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LA DÉIFICATION DE M. RENAN

(PAMPHLET)

I

M. Renan est enfin parvenu à se faufiler dans la gloire! Il y a dix ans, quelques dilettantes seulement appréciaient ses livres. La lecture en était exquise; les idées molles, émoussées; les phrases polies, chatoyantes; l'universalité de sa pensée ouvrait des horizons roses aux intelligences fines. Jamais, dans aucune littérature, on n'avait vu un écrivain si souple, si tolérant, plus compréhensif, d'un éclectisme à la fois aussi large et aussi délicat. Les partis le déchirèrent bien un peu, mais il se targua de n'avoir, en somme, contre lui que des haines de sectaires. Depuis, sa renommée n'a fait que grandir. Parmi les esprits affinés, d'excellents critiques ont célébré ses louanges, et, à propos de ses derniers drames, il n'est pas, en France, de feuille à un sou, qui n'ait discuté longuement ce qu'on appelle sa philosophie.

Mais cet encens n'est pas nécessaire à l'androïde de la morale. Depuis longtemps, comme une jolie femme, il s'est mis en frais de coquetteries envers les autres, et, plus encore, envers lui-même. A force de se mirer, il a appris à faire des poses, et connaissant les poses, il est devenu acteur. Un public est venu tout aussitôt, qui l'a trouvé très fort et qui l'a applaudi. Ah! tout le monde s'y est laissé prendre. Il avait dans la voix des séductions nouvelles, si caressantes qu'à les écouter on se pâmait d'aise. Son visage souriait si onctueusement, ses mains blanches étaient si pleines de pardons, ses yeux si tendres d'indulgence, qu'on trouvait unanimement qu'il jouait les christ mieux que le Christ.

Et, en effet, M. Renan se présente à nous comme le Messie des temps démocratiques. S'il ne l'a pas dit, il l'a laissé penser et il l'insinue jusque dans ses points d'exclamations. Un sculpteur qui voudrait faire sa statue ne pourrait mieux le représenter qu'avec les emblêmes de la Justice, les yeux bandés, avec la balance, mais sans le glaive.

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Au fond, il n'a eu qu'un désir, qu'une ambition, qu'un mobile plaire. Il ne s'est pas imposé par la puissance d'une volonté supérieure, mais par d'adroites caresses données à tout venant. Il a ronronné dans tous les coins et lissé sa robe à toutes les jupes. Il s'est trouvé beau, et l'on n'y a pas contredit, car il est beau réellement d'une beauté parti

culière, fine, fade, maquillée généreusement. Ses mains, longtemps exercées, ont acquis une dextérité merveilleuse dans le maniement de toutes choses, et cet athénien de Paris a puisé avec des adresses de grec dans tous les coffrets allemands. Il en a tiré de lourdes pierreries, d'une richesse royale, qu'il a taillées délicatement, qu'il a allégées, et dont il a éteint, jusqu'à la douceur, les troublants reflets. Son rôle a été ainsi de tout effacer. C'est un réflecteur qui vacille, ou un transparent au travers duquel les choses apparaissent dans un jour d'une pâleur charmante.

Le petit séminariste, naguère si discret, si recueilli dans sa cellule de Saint-Sulpice, a perdu la tête le jour où il s'est échappé dans la vie. Hermaphrodite d'esprit, il lui manquait un levier pour vaincre, et en quittant l'existence religieuse il ne s'est pas circoncis. Sa douceur, sa réserve primitive lui valurent des sympathies, et, par réaction contre l'austérité théologique, il inclina vers les doctrines libérales.

M. Renan avait vécu dans un monde trop désintéressé pour accepter ces doctrines à la façon des médiocres. Il les épura, ne repoussant aucune des grandes forces qui trouvaient leur impulsion dans une tradition séculaire. Il voulut donner à ce libéralisme le glorieux apparât des anciens régimes si absurdes et si injustes en apparence et dont les résultats étaient néanmoins si merveilleux, si rehaussants

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pour l'amour-propre humain. La base, mais la base. seule, lui semblait injurieuse pour la raison, contradictoire avec le bon sens, et il se mit à la saper sans se dire que ces préjugés », ouvrant la porte toute large à l'héroïsme, étaient d'incomparables stimulants pour la valeur individuelle. Et puis ces préjugés » auxquels il donne le baiser de Judas sont, au demeurant, la formule naïve d'une poussée instinctive et naturelle, très supérieure à la raison boiteuse des philosophes modernes. Ils ne s'harmonisent guère avec la logique de notre entendement, mais, comme l'a dit Tourgueneff: « La nature ne se plie pas à notre logique humaine, elle a la sienne que nous ne comprenons pas, que nous ne reconnaissons pas, jusqu'à ce que nous en soyons écrasés comme par une roue ».

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La vérité, c'est que M.Renan voulait innover pour la gloire d'innover. Son cas est un peu celui de Luther. Il s'est dévêtu de sa robe de néophyte par vanitė. D'ailleurs, il n'a jamais été qu'un mauvais séminariste, tout à la fois parce qu'il était trop intelligent et pas assez. Il n'avait, à défaut de la foi, pas la suprême intelligence, ne s'arrêtant pas à la misère des surfaces, faite de dédain, de désenchantement, de mépris indulgent qui sait et qui se tait. Il a trop bavardé pour tout le monde et pas suffisamment pour ses pairs qui s'entendent à mi-voix, à mystère.

Frotté d'idéal pendant sa jeunesse, sa curiosité a été

portée vers les choses religieuses. Son esprit foncièrement latin, qu'il manifeste par une langue limpide, chaude, lumineuse comme un ciel du Midi, n'était pas fait pour comprendre jusque dans son âme une religion avant tout germanique. Logiquement, il devait déterminer, dans son Histoire des origines du christianisme, l'esprit de la foi chrétienne comme étant oriental et sémitique. Mais que reste-t-il de cette plastique? Les Barbares, en créant le gothique, c'est-à-dire l'expression extérieure la plus accentuée du principe chrétien, ont-ils copié cet art sur les inspirations latines?

Plus tard, il l'a reconnu à demi, mais il ne l'a jamais profondément pu comprendre.

Comme philosophe, M. Renan a construit ingénieusement, mais sans génie, d'innombrables hypothèses. Ses probabilités sont incalculables. Elles ont abouti à la théorie de la supériorité de quelques savants, taillés à son image, déifiés par eux-mêmes et tenant entre leurs mains, par des procédés scientifiques, les destinées du monde. Dieu, César et le peuple, ces trois autorités naturelles s'adjoignant le pédant. La société transformée en un vaste séminaire laïque dont M. Renan serait le recteur !

Fourrier rêvait pour son phalanstère le libre essor des passions bonnes et mauvaises, pour cette haute raison philosophique que les bonnes sont dépendantes des mauvaises. M. Renan rêve, lui, une sorte

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