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l'aumônier à propos d'un incident survenu à Orléans tandis que Jeanne était logée près de la porte Bannier 1. A travers ce que les dépositions conservent d'imprécis, on croit saisir que Jeanne, étant seule dans sa chambre, fut avertie surnaturellement d'une attaque inopinée de l'ennemi. Encore une fois, nous ne faisons rien de plus que d'indiquer des directions de recherches, n'ayant ni le loisir ni la capacité de nous y engager.

Ces communications visaient-elles un fait déterminé, c'est-à-dire comportaient-elles une instruction spéciale en vue de ce fait, par exemple la révélation d'une disposition stratégique ou d'une formation tactique à adopter? C'est une autre question qui sollicite l'étude. Et puisque nous en sommes à ouvrir des perspectives, ajoutons, pour en augmenter l'intérêt et le charme, qu'elles sont demeurées jusqu'aujourd'hui un mystère. La possibilité même de l'initiation miraculeuse de l'intelligence en matière d'art militaire n'a pas été indiquée, ni soupçonnée peut-être, par l'auteur d'un livre devenu classique sur la Mystique divine, M. le chanoine Ribet. Une question préjudicielle est celle de la compétence de Jeanne et son rôle personnel dans les actions militaires où elle a eu le commandement. Il était de notoriété publique, au dire de maître Aignan Viole, <«< que Jeanne était aussi experte que possible dans l'art

1. Ajouter le témoignage formel de maître Aignan Viole, avocat au Parlement : « Je n'ai connu la Pucelle, dit-il, qu'au siège d'Orléans. Elle fut logée en ville chez Jean Bouchier. J'ai bien souvenir qu'un jour après diner, — ce fut le jour où la bastille de Saint-Loup fut prise, Jeanne qui dormait s'éveilla tout à coup et dit : « En nom Dieu, nos gens ont bien à besoigner. Apportez mes armes et amenez mon cheval. >>

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d'ordonner une armée en bataille et que même un capitaine nourri et élevé dans la guerre n'aurait su montrer tant d'habileté de quoi les capitaines étaient singulièrement émerveillés. » Sur ce point encore, malgré des études récentes, la question reste entière. Le livre de M. le capitaine d'artillerie Paul Marin est loin de réaliser tout ce que son titre promet et de contenir tout ce qu'il devrait .

C'en est assez sur un sujet que nous ne voulons ni ne pouvons traiter à fond; ce qui précède suffit, nous l'espérons, pour faire entrevoir l'intérêt qui s'y attache et les conséquences très originales qui en devront sortir.

Il n'y a qu'un petit nombre de personnages qui puissent rivaliser avec Jeanne d'Arc pour l'ardeur des passions soulevées autour de sa mémoire, et pour le mystère persistant sur sa mission, son œuvre et son abjuration. Jeanne est présentée tour à tour comme une sorcière, comme une voyante, comme une martyre, et comme une intrigante.

Dans la première partie du Roi Henri VI, Shakspeare voit dans Jeanne une démoniaque. C'était ainsi que les Anglais, ses contemporains, la jugeaient. Cependant, plus lucide que ses compatriotes, Shakspeare entrevoit la raison profonde de cette vie dont le mobile lui échappe. Grâce à sa pénétration, il semble avoir pressenti le patriotisme de Jeanne d'Arc à travers l'abnégation surhu

1. Jeanne Darc tacticien et stratégiste, in-12, Paris, 1890, 4 vol.

maine qui ne lui apparaît pourtant que comme une frénésie diabolique. Mais ce n'est qu'une lueur. La Jeanne d'Arc de Shakspeare est une conception mal venue, un personnage conventionnel, tapageur et endiablé. Écoutons-la1:

