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pourraient avoir l'air... Excusez-moi, je vous en supplie, mais je m'étais dit que certainement vous devez être catholique. Pourquoi donc ?... »

La figure de M. d'Aurevilly s'éclaira d'un sourire. de condescendance. Il avait compris les étonnements et les angoisses de la dame, et daigna lui donner l'explication qu'elle souhaitait.

Madame, je suis catholique, vous l'avez dit, et si je traite de préférence des sujets qui vous étonnent, c'est de propos délibéré : le catholicisme donne plus de saveur au péché.

D

La dame très pieuse, d'abord interloquée, essaya de sourire et feignit de prendre cette réponse pour un brillant paradoxe, et c'était, en effet, un de ces paradoxes qu'il aimait à soutenir.

Mais lui, sans se soucier des fibres qu'il déchirait avec une sereine cruauté, ne s'aperçut même pas de l'affliction où il jetait son admiratrice, et continuant avec feu :

— « Oui, dit-il, je suis un passionné, en état de lutte incessante contre la faiblesse de ma nature, et, s'il faut tout vous dire, j'aime le danger, j'ai comme une folie de bravoure. Alors, l'idée de l'enfer m'attire; je le défie, je le nargue, et c'est peut-être ce qui vous aura scandalisée dans mon catholicisme. »

Barbey d'Aurevilly était un fanatique de l'action. Il y a quelques années, il se trouvait à Sèvres, chez un écrivain, avec le poète André Lemoyne et quelques autres. On dîna bien et longuement; la soirée, toute pétillante de paradoxale causerie, passa sans qu'on sentit couler le temps, et tout à coup quatre

heures du matin sonnent. On s'étonne, on rit, on veut se séparer, mais le maître et la maîtresse de la maison retiennent leurs hôtes; on soupe des restes du dîner, jusqu'à ce que les lueurs du jour éclairent la situation.

« Décidément, il faut s'en aller, dit André Lemoyne, mais comment?

Comment? Mais à pied, parbleu, répond le laird de Ravenswood.

A pied!... vous n'y songez pas ?

- J'y songe si bien que je pars et que je vous em

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mène. »

Et il partit, en effet, allègre et dispos, se redressant de toute sa hauteur, et il parcourut sans le moindre effort apparent le chemin, assez long, qui mène de Sèvres à Paris, tandis qu'André Lemoyne, dont la taille avait un peu l'air de sortir de la poche de son compagnon, trouvait, malgré le poids bien moins lourd de ses années à lui, la route longue, fatigante, et le suivait en répétant entre ses dents: «< Quel diable d'homme!... mais quel diable d'homme 1 ! »

Sa liaison avec Baudelaire demanderait, pour être bien contée, un Tallemant romantique. Elle commença par un article sur les Fleurs du mal, dans lequel le critique, fortement touché par le poète, avait parlé avec complaisance du talent et aussi des vices moraux de Baudelaire.

Celui-ci, agréablement caressé, car il aimait à passer pour très corrompu, se rendit chez son critique, et

1 M. NOEL BAZAN dans le Semeur.

prit, en mystificateur qu'il était, un air d'homme offensé. Et avec ses façons douces et catégoriques :

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- Voyez, monsieur, dit-il, dans quelle situation délicate vous vous êtes mis à mon égard. Vous m'avez donné le droit de vous demander raison, et si, en effet, je vous envoyais des témoins, votre foi catholique vous empêchant de vous battre en duel, vous seriez fort embarrassé.

Monsieur, répondit Barbey d'Aurevilly, j'ai toujours, malheureusement, mis mes passions au-dessus de mes principes. Je suis à vos ordres! »

On fera quelque jour le recueil des mots de M. d'Aurevilly, comme on a fait celui des mots de Chamfort, de Rivarol, du prince de Talleyrand. Il y mettait parfois un certain comique de haut gout, d'un effet irrésistible, souligné par l'œil et l'accent. Toujours imprévu, toujours inattendu, il avait une réserve inépuisable d'anecdotes, connaissant toute l'histoire de l'esprit en France, ayant tout lu, citant avec un aplomb merveilleux des tirades entières de tragédies dont le titre seul a survécu, des vers de Théophile de Viau, les farces macaroniques de Gautier-Garguille et de Galimafré. Où qu'il fût, il tenait son auditoire sous le charme, et nul n'osait détourner les chiens.

