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d'ailleurs avait été faite par fr. Domenico da Pescia, car dans un de ses sermons il suppliait l'Empereur de la part de Dieu de ne pas faire du mal à la ville de Florence, mais plutôt de rentrer dans ses Etats par le même chemin; et il ajoutait qu'il en serait ainsi.

Je ne puis passer sous silence ce qui eut lieu pendant que j'étais à Fiesole avec le fr. Jérôme, fr. Dominique et fr. Malatesta. Le fr. Malatesta se tourne un soir vers le fr. Dominique, qui n'avait pas encore parlé en public de la situation actuelle, et lui dit : « Fr. Dominique, que dites-vous de cette affaire de l'Empereur? - Livourne ne sera pas prise, répondit fr. Dominique, et six jours ne s'écouleront pas que l'Empereur s'en retournera par où il est venu sans faire aucun mal aux Florentins; seulement la confusion le couvrira lui et ceux qui l'ont appelé ». Or c'était le duc de Milan et plusieurs citoyens de Florence qui désiraient remanier à leur guise le gouvernement d'alors. Alors fr. Malatesta se tourna vers moi et dit : « Si les hommes voient l'effet concorder avec la prédiction, je ne puis pas comprendre comment on pourrait douter encore. » Ce fut, en effet, l'un des plus grands événements arrivés depuis des centaines d'années, surtout si l'on pense qu'il connaissait également ce qui se passait sur terre et sur mer pendant ces mêmes jours. Plus tard, des navires de Venise se trouvant près du port, un grand désordre se mit parmi eux, et l'un d'eux barra le passage. Le capitaine fut fait prisonnier, et comme quelques Florentins lui disaient de prendre son mal en patience, il répondit: « Je regarde comme un grand honneur d'être le prisonnier non point de la république de Florence, mais de Jésus-Christ, puisque, comme je le constate, c'est lui qui

est le roi de cette cité. » Et tout se passa comme il leur avait été dit.

Plusieurs fois il avait annoncé que les renards mangeraient les poules et cela eut lieu. Quelques hommes très rusés et des premiers citoyens de la cité s'entendirent pour rétablir secrètement Pierre de Médicis à Florence; le complotfut découvert et les coupables, B. del Nero, N. Ridolfi, G. Pucci, L. Tornabuoni, G. Cambi mis à mort. Puis on demanda à fr. Jérôme si c'était à cela que se rapportait sa prophétie. Il répondit évasivement qu'il voulait parler d'un plus gros renard. Aujourd'hui je crois qu'elle s'est vérifiée dans le duc de Milan, dans Monseigneur Ascagne et dans la trahison faite en faveur des Médicis. Nous verrons plus tard.

A fr. Valori, quand il fut en dernier lieu gonfalonier de la justice, il prédit que s'il ne punissait pas tous les coupables, Dieu lui ferait subir à lui les châtiments qu'il aurait épargnés aux autres: il n'avait donc rien à redouter, quoique les affaires lui parussent d'importance, puisque c'est pour cela que Dieu l'avait élevé à cette dignité. Et cela je le lui ai entendu dire dans une chambre d'infirmerie, il tenait ces propos à l'un des seigneurs nommés en même temps que fr. Valori, et le priait de les lui répéter de sa part. Plus tard, le Père les lui dit à lui-même, et tout se réalisa à la lettre, car il eut tous les dossiers en main, et ses compagnons étaient tout disposés à faire justice s'il l'eût voulu; mais comme il ne fit pas son devoir, intimidé qu'il était par le nombre des coupables, ceux-ci lui firent subir à lui-même les peines que sa miséricorde leur avait épargnées.

Un soir, à Fiesole, il dit à ses frères : « Qu'il ne prenne à personne la fantaisie de prophétiser, parce que Dieu fait

faire à ses prophètes des choses qui paraissent contraires à la nature et à toute raison humaine, et qu'il faut cependant qu'elles se fassent. » Ces paroles ne furent comprises qu'après sa mort. Plus tard, dans l'explication qu'il fit des psaumes de la pénitence, il omit le Miserere et passa aux suivants. Les frères lui en demandèrent la raison. « Vous l'entendrez volontiers, dit-il, quand le moment sera venu, et que je le commenterai en son temps. » C'est ce qu'il fit d'une manière admirable pendant qu'il était en prison.

A l'époque où la peste se déclara à St-Marc, le fr. Maruffi venait du dehors pour voir le fr. Jérôme; il rencontre le fr. Domenico da Pescia, et s'écarte; alors le P. Jérôme lui dit : « Pourquoi avoir peur? Ne savonsnous pas quelle mort nous attend? Il n'y a que l'heure qui nous échappe. » C'est ainsi que plusieurs fois il

annonça sa mort.

