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destiné à être habité mais tu connais leurs temps. Au milieu de ces mondes se trouve la terre, demeure des hommes, leur séjour agréable avec son océan inférieur répandu à l'entour. Trois << fois heureux les hommes et les fils des hommes que Dieu a fa«vorisés ainsi qu'il a créés à son image, pour habiter là et pour l'adorer, et en récompense régner sur toutes ses œuvres, sur la « terre, la mer ou l'air, et multiplier une race d'adorateurs saints « et justes! Trois fois heureux s'ils connaissent leur bonheur, et s'ils persévèrent dans la justice!

<< Ils chantaient ainsi, et l'empyrée retentit d'alleluia; ainsi fut gardé le jour du sabbat.

« Je pense maintenant, ô Adam! avoir pleinement satisfait à ta requête qui demanda comment ce monde, et la face des choses, « commencèrent d'abord, et ce qui fut fait avant ton souvenir, dès le commencement, afin que la postérité, instruite par toi, le pût apprendre. Si tu as à rechercher quelque autre chose ne surpas<< sant pas l'intelligence humaine, parle. »

LIVRE HUITIÈME.

ARGUMENT.

Adam s'enquiert des mouvements célestes; il reçoit une réponse douteuse et est exhorté à chercher de préférence des choses plus dignes d'être connues. Adam y consent; mais désirant encore retenir Raphaël, il lui raconte les choses dont il se souvient, depuis sa propre création; sa translation dans le paradis; son entretien avec Dieu, touchant la solitude et une société convenable; sa première rencontre et ses noces avec Ève. Son discours là-dessus avec l'Ange, qui part après des admonitions répétées.

VIII.

L'ange finit, et dans l'oreille d'Adam laisse sa voix si charmante que, pendant quelque temps, croyant qu'il parlait encore, il restait encore immobile pour l'écouter. Enfin, comme nouvellement éveillé, il lui dit, plein de reconnaissance :

« Quels remerciements suffisants, ou quelle récompense propor⚫tionnée ai-je à t'offrir, divin historien, qui as si abondamment • étanché la soif que j'avais de connaître, qui as eu cette condescen• dance amicale de raconter des choses autrement pour moi inscrutables, maintenant entendues avec surprise, mais avec délice, et, comme il est dû, avec une gloire attribuée au souverain Créateur! • Néanmoins quelque doute me reste que ton explication peut seule • résoudre.

Lorsque je vois cette excellente structure, ce monde, composé

« du ciel et de la terre, et que je calcule leurs grandeurs, cette terre « est une tache, un grain, un atome, comparée avec le firmament, « et tous ses astres comptés, qui semblent rouler dans des espaces « incompréhensibles, car leur distance et leur prompt retour diurne « le prouvent. Quoi! uniquement pour administrer la lumière l'es« pace d'un jour et d'une nuit autour de cette terre opaque, de cette << tache d'un point, eux, dans toute leur vaste inspection d'ailleurs << inutiles! En raisonnant j'admire souvent comment la nature sobre et sage a pu commettre de pareilles disproportions, a pu, << d'une main prodigue, créer les corps les plus beaux, multiplier « les plus grands pour ce seul usage (à ce qu'il paraît), et imposer à leurs orbes de telles révolutions sans repos, jour par jour répé«tées. Et cependant la terre sédentaire (qui pourrait se mouvoir << mieux dans un cercle beaucoup moindre), servie par plus noble qu'elle, atteint ses fins sans le plus petit mouvement, et reçoit la « chaleur et la lumière, comme le tribut d'une course incalculable, • apporté avec une rapidité incorporelle, rapidité telle que les nom«bres manquent pour l'exprimer. »

