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drame a une donnée passablement étrange; mais il faut rendre cette justice à Ouida, qu'elle l'a conté sans y mêler de ces sarcasmes contre les prêtres catholiques et de ces digressions rationalistes dont elle est coutumière. C'est une de ses meilleures productions.

26. Si l'on prenait à la lettre les idées et les actes des personnages que nous présente M. Maurice Beaubourg dans ses Contes pour les assassins, il n'y aurait rien de plus affreux. Ce jeune décadent, qui veut tuer quelqu'un par pur dilettantisme, pour le plaisir de la sensation du meurtre, et qui s'associe dans ce but à un sale garçon boucher; cet étonnant chimiste, qui se débarrasse d'abord d'un oncle contrariant, d'une cousine atrocement cancanière, et qui s'ouvre ensuite le ventre, analysant de la façon la plus minutieuse ses entrailles saignantes, appartiennent à la catégorie des monstres dans l'ordre moral. Mais tout ceci est de l'ironie pure, et à haute dose, qui, au fond, s'attaque aux assassins véritables: les conquérants, les fauteurs de guerres injustes, les dissecteurs d'animaux vivants, les tueurs de réputation par la calomnie, les tueurs d'âmes par une éducation perfide. Une curieuse préface de M. Maurice Barrès sert à ces Contes d'introduction. Le jeune député de Nancy renouvelle ici les thèses qu'il a soutenues dans Sous l'œil des barbares et Un Homme libre. Il y prêche le parfait dédain pour tout ce qui regarde le monde extérieur. Connaître son moi, se passionner pour la partie immortelle de soi-même et mépriser tout le reste telles sont, suivant M. Barrès, la Loi et les Prophètes. La doctrine a du bon, à la condition qu'elle s'alimente aux sources chrétiennes. Elle est tout au long formulée dans l'Imitation. Elle a été pratiquée par tous les ascètes de l'Église catholique. Ils ont eu le culte absolu de leur âme immortelle, » parce qu'ils étaient convaincus que cette âme est l'œuvre d'un Dieu créateur et qu'elle participe de son infini. M. Barrès a-t-il la même conviction? On pourrait en douter, et en ce cas, ses belles théories sur le renoncement ne seraient que l'expression d'un immense orgueil, peut-être plutôt un simple cas d'originalité littéraire. FIRMIN BOISSIN.

THÉOLOGIE

Essai sur la Religion romaine et sur les rapports de l'État romain avec quelques religions étrangères, druidisme, judaïsme, christianisme, par GEORGES SÉRULLAZ, avocat à la cour d'appel de Lyon, docteur en droit, licencié ès lettres. Lyon, Auguste Cote, 1889, in-8 de 415 p.

Ce livre paraît à un moment défavorable, en même temps ou à peu près que la traduction française du Sacralwesen de Marquardt. Il mérite cependant d'être lu avec attention. Sans doute il ne présente ni

l'érudition copieuse de l'auteur allemand, ni, à un autre point de vue, le style élégant et la belle ordonnance de la Religion romaine de M. Boissier. Mais il est clair, donne, avec concision, beaucoup d'idées justes et de détails précis, et forme, au moins dans sa première partie, un excellent manuel.

Cependant, cette première partie même, c'est-à-dire le livre I, sur la religion romaine, et le livre II, sur le rôle du sénat en matière religieuse, me paraît offrir quelques lacunes. Le culte officiel, public et privé, est bien décrit pour Rome; mais on ne nous le montre guère dans les provinces, et quelques exemples pris avec discernement dans les recueils épigraphiques auraient permis d'en esquisser assez facilement le tableau. Surtout l'auteur ne marque pas d'un trait assez net et d'un pinceau suffisamment large la révolution qui se fit sentir à partir du II° siècle et qui, croissant pendant le Ive, relégua peu à peu dans l'ombre les dieux officiels de Rome, pour concentrer le culte païen dans le monothéisme solaire, entouré de tous les symboles, de tous les rites des religions orientales, et opposer ainsi aux progrès du christianisme un front plus étendu et muni de nouvelles armes.

Ce qui fait la nouveauté du livre de M. Sérullaz, c'est qu'il embrasse, dans un vaste cadre, tous les cultes dont l'accord ou le conflit forme l'histoire religieuse de l'ancien monde romain. Le livre III est consacré au druidisme et la fusion du polythéisme romain avec le polythéisme gaulois : on pourrait désirer sur ce dernier sujet des détails plus abondants. Le livre IV étudie le judaïsme à Rome. C'est une des parties importantes de l'ouvrage, et un bon résumé, quoique un peu maigre, de ce qu'il est utile de savoir de la situation légale et de l'influence morale des juifs dans la société romaine. Je regrette, page 207, une phrase injuste sur l'esprit de la législation mosaïque. Enfin, le livre V, qui n'a pas moins de cent cinquante pages, traite une matière plus importante et plus délicate encore; il est intitulé le Christianisme.