Remarquez la manière dont il s'exprima dans un sermon donné dans le palais des Seigneurs en décembre 1493. Je l'ai entendu moi-même : « Écoute ce que je te dis, et ne l'oublie jamais. Tu provoqueras Dieu contre toi. Car un temps viendra où les innocents seront accusés, et par les tourments on les contraindra à se dire coupables d'actes qu'ils n'ont point commis, on les punira pour des crimes dont ils sont innocents, et ainsi tu provoqueras la colère de Dieu contre toi, qu'il n'y a rien qui irrite autant le Seigneur. » Et dans le même sermon il dit encore : « La cité se divisera en deux camps, celui des bons et celui des mauvais. » En outre, prêchant un jour à Santa-Reparata et voyant la foule qui l'écoutait, afin de pouvoir contenter tout le monde, il donna rendez-vous pour tel jour sur la place de Saint

Marc. Quand tout le peuple fut réuni, il monta sur la plus haute marche de l'escalier de Saint-Marc, là il entra dans la chaire qu'on lui avait préparée et avec le SaintSacrement dans la main fit mettre tout le peuple à genoux et lui dit : « Priez tous le Seigneur de faire descendre sur moi le feu du ciel et de me brûler en votre présence si je vous dupe. » Cette scène dura un quart d'heure, pendant lequel le peuple pleurait et implorait le secours de Dieu.

Il faut remarquer que lorsqu'il parla de l'épreuve du feu, beaucoup d'hommes, de femmes, d'enfants, s'offrirent, même par écrit, pour la tenter, persuadés qu'ils sortiraient indemnes.

Un jour que le Père était avec moi dans le jardin, un enfant de grande beauté lui présente une cédule dans laquelle il s'offrait pour subir l'épreuve du feu, et comme si l'écrit ne suffisait pas, il se prosterna jusqu'à terre et supplia qu'on lui accordât cette permission. Le P. Jérôme lui dit : « Va, cher enfant, ce désir est bon et il a grandement fait plaisir au Seigneur, » et il me dit alors : << J'ai reçu beaucoup de cédules de cette sorte, mais aucune ne m'a fait autant de plaisir que celle de cet enfant. Que Dieu soit loué! >>

Notez, quant au procès, que quand fr. Jérôme fut dans le palais, G. Berlinghieri, membre de la Seigneurie et président, se fit apporter tous les papiers qui étaient renfermés dans le bureau du Père et il en donna quelques-uns à ses amis, il eût même son propre procès de la main de fr. Jérôme. Il ne voulut jamais le communiquer à personne. Finalement, sur le point de mourir, il le fit brûler secrètement. Et quand ensuite on le lui demandait il répondait : « Hélas! si je le

faisais connaître, certainement on couperait en morceaux 400 citoyens de cette ville, » voulant dire par là que les accusations portées ne valaient pas une simple chiquenaude.

Notez que fr. Jérôme raconta au susdit comment on avait tenté trois fois de l'empoisonner, et la dernière tentative était due aux hommes du duc de Milan qui lui avaient donné une lamproie. Mais un signe de croix l'avait sauvé. Le même duc avait envoyé des hommes de même acabit avec ordre de l'assassiner coûte que coûte. Il y eut encore quinze citoyens qui firent entre eux le serment de lui ôter la vie. Mais l'un d'eux, touché de repentir, révéla le complot à fr. Barthélémy de qui je le tiens. A cette époque les portes du couvent étaient rigoureusement gardées, on ne laissait entrer que ceux qui avaient été préalablement examinés de très près, et même encore avait-on donné à fr. Jérôme un ais pour se défendre contre une attaque inopinée, aussi n'allait-il jamais que sous bonne escorte jusqu'à Sainte-Marie-desFleurs. Notez encore que fr. Jérôme fut abandonné de ses frères, et les séculiers ses amis devinrent si peu nombreux qu'on les aurait comptés avec le nez (sic).

Enfin, notez au sujet de son procès et de sa mort comment un jour un des citoyens considérables de ceux qui examinèrent fr. Jérôme dans sa boutique approvisionnée d'étoffes de laine ou de soie dit en parlant avec Maître Ceccone : « Quoi donc, le frate n'a rien avoué? alors nous sommes vaincus et ce peuple nous lapidera », et autres propos semblables. « Laissez-moi faire, répliqua Ceccone, je m'arrangerai pour qu'il n'en soit pas ainsi. » C'est ce qu'il fit. Je tiens ceci de quelqu'un qui était caché dans une soupente au-dessus d'eux, tandis qu'ils pensaient être seuls. Mais tout se sait.

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