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IV

LETTRES A G.-S. TRÉBUTIEN

Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es. »

Ainsi que tous les proverbes, celui-ci a quelquefois raison, et souvent tort. Il n'en est pas moins vrai que les hommes valent par le milieu où ils se trouvent, et que les artistes, en particulier, cherchent à se rapprocher les uns des autres, dès qu'ils ont communauté d'impressions et d'opinions. Je ne définirai pas l'amitié l'opportunisme du sentiment », avec le chevalier de Crollalanza, et ne répéterai pas davantage, après je ne sais quel humouriste bourru: Les amis, c'est comme les fiacres, quand il pleut, on n'en trouve jamais. J'adapterais plus volontiers à l'amitié ce qu'on a dit de l'amour: « C'est le dévouement de l'autre », sentence à rapprocher de la vérité formulée en ces termes par Alexandre Dumas fils: Le devoir, c'est ce qu'on exige des autres. »

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Barbey d'Aurevilly trouva certainement beaucoup d'amis, même quand il pleuvait. Il fut le dévoué, et il fut l'autre, et il suivait divers courants dans ses liaisons, durant les années de sa longue existence. Dans sa jeunesse, il eut son frère Léon, Alphonse

Le Flaguais, plusieurs jeunes gentilshommes normands de son rang et de son âge, mais surtout Maurice de Guérin, puis Trébutien, à qui il dédiait la Bague d'Annibal.

Guillaume-Stanislas Trébutien, né avec le siècle, avait huit ans de plus que son grand ami. Il appartenait à une famille des plus honorables, mais pauvre ; il était d'une santé précaire, infirme, devait travailler pour vivre, et travaillait cependant avec ardeur pour s'instruire, étant fort porté vers l'étude des langues orientales. Grâce à ses relations avec M. Champollion- Figeac et avec M. Guizot, et surtout à celles de Barbey d'Aurevilly avec le maire de Caen d'alors, M. Bertrand, il avait obtenu un emploi secondaire et modeste, mais selon ses goûts, à la bibliothèque de Caen, après avoir publié successivement les contes extraits du Thouthi-Nameh, traduits du persan, trois volumes de contes inédits des Mille et une Nuits, plusieurs fragments de poésie orientale dans la Revue du Calvados, et participé dans une large mesure à l'édition faite par sir Spencer Smith des recherches du chevalier Joseph de Hammer sur le culte de Mithra.

Il se liait alors avec nombre d'hommes illustres, membres de la société Asiatique, MM. Sylvestre de Sacy, Chézy, de Rosenzweig, le baron de HammerPurgstall. Mais il dut renoncer à ces études si attrayantes. Il donna un moment, vers 1830, dans les idées saint-simoniennes, qui avaient captivé son imagination, mais il revint sans tarder à la littérature classique, et surtout à celle du moyen âge, que rénovait, à ce moment, le mouvement romantique. Il pu

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blia dès lors plusieurs textes de poèmes populaires, qui lui valurent d'être appelé par Sainte-Beuve « un des vaillants défricheurs de notre moyen âge D II éditait ses trouvailles en plaquettes magnifiques, reproduisant jusqu'à la minutie les textes des anciens. manuscrits, et destinées à faire l'admiration des bibliophiles. Mais il ne songeait ni à les éclairer de commentaires, ni à les enrichir de ces notes qui interprètent les textes et les mettent en valeur par une judicieuse critique, réserve extraordinaire que son ami d'Aurevilly essayait de combattre, lorsqu'il lui écrivait :

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Écrivain, mais vous l'êtes jusqu'à la pointe des cheveux; seulement, vous avez une Dalila cruelle qui vous les coupe; c'est la Défiance de vous-même, cette pâle sœur du désespoir. Elle avait pris aussi notre Guérin dans ses bras mous et inertes, et elle avait diminué sa puissance; c'est moi qui l'ai fait redevenir Samson. Je voudrais bien vous produire dans les facultés ce que j'avais enfin produit dans les sciences. Je voudrais bien vous allumer assez pour que vous vous missiez à écrire cette charmante chose de titre, dont vous m'avez donné une envie folle en m'en parlant. »

