Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Compl sets Swets

2-14-37

J 3235

POLYBIBLION

REVUE BIBLIOGRAPHIQUE UNIVERSELLE

ROMANS, CONTES ET NOUVELLES

1. Honneur d'artiste, par OCTAVE FEUILLET, de l'Académie française. Paris, Calmann Lévy, 1890, in-18 de 368 p., 3 fr. 50. Une Gageure, par VICTOR CHERBULIEZ, de l'Académie française. Paris, Hachette, 1890, in-18 de 358 p., 3 fr. 50.-3. ChantePleure, par ÉMILE POUVILLON. Paris, Lemerre, 1890, in-18 de 436 p., 3 fr. 50.- 4. Les Noellet, par RENÉ BAZIN. Paris, Calmann Lévy, 1890, in-18 de 324 p., 3 fr. 50.

- 5. Candeur, par ANDRÉ MAUREL. Paris, Perrin, 1890, in-18 de 306 p., 3 fr. 50.

6. Naufrage d'amour, par ELZÉAR ROUGIER. Paris, Savine, 1890, in-18 de 312 p., 3 fr. 50.-7. Ames vierges, par JEAN DE LA BRETONNIÈRE. Paris, Lemerre, 1890, in-18 de 280 p., 3 fr. 50. 8. Les Derniers Rêveurs, par PAUL PERRET. Paris, Plon et Nourrit, 1890, in-18 de 286 p., 3 fr. 50. 9. Mademoiselle Henri, par EDOUARD GRIMBLOT. Paris, Calmann Lévy, 1890, in-18 de 336 p., 3 fr. 50. 10. Sauveteur, par PIERRE MAËL. Paris, Dentu, 1890, in-18 de 344 p., 3 fr. 50. 11. Le Fils du plongeur, par FORTUNÉ DU BOISGOBEY. Paris, Plon et Nourrit, 1890, in-18 de 380 p., 3 fr. 50. 12. Pascal Bordelas, par BOYER D'AGEN. Paris, Victor Havard, 1890, in-18 de 368 p., 3 fr. 50.- 13. Parysatis, par JANE DIEULAFOY. Paris, Lemerre, 1890, in-18 de 414 p., 3 fr. 50. 14. L'Ami Grandfricas, par E. LAILLET. Paris, Dentu, 1890, in-18 de 376 p., 3 fr. 50.-15. Voyages abracadabrants du gros Philéas, par Mme la comtesse DE PITRAY, née DE SEGUR. Paris, Gaume, 1890, in-12 de 288 p., 3 fr. 16. Les Hautvillers, par PIERRE FICY. Paris, Firmin-Didot, 1890, in-12 de 356 p., 2 fr. 50. - 17. Le Bouquet d'algues, par S. BLANDY. Paris, Firmin-Didot, 1890, in-12 de 382 p., 2 fr. 50.- 18. Aïcha, par CAT. Paris, Louis Carré, 1890, in-12 de 206 p., 2 fr. 50.- 19. Trompe-la-Mort, par H.-B. DE LAVAL. Paris, Téqui, 1890, in-12 illustré de 388 p., 3 fr. - 20. Le Dernier Sire de Lavardin, par JEAN DRAULT; illustré par Blass et Le Noël. Paris, Lecoffre, 1890, in-8 de 172 p., 2 fr. 21. Les Décembristes, par le comte LEON TOLSTOï, trad. du russe par B. TSEYTLINE et E. JAuBERT. Paris, Savine, 1890, in-18 de 250 p., 3 fr. 50.— 22. Demos, par GISSING, trad. de l'anglais, par HEPHELL. Paris, Hachette, 1890, 2 vol. in-18 de 306 et 270 p., 2 fr. 50. -23. La Fortune de Silas Lapham, par W.-D. HOWELS, trad. de l'anglais, par MARIECH. Paris, Hachette, 1890, in-18 de 370 p., 1 fr. 25. — 24. Le Roman de la femmemédecin, suivi de Récits de la Nouvelle-Angleterre, par SARAH ORNE JEWET, trad. de l'anglais par TH. BENTZON. Paris, Hetzel, 1890, in-18 de 342 p., 2 fr. — 25. Nouvelles Mille et Une Nuits, par ROBERT-LOUIS STEVENSON, trad. de l'anglais par TH. BENTZON. Paris, Hetzel, 1890, in-18 de 346 p., 2 fr. 26. Trois Nouvelles, par Mme MARIE D'EBNER-ESCHENBACH. Paris, Louis Westhauser, 1890, in-12 de 282 p., 3 fr. 50. 27. Le Dernier Laird et La Providence du camp, par PAUL FÉVAL fils. Paris, E. Baltenweck, in-12 de 296 p., 2 fr. - 28. Devant l'âtre, par LUCIEn Doinel. Paris, Haton, 1890, in-12 de 322 p., 3 fr. 50.