«

Ainsi parla notre premier père, et il sembla par sa contenance entrer dans des pensées studieuses et abstraites; ce qu'Eve apercevant du lieu où elle était assise retirée en vue, elle se leva avec une modestie majestueuse et une gràce qui engageaient celui qui la voyait à souhaiter qu'elle restât. Elle alla parmi ses fruits et ses fleurs pour examiner comment ils prospéraient, bouton et fleur, ses élèves : ils poussèrent à sa venue, et, touchés par sa belle main, grandirent plus joyeusement. Cependant elle ne se retira point comme non charmée de tels discours, ou parce que son oreille n'était pas capable d'entendre ce qui était élevé; mais elle se réservait ce plaisir, Adam racontant, elle seule auditrice; elle préférait à l'ange son mari le narrateur, et elle aimait mieux l'interroger; elle savait qu'il entremêlerait d'agréables digressions, et résoudrait les hautes difficultés par des caresses conjugales : des lèvres de son époux les paroles ne lui plaisaient pas seules. Oh! quand se rencontre à présent un pa¬ reil couple, mutuellement uni en dignité et en amour? Ève s'éloigna avec la démarche d'une déesse; elle n'était pas sans suite, car près d'elle comme une reine, un cortège de grâces attrayantes se tient toujours; et d'autour d'elle jaillissaient dans tous les yeux des traits du désir qui faisait souhaiter encore sa présence.

Et Raphaël, bienveillant et facile, répond à présent au doute qu'Adam avait proposé :

« De demander ou de t'enquérir, je ne te blâme pas, car le ciel « est comme le livre de Dieu ouvert devant toi, dans lequel tu peux alire ses merveilleux ouvrages et apprendre ses saisons, ses « heures, ou ses jours, ou ses mois, ou ses années pour atteindre « à ceci, que le ciel ou la terre se meuvent, peu importe si tu comptes « juste. Le grand Architecte a fait sagement de cacher le reste à « l'homme ou à l'ange, de ne pas divulguer ses secrets pour être scrutés par ceux qui doivent plutôt les admirer; ou s'ils veulent

hasarder des conjectures, il a livré son édifice des cieux à leurs disputes, afin peut-être d'exciter son rire par leurs opinions va«gues et subtiles, quand dans la suite ils viendront à mouler le << ciel et à calculer les étoiles. Comme ils manieront la puissante • structure? comme ils batiront, débatiront, s'ingénicront pour << sauver les apparences! comme ils ceindront la sphère de cercles << concentriques et excentriques, de cycles et d'épicycles, d'orbes « dans des orbes, mal écrits sur elle! Déjà je devine ceci par ton << raisonnement, toi qui dois guider ta postérité, et qui supposes que « des corps plus grands et lumineux n'en doivent pas servir de « plus petits privés de lumière, ni le ciel parcourir de pareils espaces, tandis que la terre, assise tranquille, reçoit seule le bé« néfice de cette course.

« Considère d'abord que grandeur ou éclat ne supposent pas excellence la terre, bien qu'en comparaison du ciel, si petite et « sans lumière, peut contenir des qualités solides en plus d'abon<< dance que le soleil qui brille stérile, et dont la vertu n'opère pas « d'effet sur lui-même, mais sur la terre féconde: là ses rayons • reçus d'abord (inactifs ailleurs) trouvent leur vigueur. Encore, « ces éclatants luminaires ne sont pas serviables à la terre, mais à toi, habitant de la terre.

« Quant à l'immense circuit du ciel, qu'il raconte la haute magnificence du Créateur, lequel a bàti d'une manière si vaste, et ⚫ étendu ses lignes si loin, afin que l'homme puisse savoir qu'il ⚫ n'habite pas chez lui; édifice trop grand pour qu'il le remplisse, « logé qu'il est dans une petite portion : le reste est formé pour des « usages mieux connus de son souverain Seigneur. Attribue la « vitesse de ces cercles, quoique sans nombre, à l'omnipotence de Dieu, qui pourrait ajouter à des substances matérielles une rapidité presque spirituelle. Tu ne me crois pas lent, moi qui, depuis l'heure matinale parti du ciel où Dieu réside, suis arrivé dans Éden avant le milieu du jour, distance inexprimable dans des nombres qui aient un nom.