Une femme de lettres, qui demeure une figure curieuse et assez énigmatique, Marie Jenna, a caractérisé Trébutien par un portrait qui doit être fort ressemblant : « Nul plus que lui, dit-elle, n'éprouvait le besoin de faire partager son admiration. Quand il rencontrait quelque trésor intellectuel, quelque diamant de la pensée, il eût voulu l'enchâsser dans l'or et l'élever à tous les regards. De là tant de copies faites d'une main ferme et magistrale, qui semblait

écrire pour les siècles; de là encore tant de publications intimes, qu'il soignait avec un amour d'artiste, ne trouvant jamais l'écrin assez beau pour les pierres qu'il y voulait renfermer. >>

Ainsi transcrivait-il pendant des années et des années, avec un soin religieux, sur du papier choisi, les lettres que lui écrivait Barbey d'Aurevilly, ces Dominicales à l'encre rouge, journal hebdomadaire d'impressions intimes et de libres jugements, écrit, avouons-le, en vue de la postérité. On nous saura gré d'en transcrire ici une partie en ne retranchant du texte de l'auteur que ce qui se peut rapporter à des intimités désormais ensevelies dans la paix et le silence de la tombe.

« Villa Beauséjour, 4 septembre 1844.

«Es Muy bien! Votre lettre est parfaite. Elle n'a eu aucun besoin de s'appuyer sur ma parole. La chevalerie l'a fait écrire la chevalerie a tenu la plume. On l'a accueillie comme on devait. Vous faites à merveille, simplement, noblement. Tout y est jusqu'à la nuance de mélancolie, l'adieu au bonheur qui plaît aux femmes et les fait rêver, tout jusqu'à la cire bleue, jusqu'au cachet plein de mystères, car rien de ces détails n'est indifférent à ces étranges imaginations.

«Enfin, mon ami, votre lettre est bien de vous, du Trébutien dont je me suis fait le Van Dyck moral. Vous avez signé votre succès, le plus beau succès, un succès de désir et de regret. On désirait vous connaître, on regrette que vous ne soyez pas venu. Si vous étiez venu, ô coquette qui se cache, vous m'éviteriez de vous faire une description de Beauséjour que je ne vous ferai pas, car la littérature moderne m'a donné l'horreur des descriptions. Seulement

quelques mots par égard pour une curiosité si aimable et les voici.

<«< Beauséjour est un immense jardin anglais planté de plusieurs pavilions à l'italienne qu'on loue pour la saison aux sybarites de Paris qui veulent sucer du bout des lèvres la friandise d'une campagne. Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales, persiennes entr'ouvertes, massifs mystérieux, allées tournantes, voitures roulant sur le sable emportant des femmes qui vont au bois, dans leurs gondoles découvertes, et sous l'abri satiné des ombrelles, cris d'enfants au jardin, grandes jeunes filles, à la taille en fuseau, perchées sur des vases où elles sèment des fleurs, robes qui ne fuient pas trop au détour des bosquets, non! rien de sauvage, ma foi! Du mouvement, de la vie se perdant dans la placidité des parcs; dans les chemins dorés de soleil, plus de commérages parisiens que de sifflements de vipères, peu de solitude; on sort et dans les plus hautes herbes on voit des femmes couchées en rond. Ce sont des Décamérons à n'en plus finir: partout la jeunesse, l'abondance, belles nourrices, à faire comprendre les propos inconvenants de Sganarelle, donnant le sein à leurs enfançons blancs et roses, et cela en plein jour, en pleine vue, tant pis ou tant mieux si l'on passe, mais leur sein n'en a pas bougé. Jugez maintenant si Beauséjour mérite de s'appeler Beauséjour. Ce n'est point la ville, ce n'est point la campagne, c'est un méli-mélo des deux. Notre grille d'entrée s'ouvre dans le bois de Boulogne. Les arbres du bois jettent leur teinte verte dans ce salon où je ne vous ai pas à prendre le café avec moi. A une portée de pistolet, en face de nos fenêtres, le Ranelagh et ses polkeuses, toutes les corruptions de Paris faisant belle croupe deux fois la semaine sur les gazons illuminés, et plus loin. à l'opposite, un Retiro silencieux, le hameau de Boulainvilliers, coquille toute tapissée de mousse, petit vallon, grand comme une main d'enfant gantée d'une mitaine verte. Des Lionnes habillées par Victorine y sont assises à la porte cintrée des chalets. Si tout cela pouvait vous séduire, je serais bien payé de la

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