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les étrangers d'exercer la pèche maritime dans toutes les mers territoriales était considéré presque partout à cette époque, et notamment en France, comme une règle du droit des gens à laquelle il ne pouvait être dérogé que par des conventions spéciales.

Néanmoins, cette règle n'était pas admise par tous les pays ni par tous les publicistes. Le droit absolu de souveraineté des Etats riverains dans leurs eaux territoriales était revendiqué et exercé par plusieurs Etats relativement à la pêche, comme par rapport aux douanes et à la répression des crimes et délits. On peut citer entre autres la Russie, le Danemark et enfin l'empire d'Allemagne qui a interdit la pèche côtière aux étrangers par une disposition de son Code pénal, sans attendre d'y être autorisé par des conventions internationales. En France même, où la thèse contraire avait toujours été admise par le Gouvernement, plusieurs publicistes ont soutenu que le droit reconnu aux étrangers de pêcher dans nos eaux territoriales dérive non d'un principe du droit des gens, mais d'un usage ancien, qui lui-même aurait pour point de départ un fait historique et non un principe juridique. Suivant eux, le Pacte de famille ayant entièrement assimilé les Espagnols et les Français quant à l'exercice de la pêche dans leurs eaux respectives, et cette assimilation ayant été étendue aux sujets du royaume des Deux-Siciles, on ne put pas la refuser ensuite aux autres Italiens, ni aux riverains de la Manche et de l'Atlantique.

Cette explication, difficile à concilier avec les faits les mieux constatés, n'infirme d'ailleurs en rien la thèse que nous exposons en ce moment. Tout le monde en France reconnaissait que, soit en vertu d'un principe du droit des gens, soit en vertu d'un ancien usage, les étrangers avaient le droit d'exercer la pêche dans nos eaux territoriales aux mêmes conditions que nos nationaux, et que ce droit ne pouvait leur être retiré que par des conventions internationales. Et ce principe était reconnu non seulement par la France, mais aussi par les trois pays à l'égard desquels son application était la plus fréquente, l'Angleterre, l'Espagne et l'Italie.

Néanmoins, sous l'influence de diverses circonstances, un travail en sens contraire se faisait dans les esprits. A bien des points de vue, la rencontre habituelle, près des côtes, de marins appartenant à des nationalités différentes, n'était pas sans inconvénient. Il en résultait presque nécessairement des rixes, des querelles ; et, plus d'une fois, des difficultés internationales, la guerre même, en ont été la conséquence. Aussi rencontre-t-on d'assez bonne heure des conventions par lesquelles certains pays réservent à leurs nationaux respectifs l'exercice de la pèche jusqu'à une certaine distance des côtes. Mais c'est surtout de notre temps que ces conventions se multiplient. La première en date est celle du 2 août 1839, complétée par une déclaration du 24 mai 1843, portant règlement général des pêcheries entre la France et la Grande-Bretagne. Cette convention, promulguée en France le 23 juin 1846, et sanctionnée par la loi du même jour, réservait aux nationaux des deux pays l'exercice de la pèche dans une partie de leurs eaux territoriales respectives, et fixait les limites de ces eaux réservées, comme il a été dit au début de ce rapport. Cette convention est expressément maintenue par le décret-loi du 9 janvier 1852; mais pendant toute la durée du second Empire et jusqu'à une époque tout à fait récente, elle resta unique.

5 arrondissement. (Ce dernier rendu applicable, avec quelques modifications, à l'Algérie.)

Cependant, des réclamations de plus en plus vives s'étaient élevées contre le droit des pêcheurs étrangers qui, dispensés de l'inscription maritime et de la plupart des charges qui pèsent sur nos nationaux, jouissaient en réalité d'un privilège injuste. Cette considération, le besoin croissant et urgent d'augmenter nos forces de terre et de mer, l'exemple des autres peuples, qui, sous l'empire des mêmes nécessités, resserraient de plus en plus les liens nationaux, l'exemple surtout de l'Allemagne qui, de sa propre autorité, fermait ses eaux aux étrangers, modifièrent peu à peu les idées du Gouvernement, sans l'amener toutefois à croire qu'il pût, sans convention spéciale, réserver exclusivement à nos nationaux l'exercice de la pêche dans nos eaux territoriales.

