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ture; leurs cheveux huilés sont nattés de cent manières différentes, toutes plus curieuses les unes que les autres. Il en est d'extrêmement originales et de fort coquettes. Ces nègres, précédés de leurs linguisters (courtiers), vêtus de leurs plus riches atours, portent sur leurs épaules une défense ou plusieurs si elles sont petites. Ces défenses sont maintenues par quatre petits morceaux de bois mis en long et reliés entre eux par des lianes. Chacune de ces enveloppes comprend trois de ces sortes de petits cylindres en bois. L'un est placé au centre, les deux autres aux extrémités de la dent. Rien n'est plus étrange que le défilé de ces sauvages ainsi chargés. »

Le Portugal prétend à la suzeraineté sur tous les pays du Congo. En fait, cette suzeraineté n'existe que dans la région du Sud, c'est-à-dire au Banguela et dans l'Angole; dans le Congo propre, elle est fort contestée, et dans le Loango absolument nulle. La rivière Lotzé, ou Bamba, qui vient se jeter dans la baie d'Ambriz par les 7° 48' de latitude sud, peut-être considérée comme la limite septentrionale des possessions portugaises. Quatre ou cinq heures de marche séparent Kinsembo d'Ambriz, située sur une falaise, au fond de la baie du même nom. Au bas de la falaise est un factionnaire portugais et poursuit-on sa route, on passe de la plage devant un pont de fer où se font les embarquements et devant les bâtiments de la douane. Au haut de la falaise se rouvent un hôpital, puis des maisons construites en pierres badigeonnées de chaux et couvertes en tuiles; d'autres en planches, quelquesunes en petits bois reliés entre eux avec des lianes et couvertes en paille, le tout placé au goût du propriétaire, sans symétrie et sans régularité. Ajoutez à cela un fort, vous aurez une idée de la ville. Ambriz fait beaucoup de commerce; des Mossulos, peuplade indépendante dont le territoire s'étend jusqu'à Saint-Paul de Loanda, y apportent une grande quantité de café, de gomme élastique, d'arachides, d'écorces de baobab. A environ un mois de marche dans l'intérieur, se trouvent les mines de Bambe qu'exploite le gouvernement portugais, mais d'une façon peu effective, il faut en convenir. Depuis l'abolition de l'esclavage, leur exploitation est devenue très coûteuse et très difficile. Il fallait former chaque mois, à grands frais, de longues caravanes pour transporter les approvisionnements nécessaires et en rapporter le minerai de cuivre. Les dangers auxquels sont exposés quelques blancs isolés à une centaine de lieues dans l'intérieur et les difficultés de transport ont rebuté les plus entreprenants et intimidé les plus audacieux.

Saint-Paul de Loanda ou Loanda seulement, comme on l'appelle d'ordinaire, est non seulement le chef-lieu de la province d'Angole, mais encore la plus ancienne ville et peut-être la plus grande de toute la côte occidentale d'Afrique. Loanda reprend peu à peu, grâce au commerce, son ancienne splendeur. Elle possède une population évaluée à

15.000 âmes, en ce qui concerne seulement les blancs et les mulâtres. Sa rade, immense et sûre, est une des plus belles qui soient au monde : elle est protégée par un fort et défendue par une garnison d'un millier de soldats, tant portugais que nègres. Elle est reliée à la métropole et aux îles lusitaniennes de la côte occidentale par un service régulier de bateaux à vapeur, qui en partent pour se rendre en Angleterre et à Hambourg. Loanda, enfin, a un séminaire, où se forment les missionnaires et les instituteurs qui vont à l'intérieur du pays catéchiser les indigènes et leur inculquer les premiers rudiments du savoir européen. Chemin faisant, M. Jeannest donne de fort intéressants détails sur la manière de vivre, tant matérielle que morale de ces populations. Les noirs de l'intérieur paraissent en général plus civilisés que ceux de la côte ; ils élèvent du bétail, gros ou petit, et savent forger grossièrement le fer. Mais aussi ils sont moins propres, leurs cheveux sont plus longs et plus laineux et leur couleur plus foncée. Avec cela ils sont souples, élancés, bien faits, de même au surplus que les noirs du littoral. Ceuxci n'ont ni chevaux, ni ânes, ni mulets, ni bœufs : ils élèvent cependant quelques moutons, quelques porcs, quelques chèvres et quelques poules; ce n'est pas pour les manger, mais pour les vendre aux blancs, et ce n'est que dans les grandes occasions qu'ils se nourrissent d'autre chose que de racine de manioc, soit crue, soit le plus souvent bouillie et séchée au soleil, de maïs grillé ou bouilli, mets dont les Portugais leur ont communiqué l'habitude, de poisson, d'arachides, de bananes et d'ananas. Pour boissons, ils ont l'eau et l'eau-de-vie, les rhums, les tafias que leur vendent les blancs et dont, par malheur, ils usent de la manière la plus copieuse et la plus immodérée, chaque fois que l'occasion leur en est donnée ; leur ébriété est profondément brutale, sauvage pour mieux dire, et chacune de leurs orgies se termine par des scènes sanglantes.

