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de la République ne voit pas comment il aurait pu être modifié par la présence des troupes et des autorités italiennes, puisqu'aucun traité n'a été passé ni avec la puissance souveraine, ni avec la puissance vassale, dont le territoire de Massaouah relève plus directement, ni même avec le Négus. Aucun arrangement diplomatique, d'un caractère quelconque, n'a porté atteinte à l'état préexistant. Aussi le Gouvernement italien s'est-il abstenu de notifier, conformément aux règles établies par l'acte de Berlin de 1885, sa prise de possession à toutes les Puissances signataires de cet acte, afin de les mettre à même de faire valoir, s'il y a lieu, leurs réclamations. Aucune notification de ce genre n'a été faite au Gouvernement français, et, en tout cas, une notification à une seule puissance n'aurait pu suffire pour transformer le caractère de l'occupation italienne. La situation des Italiens à Massaouah reste donc indéterminée et ne peut être que celle qui appartient aux belligérants.

Le Gouvernement de la République a scrupuleusement respecté les droits des Italiens belligérants, et il a pris le plus grand soin de ne rien faire qui fût de nature à entraver leurs opérations militaires; mais il ne saurait en être de même en ce qui concerne l'exercice de pouvoirs administratifs, qui se trouvent naturellement limités par les privilèges que les étrangers tirent des capitulations. Pendant la période des opérations de guerre, le Gouvernement de la République s'est abstenu de gêner l'action italienne, même par des discussions de principes; cependant il a réclamé, dans des cas spéciaux, lorsqu'il y a été sollicité par des particuliers lésés, et ses réclamations ont été accueillies comme elles devaient l'être. Le principe des capitulations et les droits qui en ressortent ont donc été toujours réservés, soit en matière de juridiction, soit en matière d'impositions, au moment où la question a été nettement posée au sujet de taxes, qui, n'ayant qu'un caractère municipal, pouvaient servir de texte à la discussion, sans que l'administration centrale fût entravée, ni les intérêts militaires en rien compromis. Le Gouvernement de la République a eu, d'ailleurs, d'autant plus de motifs de poser la question, à l'occasion de ces taxes, qu'il y a été invité par le Gouvernement hellénique, dont il protège les nationaux de Massaouah.

Le Gouvernement de la République déclare donc que c'est par son ordre, et conformément au désir que lui avait exprimé le Gouvernement hellénique, que son agent à Massaouah a conseillé à ses administrés de ne pas payer des taxes illégales et de ne céder qu'à la menace de la force. Il s'étonne de voir employer le mot de rébellion dans ces conjonctures, et il le repousse avec la plus grande énergie, de même qu'il proteste hautement contre tout emploi de la force, et fait ses réserves au point de vue des graves responsabilités qui en résulteraient.

Pour conclure, le Gouvernement de la République estime que les capitulations ne peuvent être supprimées ou modifiées dans leur application à Massaouah, qu'en vertu d'une entente entre le Gouvernement italien et les Gouvernements intéressés. Il ne s'est jamais refusé, pour son compte, à un échange de vues sur les conditions dans lesquelles ces modifications pourraient être introduites, mais il maintient que, jusqu'à ce que cet échange de vues ait abouti à un accord, les capitulations subsistent intégralement. Il n'a pas admis, en effet, pour sa pratique personnelle, que la présence d'une puissance chrétienne et l'établissement d'une administration euro

péenne dans un pays musulman, y entraînaient, de plein droit, la suppression des capitulations. Une pareille théorie nettement énoncée dans la note italienne lui paraît nouvelle; toutefois il prend acte, se réservant, pour le cas où le principe prévaudrait, d'en tirer les conséquences qui lui paraîtraient conformes à ses intérêts.

Lettre adressée le 5 août 1888 par le chargé d'affaires de France à Rome au Ministre ad interim des Affaires étrangères, d'Italie relativement aux affaires de Massaouah (Livre vert italien ut suprà). Rome, 5 août 1888.

Monsieur le Président du Conseil,

J'ai l'honneur de faire parvenir ci-joint à V. Exc. la note par laquelle le Gouvernement de la République répond aux deux notes du Gouvernement Royal en date du 25 juillet, et que S. Exc. le général Menabrea a remises à Son Exc. M. Goblet le 28 du même mois.