Dans les négociations qui ont abouti aux traités de commerce et de navigation conclus ou promulgués en 1882, cette tendance restrictive se fait jour. Non seulement dans la convention anglo-française qui reproduit sur ce point la convention de 1839, mais dans le traité franco-espagnol du 6 février 1882, se trouve un article ainsi conçu (art. 29): « Les dispositions du présent traité ne s'appliquent pas au régime du cabotage ni au régime de la pêche. Chacune des hautes parties contractantes réserve pour ses nationaux l'exercice de la pêche dans ses eaux territoriales. >>

Cependant la plupart des traités conclus à cette époque ne vont pas aussi loin et se contentent, comme le faisaient déjà plusieurs conventions antérieures, de réserver les avantages dont les produits de la pêche nationale pourront être l'objet dans l'un ou l'autre pays. Cette clause se trouve en termes exprès dans les conventions conclues avec la Belgique, la Suède et la Norwège, le Portugal et implicitement, comme nous le verrons, dans le traité franco-italien. Elle donne incontestablement à chacun des pays contractants le droit de favoriser la pêche de ses nationaux, au moyen de droits de douane ou d'autres avantages, mais elle n'implique aucunement l'exclusion des étrangers de l'exercice de la pêche côtière.

Mais, à la même époque, une convention d'un caractère beaucoup plus général consacra pour tous les États du Nord la règle qui jusqu'alors n'avait été pratiquée que vis-à-vis de l'Angleterre, et qui venait seulement d'être posée vis-à-vis de l'Espagne. C'est la convention de la Haye du 6 mai 1882 (promulguée en France le 11 avril 1884), conclue entre la France, l'Angleterre, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Danemark, pour régler la police de la pêche dans la mer du Nord. Son article 2 est ainsi conçu « Les pêcheurs nationaux jouiront du droit exclusif de pêche dans le rayon de trois milles à partir de la laisse de basse mer, le long de toute l'étendue des côtes de leurs pays respectifs.

Ainsi, en ce qui concerne la mer du Nord, la Manche et toutes les côtes de l'Atlantique, y compris le golfe de Gascogne, le droit d'interdire la pèche aux étrangers est pleinement consacré par les conventions internationales et sa sanction par une clause pénale ne peut donner lieu à aucune difficulté diplomatique.

En est-il de même dans la Méditerranée ?

D'après ce que nous venons de voir, la question n'a plus lieu de se poser vis-à-vis de l'Espagne. La disposition de l'article 29 de la convention du 6 février 1882 est générale et elle s'applique sans distinction à la Méditerranée tout aussi bien qu'au golfe de Gascogne; mais vis-à-vis de l'Italie, la situation n'est pas tout à fait aussi nette.

Nous avons déjà indiqué qu'outre l'usage commun, le droit des Espagnols d'exercer la pêche dans toutes les eaux françaises, et le droit correspondant des Français de pêcher dans les eaux espagnoles, se fondait sur des stipulations expresses du Pacte de famille. Le traité du 15 août 1761 et la convention du 2 janvier 1768 assimilaient les nationaux des deux pays pour l'exercice de tout commerce et de toute industrie et spécialement pour l'exercice de la pêche de la vente du poisson. Cette assimilation fut étendue aux sujets du royaume des Deux-Siciles, et, circonstance digne d'être notée, elle fut confirmée pour les uns et pour les autres par la loi du 8-12 septembre 1790. Il fut même généralement entendu que la règle dérivant soit du Pacte de famille, soit de la loi de 1790, était applicable également aux autres Italiens et en particulier aux Génois et aux Sardes, qui en ont surtout profité.

Ces points ont été mis en pleine lumière par deux Commissions instituées en 1849 et en 1863 au Ministère de la Marine. Ces deux Commissions posent en principe qu'en vertu tant des règles générales que des traités et lois que nous venons de rappeler, le droit de pêche dans nos eaux territoriales ne saurait être contesté aux Espagnols ni aux Italiens. Seulement, en ce qui concerne ces derniers, les enquêteurs font une distinction entre les sujets de l'ancien royaume des Deux-Siciles et ceux de la Sardaigne. La loi de 1790 n'ayant reconnu qu'aux sujets du royaume des Deux-Siciles la plénitude des droits consentis ou garantis par le Pacte de famille, ils estiment que les autres Italiens ont bien le droit de pêche, mais comme tous les autres étrangers, en vertu de l'usage commun, et que rien n'empêche dès lors d'établir des droits de douane sur les produits de leur pêche débarqués en France pour y être vendus. L'une et l'autre Commission s'accordent d'ailleurs pour reconnaître que cette situation ne peut être modifiée que par des conventions internationales. C'est l'application de la règle généralement admise à cette époque pour l'exercice de la pêche côtière. Mais le Pacte de famille et la loi de 1790 n'ont plus aujourd'hui aucune raison d'être ; les événements contemporains et, par surcroît, les plus récentes conventions conclues avec l'Espagne et avec l'Italie, en ont fait disparaître jusqu'aux derniers vestiges: les sujets du royaume d'Italie, quel que soit leur lieu d'origine, sont rentrés dans le droit commun.

