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dans leur esprit par la violence. (Pourrait-on y entrer autrement? C'est ainsi que, parmi les novateurs eux-mêmes il en est qui nuisent à la cause destinée à vaincre, parce que de l'art levant ils ne s'assimilent que les formules, Or, la formule n'appartient généralement qu'à celui qui l'a créée. L'exception n'existe guère, c'est à peine si elle se manifeste par quelques similitudes, quelques communions absolues aussi rares dans la nature que les naissances jumelles. Pour ne parler que de la poésie dite décadente, il est curieux de voir le nombre de sots, vernissés de litté rature, qui massacrent des harmonies nouvellement nées et les dénaturent en pensant les propager. Pourquoi faut-il que ces reflets empêchent le spectateur désintéressé d'aller à la source même de clarté?

Et maintenant ceux de mes lecteurs qui liront et ne comprendront pas ne doivent pas se rebuter. Il y a l'algèbre de la littérature, comme il y a l'algèbre des mathématiqnes, et pour y voir clair il faut préalablement étudier, sinon ce serait une science grossière celle qui s'ouvrirait au premier venu et n'exigerait aucun effort intellectuel.

Si j'avais à faire l'éducation d'un prince ou d'un futur homme d'État, je lui apprendrais tout d'abord la poésie, et le reste des connaissances viendrait après, plus facilement assimilable. J'aurais ainsi ouvert une imagination aux arcanes les plus obscures où tout

sentiment, tout art, tout calcul, toute force résident en germe. Car qu'est-ce que cette science du verbe et de l'harmonie poussée à fond, sinon la science initiale? Qu'est-ce que la langue, l'expression, l'image, sinon l'aveu humain, naturel, des misères et des élévations de notre âme, de nos peines et de nos désirs?

La langue est une des seules choses qui distinguent l'homme de l'animal, et l'on doit tenter de s'en distinguer à la perfection; surtout de l'animal abondant et mauvais à face humaine.

CHARLES BAUDELAIRE

I

Dans les Œuvres posthumes de Charles Baudelaire, recueillies par M. Eugène Crépet qui les a rassemblées et qui les a longuement et indiscrètement commentées, le poète mystérieux des Fleurs du mal nous est révélé dans son intimité; ses petits papiers secrets, ses notes, sa correspondance, sont livrés au public qui peut-être les lira sans y apporter la délicatesse qu'il faudrait.

Le commentateur s'est candidement figuré que la publication de ces papiers ne pouvait nuire à la réputation de l'écrivain; effectivement ses ennemis ont dû déclarer qu'à le voir ainsi pauvre et souffrant, la sympathie s'était éveillée en eux. Mais cette sympathie eût révolté Baudelaire, elle eût blessé sa fierté il n'en avait cure et c'est pourquoi, dans tout son œuvre, dans tout ce qu'il a livré volontairement

:

au public, il n'a pas proféré une plainte et n'est pas descendu jusqu'à initier le monde à ses peines matėrielles.

Comme il le confesse, il aimait « la joïe aristocratique de déplaire ». Il ne mendiait pas la compassion, et c'est avec bonheur qu'il termine une lettre à Sainte-Beuve en lui rappelant cette phrase amère de Shelley « Je sais que je suis de ceux que les hommes n'aiment pas, mais je suis de ceux dont ils se souviennent! „

Ce dédain, joint à ses audaces et aux douloureux blasphèmes qui sont sortis des lèvres de celui qui fut à de courts moments un pieux impie, devaient le faire bannir de tous les mondes, sauf du monde des artistes. Il ne me paraît pas établi pourtant que les catholiques aient répudié Baudelaire en tant que catholiques. Une réprobation générale a frappé ses écrits, réprobation dont le caractère est plus bourgeois que religieux. Sur ce terrain des fils de Voltaire se sont rencontrés avec des adeptes du Christ qui, lui, eût accueilli cet enfant de race comme il a accueilli Marie-Magdeleine (1).

Il n'est rien de pire, disait un grand évêque, que les vertueux imbéciles. Ceux-là ont condamné Bau

(1) Dans un des numéros de la Revue des Deux-Mondes, M. Ferdinand Brunetière a, en effet, consacré, à propos de l'ouvrage de M. Eugène Crépet, des pages peu laudatives à la mémoire de Baudelaire. M. Jules Lemaire a agi de même dans

delaire sans rémission, violemment, implacablement, à jamais. Il n'a pas écrit « pour les femmes, pour ses filles ou pour ses sœurs », il a écrit pour sa conscience, pour les inquiets, les souffrants, les malades d'idéal et pour dire toute l'horreur du mal, mal qu'il a vécu, qu'il a expérimenté mais avec des récurrences souveraines vers le bien. Elles sont de lui, ces pensées :

- Connais donc les jouissances d'une vie âpre, et prie, prie sans cesse. La prière est un réservoir de force.

Peuples civilisés, qui parlez toujours sottement de sauvages et de barbares, bientôt, comme dit d'Aurévilly, vous ne vaudrez même plus assez pour être idolâtres.

Il n'existe que trois êtres respectables : le prêtre, le guerrier, le poète.

Celui qui s'attache au plaisir, c'est-à-dire au présent, me fait l'effet d'un homme roulant sur une pente, et qui, voulant se raccrocher aux arbustes, les arracherait et les emporterait dans sa chute. Avant tout, être un grand homme et un saint pour soi-même.

son feuilleton des Débats. Par contre, lors de la mort du poète, M. Asselineau mentionne dans une de ses lettres que Veuillot fut un des seuls qui lui consacrèrent des lignes respectueuses. On y sent, dit M. Charles Asselineau, à travers les réserves du catholique militant, un attendrissement réel et une sincère amitié.

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