J'ajoute que cette communication a été également adressée aux représentants de la République auprès des autres Puissances, et que chacun d'eux est autorisé à laisser copie de ce document au Ministre des Affaires étrangères du Gouvernement auprès duquel il est accrédité.

Veuillez agréer, etc.

A. GÉRARD.

Annexe.

Le Ministre des Affaires étrangères à Paris au chargé d'affaires de France à Rome.

Paris, le 3 août 1888.

Le Gouvernement italien a remis aux Puissances, en date du 25 juillet, deux notes relatives à l'incident de Massaouah, qui appellent les observations suivantes :

Le désaccord entre le Gouvernement italien et le Gouvernement de la Ré publique porte sur ce que le premier regarde aujourd'hui les capitulations comme n'existant pas, ou même comme n'ayant jamais existé à Massaouah, tandis que le second affirme que les capitulations existaient à Massaouah, et qu'elles continuent d'exister jusqu'au moment où leur abrogation aura été consentie par les Puissances.

L'erreur du cabinet de Rome vient de ce que, suivant sa propre expression, il considère Massaouah comme étant res nullius, opinion difficile à soutenir au sujet d'un territoire aussi intéressant par sa situation, et d'une ville aussi importante. Comment admettre que ce point de la mer Rouge aurait été négligé jusqu'ici par toutes les Puissances et ne dépendrait d'aucune? Comment peut-on l'assimiler aux autres points de la côte orientale d'Afrique, situés en dehors du détroit de Bab-el-Mandeb, et dont les notes italiennes démontrent si facilement l'indépendance ? Le Gouvernement de la République a toujours considéré Massaouah comme appartenant à l'Egypte et à la Sublime Porte, et pour lui, les capitulations y existaient et y existent au même titre qu'en toute autre partie du territoire ottoman.

Le Gouvernement de la République a, d'ailleurs, à ce sujet, une compétence particulière, puisqu'il était et qu'il est encore le seul à avoir un viceconsul à Massaouah. Ce vice-consul tenait son exequatur de la Sublime

Porte. Il exerçait sa juridiction sur ses nationaux et sur les protégés de la France. Ce sont là des faits indéniables contre lesquels aucune argumentation ne peut prévaloir, et nous devons ajouter qu'ils ont, jusqu'à ces derniers temps, et à maintes reprises, été reconnus légitimes par les autorités italiennes. S'ils ne le sont plus aujourd'hui, on se demande pourquoi.

Le cabinet de Rome en donne deux motifs contradictoires. Tantôt il affirme que les capitulations n'existaient pas à Massaouah, et nous venons de voir ce qu'il faut penser de cette contradiction opposée à un fait palpable. Tantôt il considère les capitulations comme ayant en effet existé ; mais ditil, elles n'existent plus, parce qu'elles n'ont plus de raison d'être dans un pays administré par une Puissance chrétienne.

Nous ne nions pas que les capitulations n'aient plus de raison d'être dans un pays administré par une puissance européenne, mais tous les précédents nous autorisent à dire qu'elles ne sont pas supprimées ipso facto et qu'il faut, pour qu'elles disparaissent, l'adhésion des Gouvernements intéressés. C'est ce qui a eu lieu dans tous les pays que les notes italiennes passent en revue, à Chypre, en Bosnie et en Herzégovine. En Bulgarie, les capitulations subsistent; au surplus, ce pays, dans la situation indéterminée où il est aujourd'hui, ne saurait fournir aucun exemple. En Egypte, toutes les modifications introduites, soit dans le domaine judiciaire soit dans l'ordre financier, l'ont été à la suite d'une consultation et du consentement de l'Europe lorsque des taxes ont été établies illégalement, elles ont donné lieu à des protestations, et si, dans le cas particulier que cite une des deux notes italiennes, il n'y a pas eu jusqu'ici de protestation, la note ne conteste pas le droit d'en faire.