Nous sommes donc ramenés à l'appréciation de notre situation vis-à-vis de l'Italie, telle qu'elle résulte de nos dernières conventions avec ce pays. Le traité de commerce du 3 novembre 1881 (promulgué le 14 mai 1882) n'a pas été suivi, comme il le prévoyait, d'une convention de navigation dans laquelle sans doute la question aurait reçu la même solution que dans le traité franco-espagnol. En conséquence, et suivant une disposition formelle du traité, les deux pays sont restés sous l'empire de la convention du 13 juin 1862 (promulguée le 20 janvier 1864), dont l'article 8 est ainsi conçu : Il est fait exception aux stipulations de la présente convention en ce qui concerne les avantages dont les produits de la pêche nationale sont ou pourront étre l'objet dans l'un ou l'autre pays. » C'est la clause même que nous avons vue reproduite dans plusieurs des traités de 1882, et, comme nous l'avons dit plus haut, cette clause n'a jamais été entendue comme impliquant le droit d'interdire aux étrangers la pêche dans les eaux territoriales. Elle ne suffirait donc pas, à elle seule, pour nous mettre à couvert de toute réclamation. Il faut, en outre, remarquer que, dans une annexe du traité de 1881,

le Gouvernement italien réclame et obtient le maintien du statu quo jusqu'à conclusion d'un nouveau traité de navigation, pour ce qui concerne la pêche du corail en Algérie (1). Mais il existe au même traité de 1881 une deuxième annexe d'une importance décisive, par laquelle le Gouvernement italien revendique pour les pêcheurs des deux pays dans leurs eaux respectives le traitement de la nation la plus favorisée.

Cette stipulation est d'autant plus importante qu'elle a un caractère exceptionnel. En thèse générale, la clause du traitement de la nation la plus favorisée ne s'applique qu'aux stipulations proprement financières des traités de commerce; mais ici il en est tout autrement. En effet, ce que demande le Gouvernement italien et ce qu'accorde le Gouvernement français, c'est précisément que cette clause, qui généralement ne vise que les droits de douane, s'applique également en matière de pêche et de navigation (2). La question de droit international se trouvant ainsi vidée, nous avons à examiner maintenant si l'interdiction de la pêche aux étrangers dans nos eaux territoriales est opportune. Dans les mers qui baignent nos côtes occidentales, la question ne se pose même pas et il est inutile de la discuter. Mais, jusque dans ces dernières années, l'opportunité de cette mesure dans la Méditerranée avait été vivement contestée par le Département de la Marine. Les deux Commissions de 1849 et de 1863 la repoussaient comme contraire à nos vrais intérêts économiques, sans s'arrêter aux plaintes et aux réclamations de nos populations maritimes. Ces plaintes portaient principalement sur la main-d'œuvre moins élevée des pêcheurs étrangers, sur leur outillage à la fois meilleur et moins coûteux, mais surtout sur la lourde charge que l'inscription maritime impose à nos nationaux. Insistant sur ce point, l'on disait que le découragement jeté parmi nos pêcheurs par la concurrence étrangère les éloignait de plus en plus de la pêche et compromettait par là un grand intérêt national.

A ce dernier argument, les enquêteurs répondaient en constatant en fait que les étrangers représentaient à peine en hommes et en bateaux le cinquième de la pêcherie nationale; que cette proportion était en décroissance continuelle, en même temps que le nombre des pêcheurs nationaux croissait incessamment. Ils ajoutaient que si la concurrence des Italiens et des Espagnols était à ce point redoutée, c'est qu'ils apportaient dans l'exercice de leur profession une ardeur, une sobriété, un esprit d'ordre et d'économie, malheureusement très rares chez nos pêcheurs de la Méditerranée. Mais, pour justifier le maintien de cette concurrence, ils insistaient particulièrement sur la hausse constante du prix du poisson, hausse tellement considé

(1) La pêche du corail en Algérie a été réglementée par divers arrêtés et décrets et, en dernier lieu, par un décret du 19 décembre 1876, dont l'exécution a toujours été ajournée jusqu'ici et vient de l'être encore tout récemment sur les réclamations du Gouvernement italien.