<< Mais j'avance ceci, en admettant le mouvement des cieux, pour << montrer combien a peu de valeur ce qui te porte à en douter; « non que j'affirme ce mouvement, quoiqu'il te semble tel, à toi qui as ta demeure ici sur la terre. Dieu, pour éloigner ses voies du sens humain, a placé le ciel tellement loin de la terre, que la « vue terrestre, si elle s'aventure, puisse se perdre dans des choses < trop sublimes, et n'en tirer aucun avantage.

« Quoi? si le soleil est le centre du monde, et si d'autres astres (par sa vertu attractive et par la leur mème incités) dansent autour de lui des rondes variées? Tu vois dans six planètes leur ◄ course errante, maintenant haute, maintenant basse, tantò cachée, ⚫ progressive, rétrograde ou demeurant stationnaire: que serait-ce ◄ si la septième planète, la terre (quoiqu'elle semble si immobile), << se mouvait insensiblement par trois mouvements divers? Sans ◄ cela ces mouvements, ou tu les dois attribuer à différentes sphères

⚫ mues en sens contraire croisant leurs obliquités, ou tu dois sauver au soleil sa fatigue, ainsi qu'à ce rhombe rapide supposé nocturne et diurne, invisible d'ailleurs au-dessus de toutes les étoiles, roue ■ du jour et de la nuit.Tu n'aurais plus besoin d'y croire si la terre, industrieuse d'elle-même, cherchait le jour en voyageant à l'orient, et si de son hémisphère opposé au rayon du soleil elle rencon« trait, la nuit, son autre hémisphère étant encore éclairé de la lu«mière du jour. Que serait-ce si cette lumière reflétée par la terre « à travers la vaste transparence de l'air, était comme la lumière « d'un astre pour le globe terrestre de la lune, la terre éclairant la lune pendant le jour, comme la lune éclaire la terre pendant la nuit? Réciprocité dans le cas où la lune aurait une terre, des champs et des habitants. Tu vois ses taches comme des nuages; les nuages peuvent donner de la pluie, et la pluie peut produire des fruits ⚫ dans le sol amolli de la lune, pour nourrir ceux qui sont placés là. « Peut-être découvriras-tu d'autres soleils accompagnés de leurs lunes, communiquant la lumière male et femelle; ces deux grands sexes animent le monde, peut-être rempli dans chacun de ses «orbes par quelque créature qui vit. Car qu'une aussi vaste étendue de la nature soit privée d'àmes vivantes; qu'elle soit déserte, désolée, faite seulement pour briller, pour payer à peine à chaque « orbe une faible étincelle de lumière envoyée si loin, en bas à cet « orbe habitable qui lui renvoie cette lumière, c'est ce qui sera ⚫ une éternelle matière de dispute.

«

Mais que ces choses soient ou ne soient pas ainsi; que le soleil « dominant dans le ciel se lève sur la terre, ou que la terre se «<lève sur le soleil; que le soleil commence dans l'orient sa car«rière ardente, ou que la terre s'avance de l'occident dans une • course silencieuse, à pas inoffensifs, dorme sur son axe doux, tandis qu'elle marche d'un mouvement égal et l'emporte molle«ment avec l'atmosphère tranquille; ne fatigue pas tes pensées de «ces choses cachées; laisse-les au Dieu d'en haut; sers-le et crains«le. Qu'il dispose comme il lui plaît des autres créatures, quelque part qu'elles soient placées. Réjouis-toi dans ce qu'il t'a donné, «ce paradis et ta belle Eve. Le ciel est pour toi trop élevé pour << que tu puisses savoir ce qui s'y passe. Sois humblement sage: « pense seulement à ce qui concerne toi et ton être; ne rêve point d'autres mondes, des créatures qui y vivent, de leur état, de leur «condition ou degré sois content de ce qui t'a été révélé jusqu'ici, non-seulement de la terre, mais du plus haut ciel. » Adam, éclairci sur ses doutes, lui répliqua :