Une des principales occupations des nègres de la côte est naturellement la pêche en mer. Ils la pratiquent dans des canots longs de 5 mètres et formés de deux troncs d'arbres creusés, que l'on scie ensuite par la moitié dans le sens de la longueur et que l'on attache côte à côte au moyen de lianes. Ils laissent complètement à leurs femmes, qui sont leurs bêtes de somme comme dit M. Jeannest, le soin de cultiver la terre, comme celui de récolter le sel. Les travaux de la terre consistent à peu près uniquement dans l'arrachage des mauvaises herbes, qu'on brûle ensuite, et dans l'émondage des pieds de manioc. Les négresses emmènent leurs enfants avec elles; si elles en ont à la mamelle, elles les portent sur leur dos, assis dans un morceau d'étoffe qui vient s'attacher au-dessous des seins, tandis qu'elles travaillent et qu'elles piochent. Elles n'ont pas d'autre occupation, femmes ou jeunes filles, que de recueillir le sel pendant les autres mois de l'année.

Les populations du Congo sont idolâtres et fétichistes; mais si, en apparence, elles craignent leurs idoles et respectent leurs fétiches, en somme, elles n'ont de confiance entière qu'en leurs sorciers qui servent d'intermédiaires entre elles et la divinité. Ce sont généralement des gens très intelligents, mais que M. Jeannest ne regarde pas comme le moins du monde sincères, et qu'il tient pour de purs coquins, très habiles à exploiter la superstition de leurs compatriotes. Quant aux chefs, notre compatriote ne croit pas trop s'avancer en affirmant qu'ils n'ont pas, eux aussi, de conviction religieuse bien prononcée. « Mais ils sont dominés par la crainte que leur inspirent le peuple et les feticheiros. S'ils faisaient mine de douter, ils seraient massacrés par les uns ou ampoisonnés par les autres. » Les indigènes du Congo font aux morts es funérailles bruyantes, sinon splendides ; ils n'oublient jamais de les enterrer dans leurs beaux habits; de mettre dans leur cercueil des cotonnades, du tafia, une pipe, du tabac, et cette coutume, analogue à celle d'un grand nombre de tribus de l'Indo-Chine et de la Cochinchine, semble bien indiquer quelque vague idée d'une autre existence. Cependant, contrairement à l'habitude de beaucoup de sauvages, ils n'ont nulle vénération pour la cendre des morts; ils n'en gardent aucune trace dans leur mémoire, et littéralement ils sont pour eux, suivant le mot de l'Ecriture, comme s'ils n'avaient jamais été.

AD.-F. DE FONTPERTUIS.

CHRONIQUE

SOMMAIRE: Rentrée des Chambres. Le Tonkin.

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- Les massacres d'Haïti. Le mouvement de la

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de la politique coloniale. population en France pendant l'année 1882.— L'état approximatif de la récolte en 1883. - La conférence internationale des ouvriers. Le déficit du budget en Hongrie. Le L'exploitation des chemins de fer par l'État en Italie. nouveau ministère et le libre-échange en Espagne. — La paix entre le Chili et le Pérou. Le centenaire de Bolivar et le memorandum du Vénézuela. — Méfaits du protectionisme. La décadence de l'agriculture et du commerce des grains en Russie. La décadence de la marine américaine.

des cochers de fiacre. La liberté comme à Moscou.