(2) Voici les propres termes de cette annexe : « Il (le Gouvernement italien) désire qu'il soit entendu que, pendant tout le temps du traité de commerce, le traitement de la nation la plus favorisée sera, en toute hypothèse, assuré de part et d'autre aussi en matière de navigation, et que les pêcheurs italiens sur les côtes françaises et algériennes, comme les pêcheurs français sur les côtes italiennes, jouiront, pour la pêche du poisson, du traitement de la nation la plus favorisée vis-à-vis de tout autre pavillon. Et le Gouvernement français adhère, non pas toutefois pour toute la durée du traité, mais en réservant l'approbation des Parlements sur les clauses du nouvel arrangement maritime à négocier. »

rable dès lors que cet aliment était, suivant eux, inaccessible aux populations pauvres et que l'industrie des salaisons s'en trouvait compromise. Ils faisaient remarquer enfin que cette hausse ne pouvait que s'accroître encore à raison de l'énorme accroissement du rayon de vente produit par la facilité, l'économie et la rapidité des nouvelles voies de communication.

Ces raisons, en 1863 et pendant toute la durée de l'Empire, ont paru décisives, peut-être parce qu'elles s'ajoutaient à certaines préoccupations politiques. Elles semblent pourtant, si l'on y regarde de près, plus spécieuses que solides et même, en quelques points, contradictoires. Si, en effet, l'on admet que la pêcherie étrangère est trop faible pour faire à la pêcherie nationale une concurrence dangereuse pour celle-ci, il est bien difficile d'admettre en même temps qu'elle soit indispensable pour assurer les besoins de la consommation. Quoi qu'il en soit, les faits subséquents ont donné raison à la première partie des constatations de l'enquête de 1863. Le nombre des bateaux étrangers diminue sans cesse, et celui des bateaux et des pêcheurs français augmente sur le littoral méditerranéen. Nous avons eu communication d'un document émanant de la préfecture maritime de Toulon, qui constate que, dans le sous-arrondissement de Marseille, sur près de 3.000 embarcations, on ne compte qué 100 à 120 bateaux étrangers, la plupart espagnols. Le commissaire général de la marine, à Marseille, en conclut avec raison que, réduite à ces proportions, la concurrence étrangère ne saurait apporter un contingent vraiment utile à l'alimentation publique, bien qu'elle soit encore suffisante pour entretenir entre les marins étrangers et les nationaux des animosités qui constituent un danger permanent pour l'ordre public dans ces parages; d'un autre côté, il résulte des documents les plus récents (1) que la pêche dans la Méditerranée par les bateaux français a pris des proportions de plus en plus considérables pour se mettre en état de desservir le marché étendu que les chemins de fer ouvrent à ses produits, et que, si le prix du poisson, sur les côtes mêmes de la Méditerranée, comme au surplus également sur celles de la Manche et de l'Atlantique, a subi une hausse considérable, cette hausse, profitable d'ailleurs aux pêcheurs, est la conséquence nécessaire de l'extension du marché et ne s'est pas élevée sensiblement au-dessus de la hausse générale de la plupart des substances alimentaires. En présence de ces faits, le Ministère de la Marine a modifié son ancienne manière de voir, et, depuis 1878, il ne cesse d'insister auprès du Ministère des Affaires étrangères pour l'interdiction de la pêche côtière aux étrangers.

Il parait donc certain qu'aucun intérêt économique sérieux, ni aucune considération d'ordre international ne s'opposent à l'adoption du projet de loi. Quant aux raisons qui en justifient la présentation, elles peuvent se résumer en quelques mots :

1o La concurrence des marins étrangers et des marins français suscite partout où elle est admise, et particulièrement dans le golfe de Gascogne et dans la Méditerranée, des querelles incessantes, souvent sanglantes et infiniment regrettables ;

2o Nous avons un grand intérêt, un intérêt vraiment national à favoriser par tous les moyens possibles le développement de notre population de marins soumis à l'inscription maritime;

(1) Voir les résumés de l'enquête ouverte par la Commission sénatoriale du repeuplement des eaux, notamment les rapports de MM. Barne, Charles Brun et Bonnet.

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