A Tunis, il n'a été porté atteinte aux capitulations, dans des conditions et des proportions qui ne sont pas les mêmes pour toutes les Puissances, qu'en vertu de conventions passées et de protocoles signés avec chacune d'elles, à la suite de laborieuses négociations. Partout enfin il a été procédé sinon de la même manière, du moins en vertu du même principe, à savoir que, même dans les pays où les capitulations n'avaient plus de raison d'être, elles ne disparaissaient qu'avec le consentement des intéressés. L'article 34 de l'acte de Berlin, en 1885, n'a pas infirmé cette règle, et luj a même donné une consécration nouvelle, en obligeant les Puissances qui prennent possession d'un point de la côte d'Afrique à notifier le fait aux autres, afin de les mettre à même de faire valoir, s'il y a lieu, leurs réclamations. Ces réclamations peuvent être de tout ordre, et rien n'empêche qu'elles portent non seulement sur les droits antérieurs à sauvegarder, mais aussi sur la validité des titres invoqués par la Puissance prenante; or, dans tous les cas que nous venons de citer, cette Puissance était en situation de présenter aux autres un traité préexistant, passé directement avec le Gouvernement protégé ou avec le Gouvernement souverain.

L'Italie seule n'a de traité ni avec la Sublime Porte, ni avec le Gouvernement Khédivial, ni avec le Négus contre lequel elle a fait la guerre. Aussi n'invoque-t-elle pas sa prise de possession pure et simple. Elle ajoute toutefois que, d'après le jus gentium, l'abandon préalable est nécessaire pour que l'occupation confère un droit de propriété. Elle avoue que, lorsqu'elle a occupé Massaouah, le territoire n'était pas encore abandonné. Elle conclut que son droit de souveraineté est donc établi. Cependant, elle ne peut disconvenir qu'il ne l'a pas toujours été avec une certitude complète. Elle a

proclamé, en effet, pendant assez longtemps, le caractère précaire de son occupation. Les déclarations du cabinet de Rome étaient à cet égard catégoriques, et les notes du 25 juillet les rappellent: « M. Mancini, y est-il «dit, qui dirigeait en ce temps la politique extérieure du Royaume d'Italie, « n'hésitait pas à déclarer que notre intention n'était pas, en cette circons«tance, de soulever une question territoriale. » Et en effet, pendant près d'une année, le drapeau Khédivial continuait de flotter à côté du drapeau italien. Des taxes diverses ont été, à la vérité, créées; certaines atteintes, excusables par l'état de guerre, ont été portées aux capitulations : tous ces faits ont été l'objet de réserves, et le moment devait venir où ces réserves produiraient naturellement leurs effets. Le Gouvernement italien, après avoir déclaré, comme nous l'avons vu, que la question de souveraineté territoriale n'était pas soulevée, ni par conséquent résolue à cette époque, reconnait qu'elle « devait infailliblement se reproduire dans la suite »; seulement, dit-il, « au moment où elle se pose elle est déjà résolue ». C'est sa conclusion définitive, à la suite de la série de raisonnements que nous venons de résumer.

Peut-être cette argumentation paraîtrait-elle sujette à la critique; assurément, elle est nouvelle; mais notre but, en ce moment, n'est pas de discuter la légitimité de la présence des Italiens à Massaouah. Telle n'a même jusqu'ici jamais été notre intention. Nous nous sommes appliqués, dès le début de l'occupation, non seulement à ne créer aux Italiens aucune difficulté, mais à leur faciliter la tâche qu'ils avaient entreprise. Nous avons sincèrement souhaité leur succès. Donc, si des réserves pouvaient être faites aujourd'hui, ce serait seulement par la Puissance souveraine, et les notes italiennes assurent, ce que nous ignorions absolument, qu'après avoir protesté au début, la Porte a acquiescé aux faits accomplis. Quant à nous, notre thèse porte exclusivement sur l'existence des capitulations, et, comme conséquence, sur l'illégalité de certaines taxes contre lesquelles le Gouvernement hellénique a protesté, et des actes qui ont suivi. Protecteurs des Grecs à Massaouah, nous avons dû prendre leurs intérêts en main, à la demande même du cabinet d'Athènes. Il a, lui aussi, invoqué les capitulations; et nous sommes obligés de contester formellement l'affirmation qu'il ait jamais admis« le bien fondé en droit de la mesure prise à l'égard de ses nationaux >>.