[ocr errors]

1. Je ne dirai pas, ce serait injuste et ridicule, qu'Honneur d'artiste, s'il est plus propre que la Bête humaine, de M. Émile Zola, offre plus de danger pour certaines imaginations. Mais, tout en rendant justice au talent de M. Octave Feuillet, je ne puis m'empêcher de déclarer que l'auteur de la Morte me paraît avoir fait moralement un recul. La Morte m'avait presque donné la sensation du roman chrétien, tel qu'il le faudrait et tel que nous ne l'avons pas. Honneur d'artiste ne me laisse que l'impression d'une œuvre mondaine où un écrivain de beaucoup d'esprit plaide, avec un art consommé, la légitimité

du suicide. Voici l'histoire : Un gentilhomme de fortune modeste, le marquis Pierre de Pierrepont, se refuse à redorer son blason au moyen de quelque brillant mariage, malgré les pressantes instances de sa tante, la riche baronne de Montauron. Pierre a pour cela de bonnes raisons, dont vous allez juger. Il aime d'un amour ardent et pur Béatrice de Sardonne, une orpheline pauvre, que la baronne a recueillie, dont elle se sert comme demoiselle de compagnie et comme lectrice, et à qui elle fait chèrement expier son protectorat. Il est bon de savoir que cette baronne de Montauron a un caillou à la place du cœur. Devinant que Pierre aime Béatrice et que cet amour est secrètement partagé, elle donne à entendre à l'orpheline que si jamais le marquis songeait à elle, il serait incontestablement déshérité. Cela suffit. Lorsque Pierre vient demander sa main, pour ne pas causer sa ruine, la courageuse jeune fille le repousse. Le marquis s'en va désespéré. Quelques mois après, ne pouvant plus supporter le pesant esclavage où la tient la baronne, Béatrice s'est mariée avec un peintre de talent, Jacques Fabrice, veuf et père d'une petite fille. Sacrifice héroïque, mais inutile! A peine Mlo de Sardonne a-t-elle épousé le peintre que la baronne de Montauron meurt subitement. Ainsi, c'est en vain que Béatrice s'est dévouée : il lui faudra désormais vivre sans amour près de l'honnête homme qui est son mari, et loin de l'homme aimé qui ignore son abnégation. L'heure sonnera cependant où M. de Pierrepont comprendra quel a été le renoncement de Mlle de Sardonne, et son ancienne passion que rien n'a pu éteindre, se doublera d'admiration pour Mme Fabrice. Une explication a lieu entre eux et, au moment de se dire adieu, ils tombent... dans les bras l'un de l'autre. Une lettre égarée apprend au peintre la trahison de sa femme. Que faire ? Un duel avec le marquis révélerait tout. Fabrice, pour éviter tout éclat, décide ceci : Pierre de Pierrepont et lui joueront leur vie dans un match au pistolet. Le perdant se tuera dans un délai de trois mois. C'est l'époux outragé qui perd, et il paie.

J'ai tenu à analyser cette œuvre aussi fidèlement que possible, afin que mes lecteurs puissent eux-mêmes se rendre compte de l'action romanesque qui est toute de convention, et de l'invraisemblance du dénouement. Comment! c'est Fabrice qui est l'époux outragé et c'est lui qui propose à l'homme qui l'outrage de jouer au tir lequel des deux doit disparaître. Et, quand il a perdu, à l'heure même où il apprend que sa femme revient à de meilleurs sentiments et que son rival est parti pour l'Amérique, le peintre Jacques Fabrice, oubliant qu'il a une fille qu'il va rendre orpheline, se fait sauter la cervelle dans un coin de son jardin !... C'est absurde! Et savez-vous la raison qu'il donne de ce suicide? Il se dit que sa femme certainement a fini par l'aimer, mais qu'elle n'aimerait pas longtemps, elle de race

