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Il avait obtenu du chapitre de Tolède, à force de négociations, de démarches, de peines, de sacrifices, la permission d'exécuter cette copie sous la surveillance de deux chanoines. Le récit de cette aventure serait une odyssée! Si Napoléon Ier a pu dire que les affaires faciles ne se font jamais, c'est qu'il connaissait les hommes et prévoyait les événements. Vouloir n'est pouvoir que pour ceux qui savent. Cette énergie à vaincre les difficutés, cette opiniâtreté à surmonter les obstacles, ce courage dans l'âpre lutte de la vie, cette puissance irrésistible de volonté, cette abnégation de soi-même, ce culte de l'art dans ses manifestations sublimes les moins accessibles à l'intelligence banale des foules, composent la marque singulière du caractère et du tempérament moral de Zacharie Astruc. Son œuvre tout entière sous la triple forme qu'il lui impose, étant à la fois sculpteur, peintre et poète, décèle ce génie inquiet, passionné, capricieux, volontaire, amoureux du beau dans toutes ses expressions, délicat et brutal jusqu'au raffinement, et par-dessus tout dédaigneux des sophismes de la critique, des médiocrités de l'école, et des enthousiasmes trop faciles de suffrage populaire. Hugo lui écrivait : « Vous avez une plume qui peint, une encre qui s'allume et flambe et s'envole en toutes sortes de tableaux lumineux et frémissants. » Barbey d'Aurevilly disait de lui: « Il a le velouté d'une sensibilité charmante, très souvent juste, toujours sincère. C'est une goutte de rosée quand ce n'est pas une larme qu'on craint de voir se sécher, tant elle fait bien sur les fleurs de son esprit. »

Zacharie Astruc était un des meilleurs amis de Barbey d'Aurevilly, qu'il connaissait depuis trente

ans.

Je l'apercevais quelquefois dans le quartier de l'Odéon, m'écrit-il; nous nous sommes aimés tout de suite. Jamais notre affection n'a changé, et jamais les idées différentes, les convictions opposées n'ont mis un nuage entre nous. Il plaint sans doute le pythagoricien, moi j'admire l'esprit, la rectitude, l'honnêteté, le grandiose de l'intelligence. La France, en le perdant, perdra un beau fleuron de sa couroune intellectuelle. Il sait tout, et son éloquence n'a pas de rivale. J'adore sa bonhomie, ses facultés amicales, et son absolue fidélité. Il est de la grande race, un diamant de notre sol. Vous savez qu'on le discutait beaucoup, et qu'on l'eût volontiers insulté, au dehors, pour n'avoir pas les allures et les attitudes courantes. C'est la forte maladie de chez nous. Nous avons passé ensemble d'aimables jours dans un groupement qui réunissait Baudelaire, Théophile Silvestre, Daudet, une infinité d'autres. Puis bien des jeunes, qui sont venus. Je collaborais avec lui, au Nain jaune du temps de Ganesco, puis à diverses feuilles. Le hasard bienveillant nous réunissait; je lui dédiai une comédie japonaise publiée par la Revue internationale, « Larmes de femmes, » je fis d'après lui un bas-relief qui fut exposé au Salon de 1872; puis en 1875, je fis son buste; il eut un grand succès au Salon; on avait eu l'audace d'arracher le socle, et de me l'exposer tout crûment posé sur les hanches, équilibré à l'aide de bâtonnets. On n'admettait pas les bustes ornés! Enfin je le plaçai, comme masque, dans mon Enfant vendeur de masques, pour ne pas lui marchander mon admiration, pour l'imposer. Il entrait ainsi, visiblement, dans le sanctuaire des célébrités à la mode... j'ai quelquefois porté bonheur... du moins ai-je lutté pour lui à ma façon, et contribué peut-être à lui ramener les vieux moutons de Panurge enfuis. Il me

