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brochure sur le moyen prompt et facile d'établir une société libre. Dans un exposé rapide, il rappelle ce que les Anglais ont fait pour abolir la monarchie.

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« Si nous nous relâchons, dit-il, nous justifierons les prédictions « de nos ennemis ils ont condamné nos actions comme téméraires, rebelles, hypocrites, impies; nous ferons voir qu'un es« prit dégénéré s'est soudainement répandu parmi nous. Préparés « et faits pour un nouvel esclavage, nous serons en mépris à nos « voisins; le nom anglais deviendra un objet de risée. D'ailleurs, si l'on retourne à la monarchie l'on n'y restera pas longtemps; il faudra bientôt combattre ce que l'on a déjà combattu, sans « parvenir jamais au point où l'on était parvenu; on perdra les ba« tailles que l'on avait déjà gagnées: Dieu n'écoutera plus ces ar⚫dentes prières qu'on lui adressait pour être délivrés de la tyrannie, puisque nous n'aurons pas su mieux nous en tenir à la victoire. « Ainsi sera rendu vain et plus méprisable que la boue le sang de tant d'Anglais vaillants et fidèles qui achetèrent la liberté de leur « pays au prix de leur vie. Un roi veut être adoré comme un demi« dieu; il sera entouré d'une cour hautaine et dissolue; il dissipera « l'argent de l'État en festins, en bals et en mascarades; débau

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chant notre première noblesse, måles et femelles, il transformera « les lords en chambellans, en écuyers et en grooms de la garde« robe. »

L'esprit pénétrant de Milton lui découvrait l'avenir; il voyait les longs combats que l'on serait obligé de livrer pour reconquérir ce qu'on allait perdre ce n'est qu'aujourd'hui même que l'Angleterre revient sur ce terrain, défendu pied à pied par le grand poète publiciste. Et ce roi, entouré d'une cour haulaine et dissolue, que l'auteur du Paradis perdu peignait si bien d'avance, était prêt à débarquer à Douvres.

Quelques mois avant la publication de cet ouvrage, il en avait donné deux autres : le premier sur l'autorité civile en matière ecclésiastique; le second sur le meilleur moyen de chasser les mercenaires hors de l'Église : il examine le fait des dîmes, des redevances et des revenus de l'Église ; il doute que les ministres du culte puissent être maintenus par le pouvoir de la loi.

Son opinion sur la réforme parlementaire mérite d'être rappelée : << Si l'on donne le droit à tous de nommer tout le monde, ce ne « sera pas la sagesse et l'autorité, mais la turbulence et la glouton« nerie qui élèveront bientôt les plus vils mécréants de nos tavernes « et de nos licux de débauche, de nos villes et de nos villages, « au rang et à la dignité de sénateur. Qui voudrait confier les af« faires de la république à des gens à qui personne ne voudrait « confier ses affaires particulières? Qui voudrait voir le trésor de « l'État remis aux soins de ceux qui ont dépensé leur propre for<< tune dans d'infàmes prodigalités? Doivent-ils être chargés de la bourse du peuple, ceux qui la convertiraient bientôt dans leur

a propre bourse? Sont-ils faits pour être les législateurs de toute une nation, ceux qui ne savent pas ce qui est loi et raison, juste « ou injuste, oblique ou droit, licite ou illicite; ceux qui pensent ⚫ que tout pouvoir consiste dans l'outrage, toute dignité, dans l'insolence; qui négligent tout pour satisfaire la corruption de leurs • amis, ou la vivacité de leurs ressentiments; qui dispersent leurs parents et leurs créatures dans les provinces, pour lever des taxes « et confisquer des biens? hommes les plus dégradés et les plus vils, qui achètent eux-mêmes ce qu'ils prétendent exposer en vente, « d'où ils recueillent une masse exorbitante de richesses détournées « des coffres publics : ils pillent le pays et émergent en un moment, « de la misère et des haillons, à un état de splendeur et de fortune. « Qui pourrait souffrir de tels fripons de serviteurs, de tels vice⚫ régents de leurs maîtres? Qui pourrait croire que des chefs de bandits seraient propres à conserver la liberté? Qui se supposerait « devenu d'un cheveu plus libre par une telle race de fonctionnaires (ils pourraient s'élever à cinq cents élus de telle sorte par les • comtés et les bourgs), lorsque, parmi ceux qui sont les vrais gardiens de la liberté, il y en a tant qui ne savent ni comment « user, ni comment jouir de cette liberté, qui ne comprennent ni « les principes, ni les mérites de la propriété? »

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On n'a jamais rien dit de plus fort contre la réforme parlementaire. Cromwell avait essayé cette réforme, il fut bientôt obligé de dissoudre le parlement produit d'une loi d'élection élargie. Mais ce qui était vrai du temps de Milton, n'est pas également vrai aujourd'hui. La disproportion entre les propriétaires et les classes populaires n'est plus aussi grande. Les progrès de l'éducation et de la civilisation ont commencé à rendre les électeurs d'une classe moyenne plus aptes à comprendre des intérêts qu'ils ne comprenaient pas autrefois. L'Angleterre de ce siècle a pu, quoique non sans péril, conférer des droits à une classe de citoyens qui, au dix-septième siècle, auraient renversé l'État en entrant dans les communes.