« Le régent triomphe, et les Français fuient ! Venez à notre secours, paroles magiques, charmes puissants; et vous esprits supérieurs qui m'instruisez de l'avenir et me faites prévoir les événements. (On entend un coup de tonnerre.) Vous, Génies légers, qui servez sous les lois du souverain monarque du Nord, paraissez et secondez-moi dans cette entreprise. (Paraissent les démons.) A cette prompte apparition, je reconnais votre obéissance ordinaire à ma voix. Maintenant, esprits familiers, qui sortez du redoutable empire des régions souterraines, assistezmoi aujourd'hui et faites que la France ait la victoire ! (Les démons se promènent en silence.) Ah! ne gardez pas plus longtemps ce morne silence. - Faut-il vous abreuver de mon propre sang? Je vais me couper un membre et vous le donner pour gage d'un plus riche salaire; consentez donc à m'assister. (Les démons baissent la tête.) N'est-il plus d'espoir de secours? - Eh bien, si vous m'accordez ma prière, mon corps sera le prix dont je paierai votre bienfait. (Les démons secouent la tête.) Quoi? le sacrifice de mon corps et de mon sang ne peuvent vous toucher et obtenir votre assistance accoutumée ? Prenez donc mon âme. Oui, mon corps, mon sang, mon âme, tout plutôt que de laisser la France succomber sous l'Angleterre. (Les démons s'évanouissent.) Hélas, ils m'abandonnent! L'heure est donc venue où la France doit

1. Henri VI, 1re partie, acte V, sc. 3.

couvrir d'un voile son superbe panache et laisser tomber sa tête dans le giron de l'Angleterre. Mes anciens enchantements sont impuissants, et l'enfer est trop fort pour que je lutte contre lui. C'en est fait, ô France, ta gloire va tomber en poussière. »

Ces diableries bouffonnes sont, à la date où Shakspeare en fait usage, condamnées à disparaître dans un avenir peu éloigné. Jeanne ne paraîtra plus guère en sorcière que dans quelques ouvrages attardés et tombés vite dans l'oubli. Quelques lignes plus loin, le dramaturge anglais s'efforce d'insinuer un rapide soupçon sur la vertu de Jeanne. C'était, nous le verrons au cours de ce livre, le thème préféré de beaucoup de ses compatriotes lorsqu'ils cherchaient à insulter la jeune fille.

Un certain Glasdal, le promoteur du procès criminel Jean d'Estivet et Shakspeare sont les premiers vulgarisateurs d'une infamie qui trouvera chez Voltaire sa forme dernière. On n'en saurait dire plus sur un tel sujet et l'idée la plus exacte que peuvent s'en faire ceux qui ne veulent pas lire La Pucelle, c'est qu'on n'en peut rien dire, rien citer. La dynastie infâme de Voltaire se perpétue jusqu'à nos jours et l'érudit ne peut se défendre d'une sorte de dégoût, en constatant sur notre sol l'indestructible vitalité de ces larves déshonorées auxquelles il faut infliger cette honte de ne les nommer point.

D'autres sont venus qui ont fait de Jeanne une hallucinée. Explication plaisante si elle n'était souvent le témoignage d'une préoccupation condamnable. Ceux qui ont adopté cette explication s'y sont résignés, afin de n'avoir pas à se rendre à la conclusion dogmatique qui découle de la constatation des faits surnaturels. M. Henri Martin fut sinon l'inventeur, il eût été bien embarrassé

d'inventer chose au monde, du moins le vulgarisateur patenté de cette imagination qui aboutit à faire de Jeanne d'Arc une somnambule.

Nous pourrions faire à quelques autres fantaisies l'honneur de les mentionner, mais le lecteur n'y trouverait sans doute ni plaisir ni profit. Nous laissons donc ces tristes et ridicules inventions qui ne semblent, à la distance morale où nous en sommes, que de coupables travestissements. Ni « amazone », ni «luronne »>, mais simple, naïve, éveillée, pure comme un ange et vaillante comme un archange, telle fut Jeanne.

Cette Jeanne, celle du procès criminel et du procès de réhabilitation, a été entrevue par quelques âmes très ardentes ou très sincères. Déjà sa contemporaine Christine de Pisan la désigne comme l'envoyée de Dieu que soutient l'inspiration divine, sans laquelle elle ne serait qu'une simple et ignorante bergère :

Considérée ta personne
Qui es une jeune pucelle

A qui Dieu force et pouvoir donne
D'être le champion, et celle
Qui donne à France la mamelle
De paix et douce nourriture,
A mettre à bas la gent rebelle,
Voici bien chose surnaturelle.

Si Josué fit de grandes actions, « il était homme, fort et puissant » ; mais Jeanne n'est qu'une simple bergère plus brave que jamais homme, car tous les preux aux longues aventures ne lui peuvent être comparés. Christine compare Jeanne à

Hester, Judith et Debora

Qui furent dames de grand prix
Par lesquelles Dieu restaura
Son peuple qui étoit fort pris

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