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« le cœur s'en tord dans la poitrine et que le cerveau en est frappé comme d'une décharge d'électricité foudroyante!

« CE QUI NE MEURT PAS est dédié, en ces termes :

« A mon très cher ami le docteur Selligmann,

« Je dédie cette dramatique nosographie de la Pitié. « Je la lui dédie comme au médecin d'une bonté réfléchie, plus grande encore que sa science, et qui, si les sentiments étaient des maladies, refuserait noblement de guérir les hommes de celle-là. »

< Moraliste chrétien, dit un critique', Jules Barbey d'Aurevilly ne s'est point cru voué de ce chef aux fadeurs morales recherchées pour les bibliothèques de jeunes pen sionnaires; il a supporté que le Bégueulisme lui jette sa petite pierre ». - Coudoyant sans cesse la vie bruyante et distinguée, l'observant avec prédilection, il fut frappé de voir combien par ce temps d'ineffables et de délicieux progrès, le crime a conservé son effroyable poésie.

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« C'est cette poésie effroyable que Barbey a essayé de jeter, en artiste puissant, dans ses romans : Bien entendu, fait-il en commençant l'un d'eux, qu'avec leur titre, les Diaboliques n'ont pas la pré<< tention d'être un livre de prière ou d'Imitation « chrétienne... Elles ont pourtant été écrites par un

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1 JEROME ALDA, dans l'Étudiant, de Louvain.

< moraliste chrétien, mais qui se pique d'observa<tion vraie, quoique très hardie, et qui croit, c'est sa poétique, à lui que les peintres puissants peuvent tout peindre et que leur peinture est toujours assez morale quand elle est tragique et qu'elle << donne l'horreur des choses qu'elle retrace. »

A pareil souffle inspirateur l'œuvre s'enrichit d'une pleine hottée de détails terriblement risqués. L'auteur, qui ne les raconte aux âmes pures que pour les en effrayer, fait remarquer que la littérature devrait renoncer à se dire l'expression de la société, si elle n'exprimait que la moitié des crimes que la société commet mystérieusement et impunément tous les jours, avec une fréquence et une facilité charmante.

«

Poétique endiablée! Morale tragique! tels sont les deux cris que Jules Barbey d'Aurevilly a lancés dans l'arène littéraire, comme un défi aux bonnes gens; il a entrepris de donner des livres qui ne peuvent aller en toutes les mains, et qui n'en sont que plus puissamment moraux; il a un peu ruiné la vieille théorie qui prend l'imagination de la toute candide jeune fille comme criterium et comme trébuchet d'un bon livre. - Ce qui est mieux, il a fait des chefs-d'œuvre pour étayer sa thèse; si bien qu'aujourd'hui, on la salue volontiers de ce beau nom de maître. »

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XII

LE CATHOLIQUE

Un jour que Lamartine parlait de Goethe avec Henri Blaze de Bury, le traducteur de Faust, il s'interrompit, ouvrit la fenêtre, et montrant du doigt l'étendue Dites-moi, demanda-t-il d'un ton grave et recueilli, dites-moi, que pensait Goethe de ce qui se passe de l'autre côté de l'horizon ? »

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Question qui eût étonné, venant de tout autre que lui, car Blaze de Bury, en contant cette anecdote, fait observer que la poésie tenait lieu de tout aux hommes de cette génération; elle était à la fois leur religion, leur philosophie et leur politique. On venait au romantisme de tous les côtés : Lamartine et Victor Hugo, en catholiques royalistes; Sainte-Beuve, Stendhal, Mérimée, en libres-penseurs. Au surplus, peutêtre faut-il voir comme le critique de la Revue des Deux Mondes, les catholiques littéraires de 1830 Respectueux des choses saintes, auxquelles le retour des esprits vers les sources du moyen âge prêtaient des couleurs séduisantes, ils pratiquaient une sorte de

déisme artistique, et se contentaient de croire aux soleils suspendus comme des lampes d'or sous les pieds de l'Éternel. Le majestueux silence des cathédrales, la lueur voilée et prismatique des vitraux, le chant des orgues aux jours de fête, tout cela servait de cadre à des drames, à des romans, à des opéras. »

Barbey d'Aurevilly ne fut pas un catholique de cette espèce, on l'a vu déjà dans les pages consacrées à l'homme et à l'œuvre, au critique, au poète, à l'artiste, au romancier. Il le fut, comme l'Eglise veut qu'on le soit, avec sincérité, avec soumission.

Né catholique, en pays normand, au surlendemain. de l'extraordinaire anarchie qui aboutit au despotisme du César moderne, il garda la foi de sa race, les croyances de son éducation, à la fois libérale et soumise aux traditions de l'ancien régime. Autoritaire par tempérament, inflexible dans ses idées, il ne pouvait être que catholique, et il le fut toute sa vie, avec une indépendance et une sérénité que ses pires détracteurs furent contraints d'admirer. Et précisément parce qu'il professait une doctrine tombée en défaveur sous le règne du juste milieu, parmi les Guizot, les Lamennais, les Béranger, tous les libérâtres du gouvernement de Juillet, précisément parce que, royaliste par ses souvenirs et napoléonien par l'esprit politique, il continua de soutenir la cause sacrée de l'Eglise, il fut toute sa vie en butte à une double persécution: la conspiration du silence et l'outrage. Il fallut son courage, sa persévérance pour vaincre les hostilités, avouées ou inavouables, qui l'écartaient du monde littéraire.

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