Ainsi, toutes les questions générales et particulières, agitées aujourd'hui chez les peuples du continent et dans le parlement d'Angleterre, avaient été traitées et résolues par Milton, dans le sens où notre siècle les résout. Il a créé jusqu'à la langue constitutionnelle moderne: les mots de fonctionnaires, de décrets, de motions, etc., sont de lui. Quel était donc ce génie capable d'enfanter à la fois un monde nouveau et une parole nouvelle de politique et de poésie?

RESTAURATION. MILTON ARRÊTÉ ET REMIS EN LIBERTÉ. FIDÉLITÉ DU POÈTE A CROMWELL.

Milton eut la douleur de voir le fils de Charles Ier remonter sur le trône, non que son cœur ferme fût effrayé, mais ses chimères de liberté républicaine s'évanouissaient toute chimère qui s'évanouit

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fait du mal et laisse un vide. Charles II, dans sa déclaration de Bréda, annonçait qu'il pardonnait à tout le monde, s'en remettant aux communes du soin d'excepter les indignes du pardon. Les vengeances sanglantes, sous les Stuarts et sous la maison de Hanovre, ne purent êtré imputées à la couronne: elles furent l'œuvre des chambres. Les corps sont plus implacables que les individus, parce qu'ils réunissent en eux plus de passions, et qu'ils sont moins responsables. A l'avénement de Charles H, Milton se démit de la place de secrétaire latin, et quitta son hôtel de Pitty-France, où pendant huit années il avait reçu tant d'hommages. Il se retira chez un de ses amis, dans Bartholomew-Close, aux environs de West-Smithfield. Des poursuites furent commencées contre la Défense du peuple anglais et l'Iconoclaste, et, le 27 juin 1660, le parlement ordonna l'arrestation de l'auteur de ces ouvrages. On ne le trouva point d'abord, mais peu de mois après on le voit remis entre les mains d'un sergent d'armes il fut néanmoins bientôt relàché. Le 17 décembre de la même année il eut l'audace de s'adresser à cette terrible chambre qui pensait l'avoir généreusement traité en ne faisant pas tomber sa tête; il réclama contre l'excès du salaire requis par le sergent; il croyait qu'on l'avait plus outragé en lui ôtant la liberté, qu'en le privant de la vie. Les registres du parlement constatent ces deux faits:

Samedi, 15 décembre 1660.

• Ordonné que M. Milton, à présent à la garde d'un sergent d'armes de cette chambre, soit relâché en payant les honoraires. »

Lundi, 17 décembre 1660.

« Une plainte ayant été faite que le sergent d'armes a demandé des honoraires excessifs pour la garde de M. Milton,

a Ordonné qu'il en sera référé au comité des priviléges pour exa« miner cette affaire. >>

Davenant sauva Milton: histoire honorable aux Muses sur laquelle J'ai rimaillé jadis des vers détestables. Cunningham raconte autrement la délivrance du poète : il prétend que Milton se déclara trépassé et qu'on célébra ses funérailles : Charles aurait applaudi à la ruse d'un homme échappé à la mort en faisant le mort. Le caractère de l'auteur de la Défense, et les monuments de l'histoire, ne permettent pas d'admettre cette anecdote. Milton fut oublié dans la retraite où il s'ensevelit; et à cet oubli nous devons le Paradis perdu, Si Cromwell eût vécu dix ans de plus, comme le remarque M. Mosneron, il n'aurait jamais été question de son secrétaire.

Les fêtes de la restauration passées, les illuminations éteintes, vinrent les supplices: Charles s'était déchargé sur les communes de toute responsabilité de cette nature, et celles-ci n'épargnèrent pas les réactions violentes. Cromwell fut exhumé, et sa carcasse pendue, comme si l'on eût hissé le pavillon de sa gloire sur les piliers dú gibet. L'histoire a gardé dans le trésor de ses Chartes la quittance

du maçon qui brisa, par ordre, le sépulcre du Protecteur, et qui reçut une somme de 15 schellings pour sa besogne:

May the 4th day, 1661, recd then in full, of the worshipful serjeant Norforke, fiveteen shillinges, for taking up the corpes of Cromell, et Terton et Brassaw.

Rec. by me JOHN LEWIS.

« Mai, le 4me jour, 1661, reçu alors en totalité, du respectable sergent Norforke, quinze schellings pour enlever le corps de Cro« mell, et Terton et Brassaw.

« Reçu par moi JOHN LEWIS. »

Milton seul resta fidèle à la mémoire de Cromwell: tandis que de petits auteurs bien vils, bien parjures, bien vendus au pouvoir revenu, insultaient les cendres du grand homme aux pieds duquel ils avaient rampé, Milton lui donnait un asile dans son génie, comme dans un temple inviolable.

