écrivit au pape, au général de son ordre

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