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gieuse, on y trouve encore une étude historique, une étude des mœurs et de la société. Ce magistral et impartial tableau a conquis à M. Taine tous les lettrés. Il était là dans son domaine d'artiste, d'artiste pur, entier, absolu, pénétrant et lucide et il s'y est montré souverain parce qu'il n'avait à traiter que des œuvres.

Malheureusement, l'histoire de la politique l'a rendu chagrin, inquiet, nerveux et sombre. Ici il n'y a plus d'œuvres, j'entends des œuvres écrites, formulées, artistiques. Il n'y a plus que des hommes, des faits et des actes. M. Taine étant misanthrope n'a pas flatté les hommes dont il a tracé le portrait, et sa misanthropie, jointe à son dédain de l'action, l'a poussé à ne recueillir que les faits et les actes mauvais comme pour se justifier à lui-même son humeur chagrine.

Plus d'expansion généreuse, une poussée au noir flagrante, persistante, qui ne convainc pas. Autant les détails sont heureux, d'une vérité évidente, mis en scène par un historien dont l'outil littéraire est si ferme qu'il burinerait le bronze, autant l'ensemble est exagéré, excessif et faible. Le pamphlet s'est substitué à l'analyse désintéressée. De synthèse point; de critique sympathique pas davantage. L'homme est partout une méchante bête, mauvaise et impuissante; sans excuse, sans contraste, sans un de ces mobiles nobles que Balzac et Tolstoï savent décou

vrir, même dans l'âme d'un scélérat. Cette longue énumération de faits ravalants a l'air d'un réquisitoire passionné de ministère public. La preuve est toujours accablante, accusatrice, il l'a choisi, l'accumule, sans fournir la preuve contraire. Dès lors la preuve, le fait cité n'a pas de valeur. Ce n'est plus de l'histoire c'est du pamphlet.

Remarquez que l'érudition si large, si pénétrante dans l'Histoire de la littérature anglaise est devenue étroite et mince dans les Origines de la France contemporaine. Il possède certes mieux les éléments de son sujet qu'il ne l'a pénétré et n'étaient la magie du style, la vigueur des portraits, l'entraînante et puissante beauté de certains morceaux, on pourrait croire que l'œuvre est manquée car elle n'atteint pas à la calme supériorité scientifique. Aussi ses injustices trop roides provoquent-elles un malaise dans l'esprit du lecteur qui, pas plus que M. Taine, n'aime ni la Révolution, ni Bonaparte.

Autrefois on s'attachait à représenter la vie comme un beau fleuve dont les eaux coulaient pures, brillantes et assez limpides pour refléter les mirages du ciel. Il y avait de la vase, mais on faisait en sorte qu'elle demeurât invisible, au fond. Ce tranquille spectacle finissait certes par être monotone. Aujourd'hui on est tombé dans l'excès contraire, on a remué la vase, les eaux coulent bourbeuses et ne reflètent plus rien.

M. Taine a versé dans cet excès. N'ayant pas la bonté intelligente, ni de charité humaine, c'est son droit de pessimiste de mettre les bas-fonds à la surface. Mais on peut lui reprocher de nous offrir ce tableau noir comme une représentation vraie et complète du monde. A cette prétention près; il demeure un maître, car d'une certaine manière, malgré la raison, la logique et la justice, il est une façon d'être supérieur, d'affirmer ses défauts, ses sentiments, son caractère, sa personnalité dans ses actes, ses goûts et ses jugements qui seule importe. C'est ce que l'on pourrait dire aussi de Bonaparte. Et tout le reste est servitude.

LES JUIFS

I

La race vaillante des polémistes s'éteint peu à peu. Personne n'a remplacé Louis Veuillot; une littérature qui s'efface, prudente et tempérée, a succédé à une littérature ardente et d'imagination chaude. En France, on citerait à peine deux ou trois bretteurs de plume comme MM. Barbey d'Aurevilly, Octave Mirbeau et Emile Zola; les deux premiers sont des aristocrates et des catholiques, le troisième est un démocrate. Entre ces deux extrêmes, la classe intermédiaire semble résignée à tout accepter de ce qui se passe autour d'elle. Si elle s'en occupe, c'est avec une sorte d'indifférence mélangée de crainte. Elle constate, elle juge même, mais elle ne combat guère, et ne s'oppose pas.

Cette condescendance à laquelle nous devons tant

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