noble, un homme qui n'aurait pas tenu sa parole. Raisonnement d'illuminé! Il y a des paroles et des paris qui n'engagent pas. Le pari fait entre le marquis et le peintre est de ceux-là. On s'étonne d'ailleurs qu'un gentilhomme tel que M. de Pierrepont accepte ce match plus qu'étrange. Il est vrai que, pour descendre des croisés, celui-ci n'en est pas plus recommandable. Sous prétexte d'amour méconnu, il s'enivre comme un portefaix et s'affiche avec des filles. Dès que la femme qu'il aime a la faiblesse de lui avouer que son cœur n'a pas cessé de lui appartenir, il l'entraîne avec lui dans la passion qui le dévore. Tout cela peut trouver grâce devant la morale mondaine. Devant Dieu, ce n'est ni propre, ni noble, ni généreux. Quant au peintre, je le tiens pour un mauvais père et un nigaud. S'il avait jugé l'outrage trop lourd, il n'avait qu'à se séparer de sa femme, se consacrer à l'éducation de sa fille et se remettre au travail : voilà le véritable honneur! A la rigueur, j'aurais compris un duel avec Pierrepont; mais se tuer !... Je le répète, c'est par trop criant d'invraisemblance. Béatrice ellemême, bien que M. Octave Feuillet se soit employé à la rendre vraiment sympathique, finit par n'inspirer aucun intérêt. Au début, elle renonce trop aisément à Pierre de Pierrepont, et elle épouse trop délibérément le peintre Fabrice : les femmes réellement éprises ont ordinairement plus de patience et savent attendre. Au dénouement, sa conduite est inqualifiable: elle assiste au match engagé entre Pierrepont et son mari, et, comme elle voit que celui-là ménage le peintre, elle l'incite de l'œil à ne pas manquer le but. C'est odieux. On a dit de la nouvelle héroïne de M. Feuillet que, « au début elle avait agi comme une pécore et au dénouement comme une coquine. » Le mot est dur, mais très mérité.

Nos critiques (nécessaires) ne doivent pas néanmoins nous faire méconnaître les grandes qualités de style du romancier et le talent plein de sève, avec lequel il a mené jusqu'au bout cette extraordinaire aventure. On rencontre dans Honneur d'artiste des scènes fort belles et des portraits supérieurement brossés. Parmi ces portraits, celui du baron Jules Grèbe est une vraie trouvaille. Et comme il est vivant! Le baron Jules, dit « fin de siècle, » est le fils d'un agent de change. Il est affligé de vingt-six ans d'âge (la vieillesse pour lui), et son unique préoccupation consiste à « épater » la galerie. Il a juré d'aller passer la nuit de ses noces au cercle et chez une demoiselle. Il part, en effet, se ravise, revient après vingt pas, frappe à la porte de la nouvelle mariée et voit la maison vide. Madame est sortie. Elle rentre à huit heures du matin sans fournir d'explications. Le mari n'insiste pas, ce serait bourgeois, mais il en conçoit pour sa femme une profonde admiration. Il la trouve très forte. Épatant! se dit-il, et dans sa bouche, c'est le suprême éloge. Il est vrai que la femme du baron Jules Grèbe est une certaine

Madeleine de la Treilhade que M. Octave Feuillet, dans les premières pages d'Honneur d'artiste, nous donne comme une jeune fille évaporée, tenant sur les hommes les propos les plus saugrenus, et pour qui les enfants sont des polichinelles encombrants. Aussi « fin de siècle » que le baron! Qui se ressemble s'assemble.

2. - M. Victor Cherbuliez est un idéaliste bien étonnant. Le sujet qu'il a choisi pour son dernier livre: Une Gageure, pouvait, sous une plume moins expérimentée que la sienne, devenir facilement scabreux. Il s'agit, en effet, d'une jeune fille qui s'est éprise d'une amitié romanesque pour une femme corrompue, mais qui sait habilement couvrir ses déchéances passées du manteau trompeur des aspirations artistiques les plus élevées et des plus nobles sentiments. Claire Vionnaz, la jeune fille, est orpheline de mère. Il lui reste bien son père, le général, et cela pourrait lui suffire si c'était un père comme un autre. Malheureusement le général Vionnaz a tous les goûts d'un égoïste, et mène la vie d'un épicurien.. Mis à la retraite, il s'est retiré à la campagne, et là il s'occupe de ses terres, va fumer la pipe chez ses fermiers, jacasse avec les femmes, mange comme un ogre et boit sec. Et sa fille? Sa fille habite à Paris chez la marquise d'Armanches. Moins elle va voir le général, plus celui-ci est content: c'est un père qui n'aime pas qu'on le dérange. Donc Claire Vionnaz et la marquise sont inséparables. Cette marquise a pour mari problématique un numismate très délabré que sa femme appelle sa « vieille médaille. » Le fait est qu'il avait cinquante ans quand il a épousé la marquise, laquelle était sur ses dix-huit. Total: trente-deux ans de différence. Aujourd'hui il en a soixante-cinq, et il nous offre le type du ramolli dans tout son épanouissement. Le whist et la numismatique sont les seules choses qui le raniment un peu. La marquise ne s'occupe pas plus de ce pauvre homme que s'il n'existait pas. Elle a naguère fait beaucoup parler d'elle. Aujourd'hui, désenchantée du mariage et de la passion amoureuse, capable encore cependant de trahir ses devoirs d'épouse par libertinage d'esprit ou caprice d'imagination, elle a complètement accaparé la pauvre Claire. C'est, mais dans un autre genre, un monstre d'égoïsme, comme le général. Elle a tracé à Claire un portrait si répugnant de l'union conjugale, elle lui a peint les hommes. sous des tons si noirs, que Mlle Vionnaz lui promet de ne pas se marier et de ne la quitter jamais. Cependant un jour arrive où cette promesse est oubliée. En l'absence de la marquise, M. de Louvaigue, ancien adorateur de Mme d'Armanches, demande la main de Claire au général qui la lui accorde tout de suite. Ce M. de Louvaigue, retour du Tonkin, capitaine démissionnaire et décoré, est bel homme, bien apparenté, fort riche par-dessus le marché. Toute autre femme que Claire serait heureuse, et elle aussi devrait l'être, mais ne l'est pas. Imbue