Milton put rentrer dans les affaires : sa troisième femme (car il avait épousé successivement deux autres femmes après la mort de Marie Powell) le suppliant d'accepter son ancienne place de secrétaire du conseil, il lui répondit: « Vous êtes femme et vous voulez « avoir des équipages; moi je veux mourir honnête homme. » Demeuré républicain, il s'enferma dans ses principes avec sa Muse et sa pauvreté. Il disait à ceux qui lui reprochaient d'avoir servi un tyran : « Il nous a délivrés des rois. » Il affirmait n'avoir combattu que pour la cause de Dieu et de la patrie.

Un jour se promenant dans le parc de Saint-James, il entendit tout à coup répéter autour de lui: Le roi! le roi !« Retironsnous, dit-il à son guide; «je n'ai jamais aimé les rois. » Charles II aborde l'aveugle : « Monsieur, voilà comme le ciel vous a puni d'a• voir conspiré contre mon père. Sire, si les maux qui nous affligent dans ce monde sont le châtiment de nos fautes, votre père devait être bien coupable. »

NOUVEAUX TRAVAUX DE MILTON. SON DICTIONNAIRE LATIN. SA MOSCOVIE. SON HISTOIRE D'ANGLETERRE.

La saison la plus favorable aux inspirations de Milton était l'automne, plus en rapport avec la tristesse et le sérieux de ses pensées : il dit cependant dans quelques vers qu'il renaît au printemps. Il se croyait recherché la nuit par une femme céleste, Il avait eu trois filles de Marie Powell: l'une d'elles, Deborah, lui lisait Isaïe en hébreu, Homère en grec, Ovide en latin, sans entendre aucune de ces langues l'anecdote est contestée par Jonhson. Aussi savant qu'il était grand poète, on a vu qu'il écrivait en latin comme en anglais; il faisait des vers grecs, témoin quelques-uns de ses opuscules. C'est dans le texte même des prophètes qu'il se pénétrait de leur feu : la lyre du Tasse ne lui était point étrangère. Il parlait presque toutes

les langues vivantes de l'Europe. Antoine Francini, Florentin, s'exprime sur Milton comme si le poète d'Albion, à son passage en Italie, jouissait déjà de tout son éclat :

Nell' altera Babelle

Per te il parlar confuse Giove in vano,

Ch' ode oltr' alla Anglia il tuo più degno idioma,
Spagna, Francia, Toscana, e Grecia e Roma.

Dans une autre Babel, la confusion des langues serait vaine pour toi, qui outre l'anglais, ton plus noble idiome, entends l'es« pagnol, le français, le toscan, le grec et le latin. »

Milton, vers la fin du protectorat, avait commencé sérieusement à écrire le Paradis perdu: il menait de front avec ce travail des Muses, des travaux d'histoire, de logique et de grammaire. Il a rassemblé en trois volumes in-folio les matériaux d'un nouveau Thesaurus linguæ latinæ, qui ont servi aux éditeurs du dictionnaire de Cambridge imprimé en 1693. On a de lui une grammaire latine pour les enfants: Bossuet faisait le catéchisme aux petits garçons de Meaux. L'auteur du Paradis perdu est dominé du sujet de son poëme, jusque dans le Traité d'éducation, adressé à Hartlib en 4650: « La «fin de tout savoir, dit-il, est d'apprendre à réparer les ruines de nos premiers parents, en retrouvant la vraie connaissance de ¿Dieu. »

Ces travaux, qui auraient fait honneur à Ducange ou à un béné dictin de la congrégation de Saint-Maur, n'accablaient pas le génie de Milton et ne lui suffisaient pas de même que Leibnitz, il embrassait l'histoire dans ses recherches. Sa Moscovie est un abrégé amusant par de petits détails de la nature des voyages. « Il fait si « froid l'hiver en Moscovie, que la sève des branches mises au feu « gèle en sortant du bout opposé à celui qui brûle. Moscou a un beau château à quatre faces, bati sur une colline; les murs de brique << en sont très hauts on dit qu'ils ont dix-huit pieds d'épaisseur, « seize portes et autant de boulevards. Ce château renferme le pa«lais de l'empereur et neuf belles églises avec des tours dorées. C'est le Kremlin, d'où la fortune de Buonaparte s'envola. L'Histoire d'Angleterre de Milton se compose de six livres; elle ne va pas au delà de la bataille d'Hastings. L'heptarchie, quoi qu'en dise Hume, y est fort bien débrouillée : le style de l'ouvrage est male, simple, entremêlé de réflexions presque toujours relatives au temps où l'historien écrivait. Le troisième livre s'ouvre par une description de l'état de la société dans la Grande-Bretagne au moment où les Romains abandonnèrent l'ile; il compare cet État à celui de l'Angleterre forsqu'elle se trouva délaissée du véritable pouvoir sous le règne de Charles 1er. A la fin du cinquième livre, Milton déduit les causes qui firent tomber les Anglo-Saxons sous le joug des Normands: il demande si les mêmes causes de corruption ne pourraient pas faire

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