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CLASSE DES LETTRES.

Séance du 7 décembre 1868.

M. le baron KERVYN DE LETTENHOVE, directeur.
M. AD. QUETELET, secrétaire perpétuel.

Sont présents: MM. Steur, J. Grandgagnage, J. Roulez, Gachard, A. Borgnet, Paul Devaux, P. De Decker, Snellaert, Haus, M.-N.-J. Leclercq, Ch. Faider, R. Chalon, Ad. Mathieu, Th. Juste, E. Defacqz, le général Guillaume, Félix Nève, Alp. Wauters, membres; Nolet de Brauwere, A. Scheler, associés.

M. Ed. Mailly, correspondant de la classe des sciences, assiste à la séance.

CORRESPONDANCE.

M. le ministre de l'intérieur annonce que Sa Majesté, par arrêté du 30 novembre dernier, a nommé président de l'Académie pour 1869, M. Adolphe Borgnet, directeur de la classe des lettres pour la même année.

L'Académie royale d'histoire de Madrid remercie la compagnie pour l'envoi de ses dernières publications.

M. Emile Schoorman fait hommage d'un exemplaire de la brochure dans laquelle il a réuni tous les discours prononcés sur la tombe de son regretté oncle, le baron de Saint-Genois, membre de l'Académie. Remerciments.

Un anonyme désire être renseigné au sujet du terme fatal du concours de 1870, pour lequel deux questions ont déjà été posées. Ce terme fatal aura lieu le 1er février de la même année.

ÉLECTIONS.

La commission spéciale des finances composée, en 1868, de MM. De Decker, le baron de Gerlache, Ch. Faider, Gachard et M.-N.-J. Leclercq, est maintenue pour l'année 1869.

COMMUNICATIONS ET LECTURES.

PHYSIQUE SOCIALE. Sur l'homme et le développement de ses facultés; par M. Ad. Quetelet, secrétaire perpétuel de l'Académie.

J'ai l'honneur de présenter à la classe le premier volume de la nouvelle édition de ma Physique sociale, publiée la première fois à Paris en 1835, et dont des traductions ont été données dans plusieurs langues. Comme, depuis, cette science a pris des formes nouvelles, je vais tâcher de ré

sumer, en quelques mots, les principaux développements auxquels elle a donné naissance.

Il y a deux siècles, Pascal, en voulant répondre à une question de mathématique qui lui était posée accidentellement par un homme du monde, mit le pied sur un terrain nouveau pour la science, dont il ne tarda pas à reconnaître toute l'étendue et la fécondité. Fermat, Leibnitz, Cotes, les Bernouilli et presque tous les savants mathématiciens de cette époque fécondèrent puissamment, par leurs recherches, cette découverte; mais, tout occupés de la création du calcul infinitésimal et des importants travaux de la mécanique céleste, ils n'étudièrent cette branche des sciences qu'en l'appliquant aux travaux importants de l'astronomie qui appelaient directement leur attention.

Cependant, dès 1693, Halley, directeur de l'observatoire de Greenwich, donnait déjà la première table de mortalité et indiquait l'usage de la théorie des probabilités appliquée aux besoins des hommes. Plus tard, Laplace, Fourier, Poisson sentirent le besoin de détourner la théorie des probabilités de la voie où elle avait été engagée par leurs prédécesseurs, et ils développèrent les bases de la statistique, science encore trop négligée jusque-là, et de montrer tous les avantages que l'on pouvait attendre de son étude.

Les encouragements que ces hommes distingués voulurent bien donner à ma jeunesse, joints à ceux que je reçus spécialement en Angleterre et en Allemagne, me portèrent à rechercher en même temps les lois qui règlent, soit le physique, soit le moral, soit l'intelligence de l'homme : je publiai successivement, dès 1826, et sous forme d'essais, dans les mémoires et les autres publications de notre Académie, des écrits sur les naissances et la mortalité, sur

la théorie de la population, sur la croissance de l'homme, sur son poids, sur sa force, sur son penchant au crime, et je tâchai d'en déterminer les lois mathématiques.

En 1850, sir John Herschel, en examinant mes travaux dans la Revue d'Édimbourg, fit paraître une notice étendue et pleine de science sur les recherches statistiques relatives à l'homme physique et intellectuel. Toutefois, le nom de l'auteur de cet écrit remarquable ne me fut connu que sept ans après, par l'ouvrage que l'illustre astronome anglais fit paraître à Londres, sous le titre : Essays from the Edinburgh and Quarterly Reviews. Le jugement d'un homme aussi éminent sur un sujet aussi peu connu me porta à lui demander la permission de reproduire son écrit. Ce que j'avais demandé me fut accordé de la manière la plus amicale et donna lieu à l'introduction placée en tête de mon ouvrage. Je crois qu'il ne sera pas sans intérêt de revenir sur le sujet qui m'occupe, et auquel Pascal, Leibnitz, Halley, Laplace, Fourier ont fait faire tant de progrès.

Qu'il me soit permis de rappeler ici que la France, en 1826, publia son premier compte général de l'administration de la justice, et qu'en le comparant à celui qui parut l'année suivante, je ne craignis pas de me prononcer, dès cette époque, sur la loi des degrés de penchant au crime, qui devait se maintenir tant que subsisterait le même ordre de choses existant (1). En publiant, en 1835, la première édition de la Physique sociale, je pus ajouter

(1) Voyez les Recherches statistiques sur le royaume des Pays-Bas, pp. 32 et suiv., t. V des MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES ET BELLES-LETTRES DE BRUXELLES, 1829.

quatre années de plus aux résultats trouvés en 1826 et 1827, et conclure par cette phrase qui a été généralement répétée et maintenue depuis par les statisticiens qui s'occupent de ce genre de travaux : Il est un budget qu'on paye avec une régularité effrayante, c'est celui des prisons, des bagnes et des échafauds: c'est celui-là surtout qu'il faudrait s'attacher à réduire.

Ce fut en 1833 et à Cambridge qu'eut lieu la troisième réunion de l'Association britannique pour l'avancement des sciences; j'eus le bonheur d'y assister et d'y rencontrer le célèbre économiste Malthus (1), avec Babbage, Drinckwater, le colonel Sykes, le professeur Jones. Réunis d'abord amicalement et sans avoir aucun titre à l'association, nous fùmes presque aussitôt après appelés à prendre place dans ses rangs et à former sa 7 section pour la statistique. Cette section ne tarda pas à donner naissance à presque toutes les sociétés semblables qui furent établies en Angleterre.

Notre petit royaume de Belgique s'associa bientôt après aux vues éclairées de l'Angleterre. M. Liedts, alors ministre de l'intérieur, créa la commission centrale de statistique, laquelle, en 1851, forma le projet d'un congrès international pour établir de l'unité dans les travaux des divers États. Cette proposition fut adoptée par tous les pays; la

(1) Malthus professait une grande estime pour la Belgique; il regardait ce pays comme méritant au plus haut degré l'étude du savant, à cause de sa position circonscrite, de sa diversité comme terrain agricole et manufacturier, etc. Il m'avait confié à cet égard une note qui fut remise au gouvernement et que j'ai regretté de voir négligée. - J.-B. Say avait également tourné ses regards vers la Belgique; j'ai publié l'une de ses lettres dans laquelle il exprimait son estime particulière pour la statistique, tout en témoignant ses regrets de ce qu'on avait mal interprété ses reproches aux abus maladroits qu'on faisait de cette science.

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