La réunion

La séance extraordinaire de 1883 s'est ouverte le 23 octobre. La Chambre des députés s'est occupée principalement de la question du Tonkin, qui a donné lieu à la demande d'un premier crédit supplémentaire de neuf millions de francs. Si, comme la chose est malheureusement à craindre, l'occupation du Tonkin occasionne une guerre avec la Chine, ce crédit devra être suivi de beaucoup d'autres. Le Tonkin rapportera-t-il jamais à la France ce qu'il lui aura coûté? Voilà ce qu'il est bien permis de demander aux promoteurs de la «< politique coloniale ». En attendant, on peut douter que la civilisation gagne beaucoup aux procédés mis au service de cette politique. Ces procédés ressemblent singulièrement à ceux que les Espagnols mettaient en œuvre, au XVIe siècle, pour civiliser les Indiens du nouveau monde. On lira plus bas un récit qui nous reporte à la belle époque de la politique colonisatrice des Pizarre et des Almagro. Nous apprenons encore par une correspondance d'Hanoi que le commissaire civil, M. Harmand, a mis à prix la tête des mandarins qui refusent de se soumettre à la domination de ce civilisateur. « La tête du gouverneur Li Dieût a été mise à prix pour la somme de 1,000 piastres, celle d'un autre pour 2,000 piastres, et enfin celle de Li Vian Phôe, le chef des DrapeauxNoirs, pour 2,000 piastres. >>

Il est clair que Pizarre n'aurait pas fait mieux.

Le Figaro a publié en deux parties le récit détaillé de la prise de Hué, en l'annonçant d'abord comme « l'œuvre d'un officier de marine à qui sa situation ne permet pas de signer ». Se ravisant ensuite, ce journal a annoncé la seconde partie par cette note à sen

sation « Tous les lettrés ont certainement reconnu l'auteur des admirables Impressions que le Figaro a publiées sur la guerre du Tonkin et la prise des forts de Hué; aussi n'y a-t-il plus d'inconvénients à dire aujourd'hui que ces pages magistrales sont l'œuvre de Pierre Loti, l'auteur du Mariage de Loti, du Roman du Spahi et de ce récit qui, après avoir charmé les lecteurs de la Revue des Deux-Mondes, va être le succès de l'hiver pour l'éditeur Calmann Lévy Mon frère Yves. »

Voici quelques échantillons de ces impressions admirables et de ces pages magistrales :

7 h. L'artillerie de débarquement et le premier groupe d'infanterie de marine mettent pied à terre. Les canots reviennent pour faire un second transport. Une nouvelle batterie annamite établie dans le sable ouvre le feu contre la Vipère qui lui répond. Les marins ont mis le feu au village nord, qui commence à flamber.

7 h. 30. La batterie annamite du Magasin-au-Riz (E) ouvre le feu. Les marins ont allumé un second incendie, celui-ci, magnifique : village, pagode, tout brûle avec d'immenses flammes rouges et des tourbillons de fumée.

9 h. 5. On entend l'artillerie française, qui est arrivée à Thouane> An (le dernier village au Sud), faire feu tout près du fort circulaire. Le village de Thouane-An s'allume brusquement d'un seul coup et se met à flamber comme un immense feu de paille.

9 h. 10. Les Français sont entrés par deux côtés à la fois dans le grand fort circulaire (H) que les obus de l'escadre ont déjà rempli de morts. -Les derniers Annamites qui s'y étaient réfugiés se sauvent, dégringoient des murs, absolument affolés; quelques-uns se jettent à la nage, d'autres essayent de passer la rivière dans des barques, ou à gué, pour se réfugier sur la rive du sud. Les Français, qui sont montés sur les murailles du fort, tirent sur eux, de haut en bas, presque à bout portant, et les abattent en masse. Ceux qui sont dans l'eau essayent de se couvrir naïvement avec des nattes, des boucliers d'osier, des morceaux de tôle; les balles françaises traversent le tout. Les Annamites tombent par groupes, les bras étendus; trois ou quatre cents d'entre eux sont fauchés en moins de cinq minutes par les feux rapides et les feux de salve. Les marins cessent de tirer, par pitié, et laissent fuir le reste; il y aura bien assez de cadavres dans le fort à déblayer ce soir avant l'heure de se coucher.

Le grand pavillon jaune d'Annam, qui flottait depuis deux jours, est amené, et le pavillon français monte à sa place. C'est fini, toute la rive du Nord est prise, balayée, brûlée. En somme, une matinée heureuse et glorieuse, admirablement conduite.

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