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est si profonde que la plupart de ceux qui y sont demeurés fidèles n'osent l'embrasser tout entière et choisissent un coin à part pour l'étudier. Mais ceux-ci sont presque des élites. La majorité n'a pas d'heure à leur donner. Elle a son journal qui l'informe comme il peut, incomplètement toujours, de travers le plus souvent. Elle est à la merci du premier journaliste venu, surmené ou ignorant, qui doit lui transmettre des idées que lui-même n'a pas eu le temps d'approfondir. Et cependant elle fait des lois, elle gouverne, elle nomme les personnages enseignants qu'elle choisit à sa portée, elle impose son goût.

Ce qui en résulte c'est d'abord l'anarchie. Un déchirement se fait entre les élites et les masses. Les premières méprisent les secondes qui les ignorent. Il reste encore bien des éclosions splendides, mais tout ce qui est public devient extraordinairement vulgaire. La physionomie extérieure de la société a perdu de son caractère; s'il reste des valeurs, et il en reste en quantité suffisante, elles sont mises au deuxième rang. Ce sont les éléments les moins doués qui apparaissent au premier. En politique, en art, en science ce fait se présente invariablement. Il y a des politiciens en France dont l'autorité n'a pu s'affirmer malgré les droits qu'ils y avaient et qui ont préféré se taire plutôt que de descendre jusqu'aux compréhensions insuffisantes. Il y a des savants qui ne voudraient pas professer un cours parce qu'ils redoutent

le nombre des incapacités. Et des artistes de génie écrivent des œuvres qui ont une édition unique, tandis que des faiseurs répandent leurs ouvrages par centaines de mille.

Cependant ce public affairé conserve quelques besoins intellectuels, mais il les mesure à son aune. Comme il est roi, il choisit ses hommes politiques, ses savants et ses artistes, tous nivelés, tempérés et moyens. Prise globalement, la bourgeoise a des préférences qui la jugent et des amours qui la discréditent. Elle se divertit à la lecture d'œuvres d'écrivains dont M. Georges Ohnet est le plus célèbre représentant et qu'elle estime comme des romanciers de race, ne sachant pas que ces écrivains ne vivent que d'emprunts faits et de réductions. Les personnages qu'ils présentent sont élémentaires, ou ont été créés ailleurs par d'autres cerveaux, mais la création primitive est trop forte, il faut la réduire, la diminuer, la simplifier pour qu'elle accapare la vogue. Il en est de même des travaux scientifiques. Ce sont les moins méritants qui sont les mieux accueillis.

Faut-il récriminer? Au fond, n'est-ce pas, le monde a toujours marché comme il marche. Il y a eu en tout temps beaucoup d'appelés et peu d'élus. Si nous avons perdu quelques biens que possédaient les sociétés précédentes, nous jouissons en revanche d'une foule d'avantages qu'elles ne possédaient pas.

Nous avons moins de caractère et de vertus naturelles, mais nous sommes plus fins, plus cultivés. Il n'y a qu'une différence, sensible celle-là, à mettre à notre passif. C'est d'avoir permis à la médiocrité de prendre les devants et d'étaler sa suffisance. En tant que classe il n'y a donc pas d'apologie à adresser à la bourgeoisie libérale, industrieuse, active, chercheuse, mais assez dure, sèche d'esprit, sèche de cœur, qui raisonne même sa bienfaisance et qui réprimé dans son positivisme sceptique tous les élans généreux.

Du reste, elle indique un état transitionnel. Dans les sociétés humaines la domination a toujours appartenu aux partis extrêmes. Quand le barbare cesse d'être le maître, c'est l'aristocrate qui le devient. Le premier indique un commencement, le second un apogée. Entre eux il y a place pour une caste qui sert de joint, mais qui, par son esprit, son idéal, sa tranquillité un peu basse ne donnera jamais au monde les suprêmes griseries et le coup d'aile qui sont un des besoins qu'elle n'a pas encore démenti.

LA FIN DE LA VOLONTÉ

Il paraît que le jour où les électeurs communaux poussèrent M. Victor Arnould, ancien député de Bruxelles, hors de ses derniers retranchements politiques, il paraît que ce jour-là M. Arnould rentra chez lui avec un air de visible satisfaction et fut de suite consolé de son échec en pensant que les vacances qui allaient lui être faites le rendraient à ses études.

Cette résignation philosophique était d'autant plus sage et plus pratique que toutes les désespérances étaient vaines, les destinées accomplies, l'événement irrémédiable et que le meilleur parti à prendre c'était de demander à d'autres ressorts, à défaut des ressorts politiques, rendus inutiles, les principes de vitalité nécessaires à une organisation du genre de celle dont la nature a doté M. Arnould.

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