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Oui, l'on peut vraiment dire avec M. Paul Bourget que depuis Rivarol et le prince de Ligne personne n'a causé comme M. d'Aurevilly; car il n'a pas seulement le mot, comme tant d'autres, il a le style dans le mot, et la métaphore et la poésie. Mais c'est que toutes les facultés de ce rare talent se font équilibre et se tiennent d'une étroite manière ».

Ce n'est certainement pas lui qui aurait défini la périphrase: Le cycle circonlocutoire d'une sonorité oratoire, comportant un atome d'idéalité perdu dans une profondeur verbale ».

On lui prête bien des mots qu'il n'a pas dits, bien des aventures qui n'ont pas eu lieu. Donnons-lui la parole à lui-même sur celle de la première représentation de la Lucrèce Borgia de Victor Hugo, en 1869, au théâtre de la Porte-Saint-Martin, dont le récit fantaisiste, souvent répété par les journaux, le mécontentait tout particulièrement :

« Je n'ai pas fait la sortie contre la Lucrèce Borgia de Hugo et je n'ai parlé de mameloucks que dans ma critique des Misérables, » écrivait-il à Mlle R*** il y a quelques années. « C'est toujours la même chose, le mensonge qui s'attache à moi, même bienveillant!... Ai-je besoin de vous dire cela, à vous? Mais voilà comme on déplace tout! Qui donc me désentortillera de ce manteau de mensonges à travers lequel on me voit toujours?

Si je n'étais pas maintenant l'endurci de la vie, le Bronzino du mépris, qui aimerait mieux l'obscurité que tout, si j'étais sensible au succès qui m'eût ravi plus tôt, comme cela me gâterait mon succès, qui est le premier! N'en parlons plus!... C'est déjà trop. »

Il était alors dans tout l'étonnement que lui causa le succès de l'Histoire sans nom.

Lorsque Lucrèce fut reprise en 1881, le critique put enfin dire son mot, et il le dit avec la férocité d'un convaincu, avec la violence d'un croyant que la gloire exubérante d'Hugo ne faisait point trembler ni broncher. Son feuilleton du Triboulet mettait en pièces le méchant mélodrame du poète, fait de calomnies

historiques, d'insanités, et justifiait terriblement la grande parole de Byron : « La colère du jeune homme est comme une flamme de paille; mais celle du vieillard ressemble au fer rougi par le feu. »

De Victor Hugo à une comédienne la transition est brusque, alors qu'il ne s'agit pas de Rachel ou de Mile Mars. Il faut néanmoins rappeler une historiette qui semble détachée des mémoires secrets du galant XVIIIe siècle. La comédienne, Duverger, était plus célèbre par ses diamants que par son talent. Le critique l'avait comparée à Antigone, par allusion à certain tableau que Tibère possédait à Caprée. L'article, paru dans la Veilleuse, fit grand tapage. La comédienne, furieuse, jura de se venger publiquement. Un soir, à l'Opéra-Comique, à la première représentation du Premier jour de bonheur, M. d'Aurevilly et un de ses amis, raconte M. Octave Mirbeau, occupaient des places au premier rang de l'orchestre. En se retournant, l'ami aperçut dans une baignoire d'avant-scène Mile Duverger menaçante, toute rouge de colère, et, près d'elle, le prince Anatole Demidoff, qui, la tête roulant sur le plastron de sa chemise, dormait et ronflait. Pour gagner les couloirs de l'orchestre, il fallait passer devant cette loge.

- Duverger est là, dit l'ami à Barbey d'Aurevilly. Elle a l'air furieux, vous ferez sagement de ne pas sortir, car elle est femme à faire un scandale.

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