Les rapports entre l'État romain et l'Église naissante sont résumés avec le sérieux et le respect que demande un si grand sujet. L'auteur me permettra, cependant, de ne point approuver le mot « secte »> qu'il emploie souvent, à l'exemple de quelques modernes, pour désigner la primitive Église, et qui, même au point de vue de la langue, est mauvais. Quant à la façon dont M. Sérullaz envisage le débat sanglant qui remplit les trois premiers siècles de notre ère, elle est, sur plusieurs points, excellente. Je signalerai, en particulier, le paragraphe relatif au christianisme sous Néron. A part une facilité trop grande à accepter sans examen l'hypothèse de M. Reuss et de M. Renan sur la date de l'Apocalypse (p. 275), je n'y trouve guère qu'à louer. M. Sérullaz se trompe sans doute en désignant à Rome (p. 259) la porte Capène

et le Transtevère comme « les quartiers habités par les juifs et les chrétiens. » Ceux-ci n'étaient point spécialement parqués dans les quartiers juifs, et saint Pierre établit bien loin de ces quartiers le centre de ses prédications, puisque nous le voyons baptiser sur la voie Nomentane. Mais les pages consacrées à défendre contre un paradoxe de M. Hochard l'authenticité de l'alinéa de Tacite sur le massacre des chrétiens par Néron sont très bonnes. L'auteur eût pu joindre aux autorités qu'il invoque à l'appui de son sentiment l'ouvrage de C. Arnold, Die Neronische Christenverfolgung (Leipzig, 1888), qui soutient l'authenticité (d'ailleurs évidente) par les meilleures raisons historiques et philologiques.

Je serai moins facilement d'accord avec M. Sérullaz quand il admet que Néron ne promulgua pas d'édit contre les chrétiens. Le contraire me paraît résulter, sinon d'un texte précis, au moins de l'ensemble des faits. J'en dirai autant de l'extension de la persécution néronienne hors de Rome, qu'il conteste à tort, selon moi. Il me semble se tromper encore en soutenant que pendant tout le second siècle ce fut, non la religion, mais l'association illicite, que les pouvoirs publics poursuivirent dans l'Église chrétienne. Je ne vois, au contraire, l'association, sous la forme probable des collegia tenuiorum, apparaître dans l'Église qu'à la fin du second siècle ou au commencement du troisième, vers le règne de Septime Sévère, et c'est surtout au milieu de ce siècle, sous Valérien, que les édits de persécution visent particulièrement à dissoudre les collegia chrétiens, à empêcher leurs réunions, à faire main basse sur leur patrimoine, et à punir leurs membres comme tels. Mais, ces réserves indiquées, je suis heureux de reconnaître que M. Sérullaz a résumé, avec largeur et une suffisante précision, l'histoire des persécutions: il eût pu, cependant, analyser avec plus de détails les divers édits de tolérance qui furent successivement rendus au commencement du Ive siècle. Ceux-ci eussent offert, par quelques-uns de leurs articles, ample matière à la science juridique de très bon aloi que M. Sérullaz montre dans les diverses parties de son ouvrage.

L'auteur me permettra de lui signaler quelques inadvertances qui devront disparaître dans une prochaine édition. Pages 339, 340, 375, Tertullien est qualifié d'évêque; à moins d'une découverte dont, si je ne me trompe, personne jusqu'à ce jour n'a entendu parler, l'épiscopat de Tertullien doit être relégué dans le pays des chimères. Une distraction non moins singulière conduit M. Sérullaz (p. 376) à parler « du martyrologe de Grégoire de Tours, » et (p. 379) à raconter qu'« Alexandre Sévère voulut construire une église. » Il dit (p. 383) que les biens de la communauté chrétienne, et particulièrement les cimetières, furent séquestrés sous Dèce: il n'y a point de trace d'une

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mesure semblable avant Valérien. Il cite comme authentique (p. 375) la prétendue lettre de Théonas au grand chambellan Lucien M. Battifol, il y a quelques années, en a démontré le caractère apocryphe. Une phrase malencontreuse fait allusion (p. 398) à une insurrection << dans la Métilène : » l'auteur a voulu parler de Mélitène, qui fut une ville et non une province. Enfin, M. Sérullaz dit (p. 400) que « la légende a fait du père de Constantin un chrétien : » je ne sais à quelle légende il fait allusion, car Constance Chlore, d'après Eusèbe luimême, ne fut qu'un monothéiste honnête et tolérant, nullement un chrétien. PAUL ALLARD.