-

disait quelquefois : « Cher Zacharie, je vous rendrai mon buste! >

Ce buste, que Léon Bloy appelait la Méduse-Astruc, est une œuvre merveilleuse de ressemblance, de vie et de puissance. L'auteur de l'Ensorcelée est représenté dans son attitude coutumière, le torse cambré, la tête rejetée en arrière, par un mouvement à la fois naturel et fier. Sa martiale figure de prince mérovingien, qui fit dire souvent qu'il avait dans les veines des gouttes de sang royal, est traitée avec une certaine désinvolture: le nez un peu busqué, à l'arête délicate, aux narines fines; la bouche au dessin pur, un peu moqueuse, à demi cachée par la longue moustache; les yeux largement ouverts sous des sourcils bien arqués, laissant deviner les yeux d'oiseau, d'oiseau de proie qu'ils étaient, si impérieux et si doux à la fois!... Le front droit et carré, les tempes sillonnées de veines imperceptibles... Puis les épaules effacées, la poitrine large, avec la cravate de guipure bouillonnant entre les revers étoffés de l'habit...

Barbey d'Aurevilly aimait ce buste, l'un des plus vivants de la statuaire moderne, le seul monument qu'il faudrait lui ériger, si les patries n'étaient pas aussi ingrates que les hommes. Il l'aimait, et l'appelait une œuvre haute », s'y reconnaissant dans son attitude altière et sa beauté de corsaire, lui qui ne voulait se reconnaître dans aucun de ses portraits. Il consentit parfois, cependant, à poser chez les peintres, et s'amusait à des remarques sur ses traits :

J'ai le menton de la grande Catherine, disait-il

à Emile Levy; j'ai, signe de race, la gouttière (sous le nez) creuse, ceux qui ne l'ont pas ne sont pas nés. Et lorsque Mme Paria Korrigan lui dit un jour qu'il avait les mains de Sardanapale, il daigna sourire le compliment le flattait.

Barbey d'Aurevilly fut donc vraiment un grand artiste, par cette compréhension de l'art, qui lui fut si particulière, et qu'il sut exprimer dans le langage imagé du poète, comme dans le style fleuri et net du critique.

On aurait pu lui reprocher son éclectisme, ou du moins quelques-uns l'auraient pu, qui, de parti pris, repoussent tels ou tels maîtres, ne voulant pas équipoller dans leur admiration Wagner à Mozart, Delacroix à Ingres, et réfugiés dans la forme déterminée où ils s'amusent à concréter leurs sensations. Être éclectique, n'est-ce pas l'absolue vérité en art? et parce qu'on aime, à certaines heures, le classique David ou le sévère Porpora, faut-il bannir sans pitié le naturaliste Courbet et l'espiègle Offenbach? Je ne le pense pas, et en art, comme en tout ce qui touche à la sensation, j'estime qu'il est sage d'user du précepte Il faut prendre son bien où on le trouve ! »

IX

LE CRITIQUE

1

Dans un livre qui a pour excuse d'avoir été écrit à Genève, M. Ernest Tissot donne une longue étude sur Barbey d'Aurevilly, critique. Ce chapitre de ce livre 1 est évidemment respectueux pour celui que l'auteur, quoi qu'il en aie, considère comme l'un des maîtres de la littérature contemporaine. Il y passe néanmoins un accent de compassion que je ne saurais admettre; et malgré de sérieux mérites, on y rencontre mainte erreur provenant de ceci, que M. Tissot a recueilli beaucoup de renseignements de seconde main. Il en croit, pour certains détails, M. de Pontmartin, et c'est assez dire. Il n'a pas connu l'homme, il en a entendu parler par des détracteurs, il n'a écouté que des bavardages de boutiques de publicité, et, s'il a étudié l'œuvre, il s'est laissé influencer par la terreur de heurter des idées convenues. Au surplus, M. Ernest Tissot, qui est calviniste, au moins d'éducation et

ERNEST TISSOT Les Evolutions de la Critique française.

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