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Les portraits de M. d'Aurevilly furent nombreux. Celui de M. Émile Lévy, offert par le peintre au modèle, qui fit sensation au Salon de 1877, et qui figure au premier rang dans la galerie de M. Charles Hayem, le montre dans sa pose habituelle, debout, les cheveux envolés en touffes soyeuses autour de son large front; la bouche ayant un sourire ironique sous ses longues moustaches noires parsemées de fines parcelles de poudre d'or. Une cravate garnie de dentelles s'épanouit en un large noeud sur les revers de satin de sa redingote, et ses manchettes de blanche batiste se rabattent sur les manches. L'attitude, le port de la tête, tout est fort beau dans ce portrait.

Un autre, que fit de lui le jeune peintre Léon Ostrowski, pour une revue illustrée, le représente chez lui devant sa cheminée, dans une pose familière. Puis celui de M. de Liphart dans la Vie moderne, celui de l'aquafortiste Rajon pour l'édition de ses œuvres chez Lemerre. Enfin le petit médaillon qu'il montrait avec émotion et qui lui rappelait tant de souvenirs, où il est représenté à dix-huit ans, coiffé à la mode de 1825, et le torse enveloppé du grand manteau romantique, il le donnait volontiers à ses amis, avec des épigraphes curieuses. Sur le mien, il ne mit, tout au travers, qu'un gigantesque paraphe enveloppant son nom d'un zigzag de foudre.

II

NOTES ET SOUVENIRS

Quand on vit dans la retraite, on aime à relire ces livres faits de chroniques, jadis éparses dans les journaux, et dont l'auteur tire une seconde mouture en les réunissant en volume. Ils rappellent, à ceux qui l'ont connue, cette existence intellectuelle du Paris moderne, faite d'imprévu, de travail sans trêve, de plaisirs sans frein, où les jouissances de l'esprit ont le pas sur toutes les autres.

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Que de fois n'a-t-on pas dit : « On cause à Paris, partout ailleurs on parle. Cet art de la causerie a pourtant baissé en ce siècle qui est celui de l'action, et les grands travailleurs, souvent, sont des silencieux. Beaucoup d'écrivains sont verbeux et prolixes dans leurs discours, mais combien peu savent causer dans le vrai sens du mot, avec l'expression juste, la répartie prompte, la réflexion rapide, les aperçus toujours nouveaux, la verve et l'humour sans cesse en éveil, avec finesse et sans préciosité, avec cette nuance de raillerie qui n'est jamais acerbe, et suivant toujours la causerie dans les sujets les plus variés, en partant, par

exemple, des pyramides égyptiennes pour aboutir à l'éternel féminin, en passant par mille extravagances apparentes, où se mêlent les théologies, les sciences, la philosophie, les arts, les voyages, les frivolités de la mode, les anecdotes, les médisances, les citations classiques, et tant de noms!

Barbey d'Aurevilly fut un de ces causeurs brillants à la fois et profonds, sachant dire les moindres choses avec une sérénité d'Olympien, d'une mémoire prodigieuse qui lui faisait citer les auteurs les plus oubliés et lui fournissait toujours à propos, le mot topique, effroyablement juste. Sa phrase et sa prose n'avaient jamais rien de vulgaire : l'une ou l'autre était à la fois violente et parée, aristocratique et militaire.

Il ne s'est pas fait cette prose, il a seulement noté la parole intérieure qu'il se prononce à lui-même dans la soitude de sa chambre de travail, et la parole improvisée qu'il jette au hasard des confidences de conversation. J'ai bien souvent remarqué, au cours de mes entretiens avec lui, un des plus vifs plaisirs d'intelligence que j'ai goûtés, - cette surprenante identité de sa phrase écrite et de sa phrase causée. Il me contait des anecdotes de Valognes ou de Paris avec cette même puissance d'évocation verbale et la même surcharge de couleurs qui s'observe dans ses romans. Il s'en allait tout entier dans ses mots. Ils devenaient lui, et lui devenait eux. Je comprenais plus clairement alors ce que la littérature a été pour cet homme dépaysé et quel alibi sa mélancolie a demandé à son imagination. De là dérive, entre autres conséquences, celte force de dédain de l'opinion qui lui a permis de ne jamais abdiquer devant le goût du public 1. »

PAUL BOURGET. Préface des Mémoranda.

On ferait un volume des mots de Barbey d'Aurevilly. Un des plus beaux est celui qu'il dit, chez moi, un soir qu'on devisait au coin du feu, d'un androgyne presque fameux, déjà célèbre par ses démêlés avec la police correctionnelle : Ne me parlez pas de cette femme, s'écria tout à coup M. d'Aurevilly: elle déshonore l'impudeur ! »

Je me souviens d'un souper que nous fimes, Barbey d'Aurevilly, Vallès, Bourget et moi, après la première représentation d'un antique mélodrame, l'Incendiaire ou l'Archevêque et le Curé, qu'on avait monté au théâtre de l'Ambigu pour répondre à ma pièce, le Prêtre, jouée récemment au théâtre de la PorteSaint-Martin. Vallès appelait à grands cris le garçon

l'éphèbe du torchon, disait l'auteur de Cruelle Enigme, et demandait des verres de pétrole, en guise de punch. Il nous conta, avec des gestes fous, avec un regard qui voyait en dedans, la mort de l'archevêque Darboy, assassiné par la Commune. Et sa voix. altérée, ses yeux humides, certains frissons qui lui couraient à fleur de peau nous mettaient fort mal à l'aise. On changea de conversation, mais l'ex-condamné à mort revenait obstinément à son idée fixe. Puis il divagua, parla de revendications sociales, de meurtres nécessaires, et finit par ces mots : « Il nous faudrait quatre-vingt mille têtes de bourgeois! M. d'Aurevilly, très calme, balançant son verre entre le pouce et l'index, répartit froidement, de sa voix sonore : « Moi, monsieur, celle de Sarcey me suffirait !>

On connaît ce mot galant dit, je crois, chez la ba

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ronne de Poilly. La marquise de G..., une des beautés célèbres du second Empire, s'était assise par mégarde sur le chapeau du maître, ce fameux chapeau à larges bords doublés de velours noir, et l'avait complètement écrasé :

-Oh! le pauvre chapeau, murmura-t-elle en s'excusant.

Plaignons-le tous, madame, s'écria-t-il avec un geste d'une irrésistible bouffonnerie, il n'a pas senti son bonheur ! »

Un jour qu'on parlait devant lui de ces politiciens qui veulent tout réformer, qui parlent à tout propos des vingt années de corruption impériale, il laissa tomber ces paroles dédaigneuses :

«Ils entrent dans les écuries d'Augias... mais c'est pour en remettre. »>

N'est-ce pas lui aussi, qui disait mélancoliquement à la vieille Mme de *** qui lui offrait, solitaire, une tasse de thé au coin de la cheminée et proposait une causerie à deux d'excursions dans le passé :

— « De longues histoires, au coin du feu, ce sont les bals de la vieillesse ! >>

On conte aussi qu'une grande dame s'était mise en tête de le convertir, et avait obtenu de lui une entrevue chez le libraire Lemerre. Au jour dit, elle arriva, et lui décocha à brûle-pourpoint cette question :

Monsieur, êtes-vous catholique?

N'avez-vous donc rien lu de moi, madame?

Si. J'ai tout lu, au contraire. Mais alors pourquoi choisissez-vous des sujets qui semblent par leur nature... ou du moins je veux dire des histoires qui

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