des idées de la marquise d'Armanches, elle a épousé M. de Louvaigue sans l'aimer rien que pour obéir à son père. Aussi lui ferme-t-elle sa porte le soir mème des noces, et nos nouveaux époux ne sont mari et femme que de nom. La marquise avait maintes fois dit à Claire que, pour qu'une jeune fille puisse se donner à un homme par le mariage, sans se déshonorer, sans s'avilir, ils doivent s'aimer réciproquement avec une ardeur égale. C'était là « le principe salutaire, » le « clou d'or, » que son astucieuse amie avait pris à tâche de lui enfoncer dans le cerveau, et elle y avait réussi. Claire était devenue une fervente adepte de cet idéalisme frelaté qui faisait, justement cette fois, dire au vieux général Vionnaz, que « si toutes les jeunes mariées étaient férues de pareilles billevesées, on verrait avant peu la fin du monde. » M. de Louvaigue est furieux on le serait à moins. Voyant que Claire reste inflexible, il s'en sépare. Mme d'Armanches triomphe. Comédienne accomplie, elle engage Mme de Louvaigue à reprendre la vie d'auparavant, et elle s'empare encore de cet esprit confiant, aveuglé par un dévouement irréfléchi. Mais le voile peu à peu se déchire, et Claire éprouve maintenant pour son mari je ne sais quel sentiment qui pourrait bien être de l'amour. Dans un moment de colère jalouse et de bravade, la marquise essaie de la réduire au désespoir en lui avouant que ce mari, vers lequel tout la reporte et la ramène, lui a autrefois fait la cour et qu'elle va le lui reprendre. C'en est trop. L'étrange amitié de Mlle Vionnaz pour Mme d'Armanches a vécu. L'épouse séparée retourne avec M. de Louvaigue, lui confesse tous ses torts et lui reconnaît tous ses droits.

J'ai qualifié d'étrange l'amitié qui existait entre Claire et la marquise. La qualification, les détails qui précèdent le montrent suffisamment, n'a rien d'exagéré. Tout d'abord, et par le fait de la fåcheuse tendance de plus d'un romancier contemporain (M. Catulle Mendès et M. Maizeroy, par exemple) à mettre en évidence toutes les monstruosités des vices hors nature, on pourrait prendre le change sur une amitié aussi passionnée. Mais non! Cette amitié est bizarre, elle est absorbante, elle est despotique : elle n'est pas impure. M. Victor Cherbuliez a eu le soin d'éviter toute équivoque, et si la marquise d'Armanches nous apparaît avec son charme félin, ses férocités d'égoïsme, sa tyrannie familière, comme une femme sans cœur, elle ne porte pas au front la tache d'infamie imprimée par l'histoire sur le front de la lesbienne Sapho. Est-ce à dire pour cela qu'Une Gageure soit un roman dont la lecture convienne aux jeunes filles? A Dieu ne plaise! Par bien des côtés, le sujet traité par M. Cherbuliez ressemble à celui de la Fille aux cheveux d'or, de Balzac. Seulement, il a été compris et traité d'une façon toute différente. M. Cherbuliez n'a pris d'un sentiment naturel outré, « mais non perverti, » que ce qu'il a

« AnteriorContinuar »