Nous espérions que le cabinet de Rome accepterait sans difficulté la discussion que nous lui offrions amicalement ; nous espérions, étant donné nos dispositions, qu'il serait facile de nous entendre, et que, de cet échange de vues, la situation des Italiens à Massaouah sortirait consacrée, du moins en ce qui nous concerne, avec toutes les conséquences, avantageuses pour eux, qui devaient en résulter. Telle était notre attitude; voici celles des autorités et du Gouvernement italien et par quels actes le cabinet de Rome a cherché, avant toute notification aux Puissances, à nous dépouiller, de sa seule autorité, des droits dont nous avions joui avant et depuis sa prise de possession.

Pendant que l'on nous disait à Rome que la question de droit était à l'étude, les faits suivants se sont accomplis à Massaouah:

Amendes imposées aux protégés de la France qui avaient refusé de payer les taxes;

Menace d'expulser les récalcitrants; saisies pratiquées sur leurs marchan

dises; fermeture de leurs magasins; incarcération de quelques-uns d'entre eux, qui ont été postérieurement remis en liberté ;

Vente des marchandises saisies; les autorités locales avaient même indiqué d'abord, pour date de ces ventes, le 14 juillet, jour de notre fête nationale;

Refus de continuer à reconnaître notre agent à Massaouah et prétention de lui imposer l'exequatur du Gouvernement italien;

Suppression des correspondances télégraphiques avec cet agent, dont la juridiction s'étend bien au delà du territoire occupé par les Italiens, ce qui nous interdit toute communication avec lui.

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En même temps, et quoique le Gouvernement italien ait toujours jusqu'ici réservé l'examen de nos prétentions résultant d'anciens traités et de nos droits territoriaux sur certains points de cette région, - la baie d'Adulis, Zoulla, Dissé le drapeau italien a été arboré sur ces divers territoires, de sorte que, cette fois encore, à supposer que la question vint à se poser, elle serait déjà résolue.

Si l'on compare cette conduite du Gouvernement italien et celle du Gouvernement de la République, qui, nous le répétons, n'a cessé d'une manière discrète, mais efficace, de favoriser l'action italienne à Massaouah; si l'on rapproche les voies de fait des autorités italiennes de la modération et de la patience des négociateurs français, on ne saurait s'étonner assez des récriminations des notes du 25 juillet contre nous, et l'on doit reconnaître que nous avons le droit de relever des procédés aussi peu conformes aux convenances diplomatiques.

Nous ne savons ce que l'Europe pensera des théories de droit et des procédés de fait du Gouvernement italien; cependant nous ne regrettons pas que cette situation lui ait été soumise. Si la conduite que le Gouvernement italien a suivie dans cette affaire devait aboutir à la suppression pure et simple des capitulations et de nos droits antérieurs à Massaouah, il ne nous resterait qu'à prendre acte de cette procédure nouvelle et du principe désormais établi que les capitulations disparaissaient de plein droit, sans négociation et sans accord avec les pays où s'établit une administration européenne. Nous en avons averti le cabinet de Rome, en nous réservant d'en tirer telles conséquences que nous dictera notre intérêt dans les territoires où nous sommes établis en vertu de titres réguliers.

Je vous autorise à donner au Ministre des Affaires étrangères lecture de cette dépêche, et, s'il le désire, à lui en laisser copie.

R. GOBLET.

Lettre adressée le 14 août 1888 par S. E. Saïd-Pacha, Ministre des Affaires étrangères, à S. E. l'Ambassadeur de Turquie à Paris, relativement aux affaires de Massaouah (Archives diplomat., année 1889).

Le 14 août 1888.

Monsieur l'Ambassadeur, L'ambassade royale d'Italie vient de nous annoncer que son Gouvernement a pris possession de Massaouah; que le Gouvernement impérial ottoman lui-même, après avoir formulé des réserves, aurait reconnu les faits accomplis, comme le prouverait l'article 10 du projet de la convention de Suez,

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