JURISPRUDENCE

Le Droit international. La Guerre, par sir HENRY SUMNER MAINE. Traduit de l'anglais. Paris, E. Thorin, 1890, in-8 de xxxiv-311 p. Prix: 7 fr. 50.

Me mettant en place d'un élève qui aurait suivi ce cours à Cambridge, je me demande si les leçons de sir H. Sumner Maine peuvent laisser une idée complète de la science du droit de la guerre, et devenir la base d'une doctrine à traduire en pratique, comme on devait l'attendre d'un savant qui a été mêlé à la vie publique. La réponse serait négative, et c'est là un phénomène assez bizarre, dont on peut chercher l'explication dans le système général des études anglaises, qui placent dans la tête une si forte dose d'humanisme que, même en attendant les effets d'un précipité qu'il prépare, le chimiste anglais songe à Quinte Curce ou à Pindare. N'est-ce pas notre professeur de droit qui a dit un jour : « A part les forces aveugles de la nature, rien ne se meut dans le monde qui ne soit d'origine grecque ? » Chez un homme qui, pendant un séjour de six ans, a étudié sur place l'antique civilisation des Hindous, et qui a écrit un livre justement remarqué sur les Communautés de villages, une telle assertion prend les proportions d'une gageure, et pourtant je suis convaincu qu'il l'a émise de la meilleure foi du monde.

Sir H. Sumner Maine ne pouvait pas être embarrassé davantage pour accommoder à un parti-pris l'exposé d'une science dont les principes mêmes sont encore en discussion. Si ce livre d'un homme distingué ne manque pas d'intérêt, l'autorité de son enseignement se trouve singulièrement réduite par la préoccupation de justifier toutes les idées et pratiques internationales des Anglais, et par le soin constant d'exalter la valeur des auteurs protestants.

Le dernier chapitre est consacré aux « chances de prévenir la guerre. » L'auteur est ennemi de la « belligérance. » Il affirme que les guerriers célèbres se distinguent par « une haine profonde de la guerre » (p. 271). Il ne connaît donc pas, ou bien il cache la théorie

contraire du maréchal de Moltke, un guerrier « célèbre » cependant. Sir H. Sumner Maine n'a pas confiance dans la ligue des neutres préconisée par M. de Molinari. Il reproche à l'arbitrage de n'avoir pas la vis coactiva, et de ne pas décider d'une façon doctrinale. Il préférerait un tribunal permanent à des arbitres occasionnels. Je ne suis pas de cet avis. Enfin, il se plaint qu'il n'y ait bientôt plus de juristes ad hoc. C'est un regret superflu. L'arbitrage doit être déféré à des diplomates, qui peuvent consulter les spécialistes, jurisconsultes, archivistes, hygiénistes, topographes, suivant les besoins de la cause.

SCIENCES ET ARTS

A. D'AVRIL.

Das Grundproblem der Erkenntnisstheorie, von E. VON HARTMANN. 2. édit. Leipzig, Wilhelm Friedrich, 1889, in-8 de 127 p. — Prix 1 fr. 25.

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Cette brochure, imprimée à part, forme la seconde partie du premier volume dans l'édition des œuvres choisies de M. le professeur de Hartmann. Le nom de ce philosophe est bien connu en France, et sa Philosophie de l'inconscient, qui en est à sa neuvième édition, a été traduite dans toutes les langues. Tous ceux qui s'intéressent chez nous aux problèmes métaphysiques ont une idée de son système. Nous ne les étonnerons point en disant que ce système n'a point notre adhésion. Nous devons toutefois reconnaître que M. de Hartmann est un de ces écrivains qui ont conquis par leur talent une autorité considérable et qui ont une grande influence sur la marche des idées en Allemagne.

A ce titre, le traité qui nous a été envoyé offre un sérieux intérêt. M. de Hartmann y étudie le problème fondamental de la connaissance, autrement dit la question de l'objectivité des perceptions. Il ne s'agit bien entendu ici que de la perception des corps. L'auteur rejette ce qu'il appelle le réalisme naïf, c'est-à-dire la confiance absolue dans le témoignage de nos sens. Il le croit démenti par la science et par la philosophie. Il rejette également l'idéalisme soit pur, soit mitigé. Il propose ce qu'il appelle le réalisme transcendental, c'est-à-dire la croyance au monde extérieur, comme exigée par le sens intime, par la logique, par la science, par la conscience morale, par la conscience religieuse, par la nature de la connaissance et enfin par la philosophie de l'identité.

Si nous comprenons bien la solution adoptée par M. de Hartmann, il nous semble que, dépouillée de la terminologie imposante adoptée en Allemagne, elle se rapproche beaucoup de l'opinion soutenue par Cousin et ses amis, fondant la certitude du monde extérieur sur le principe de causalité. Nos sensations doivent avoir une cause propor

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