Combien pleinement tu m'as satisfait, pure intelligence du ciel, « ange serein! et combien, délivré de sollicitudes, tu m'as en«seigné, pour vivre, le chemin le plus aisé! tu m'as appris à ne « point interrompre avec des imaginations perplexes la douceur d'une vie dont Dieu a ordonné à tous soucis pénibles d'habiter loin, et de ne pas nous troubler, à moins que nous ne les cher• chions nous-mêmes par des pensées errantes et des notions vaines.

<< Mais l'esprit, ou l'imagination, est apte à s'égarer sans retenue;
« il n'est point de fin à ses erreurs, jusqu'à ce que avertie, ou en-
seignée par l'expérience, elle apprenne que la première sagesse
« n'est pas de connaître amplement les matières obscures, subtiles
« et d'un usage éloigné, mais ce qui est devant nous dans la vie
« journalière; le reste est fumée, ou vanité, ou folle extravagance,
« et nous rend, dans les choses qui nous concernent le plus, sans
« expérience, sans habitude, et cherchant toujours. Ainsi descen-
dons de cette hauteur, abaissons notre vol et parlons des choses
utiles près de nous, d'où, par hasard, peut naître l'occasion de te
« demander quelque chose non hors de saison, m'accordant ta
« complaisance et ta faveur accoutumée.

« Je t'ai entendu raconter ce qui a été fait avant mon souvenir;
• à présent écoute-moi raconter mon histoire que tu ignores peut-
être. Le jour n'est pas encore dépensé; jusqu'ici tu vois de quoi
« je m'avise subtilement pour te retenir, t'invitant à entendre mon
« récit; folie! si ce n'était dans l'espoir de ta réponse: car tandis
que je suis assis avec toi, je me crois dans le ciel; ton discours
<< est plus flatteur à mon oreille que les fruits les plus agréables
• du palmier ne le sont à la faim et à la soif, après le travail, à l'heure
« du doux repas : ils rassasient et bientôt lassent, quoique agréables;
mais tes paroles, imbues d'une grâce divine, n'apportent à leur
< douceur aucune satiété. »

Raphaël répliqua célestement doux :

«Tes lèvres ne sont pas sans grâce, père des hommes, ni ta
◄ langue sans éloquence, car Dieu avec abondance a aussi répandu
« ses dons sur toi extérieurement et intérieurement, toi sa brillante
image parlant ou muet, toute beauté et toute grâce t'accom-
pagnent, et forment chacune de tes paroles, chacun de tes mou-
<vements. Dans le ciel, nous ne te regardons pas moins que comme
notre compagnon de service sur la terre, et nous nous enquérons
avec plaisir des voies de Dieu dans l'homme; car Dieu, nous le
« voyons, t'a honoré, et a placé dans l'homme son égal amour.

« Parle donc, car il arriva que le jour où tu naquis j'étais ab-
« sent, engagé dans un voyage difficile et ténébreux, au loin dans
« une excursion vers les portes de l'enfer. En pleine légion carrée
« (ainsi nous en avions reçu l'ordre), nous veillàmes à ce qu'aucun
<< espion ou aucun ennemi ne sortit de là, tandis que Dieu était
« à son ouvrage, de peur que lui, irrité par cette irruption auda-

cieuse, ne mélat la destruction à la création. Non que les esprits
<< rebelles osassent sans sa permission rien tenter, mais il nous
<< envoya pour établir ses hauts commandements comme souverain
« Roi, et pour nous accoutumer à une prompte obéissance.

« Nous trouvàmes étroitement fermées les horribles portes,
« étroitement fermées et barricadées fortement: mais longtemps
<< avant notre approche, nous entendîmes au dedans un bruit autre
que le son de la danse et du chant : tourment, et haute lamen-
«tation, et rage furieuse! Contents, nous retournames aux rivages

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