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grâce, mil quatre cent vingt-neuf, auquel temps, après que lesdits Anglois eussent obtenu plusieurs victoires, perdu et mis en leur obéissance et subjection, toutes les villes de Normandie, de Picardie, de Champagne, du Mans, d'Anjou, de Touraine, de Beaulce, et généralement tout le pays jusques à la rivière de Loire, les comtes de Salbry, et de Suffort, les sires de Talbot, de la Poulle, et autres seigneurs et capitaines Anglois, accompagnés de grand nombre de gens d'armes, allèrent mettre le siége devant la ville d'Orléans, tendant à fin de la prendre pour avoir passage sur ladite rivière pour marcher au pays de Berry, d'Auvergne, et autres pays voisins, pour aller jusques à Lion. Et pour plus seurement tenir ledit siége, y édifièrent quatre grosses bastilles, deux du côté de la Beauce, et deux du côté de la Solongne, lesquelles ils fortifièrent de fossez, d'artillerie, et autres choses nécessaires. Au moyen desquelles ils tenoient ladite ville en si grande subjection, et grevoient si merveilleusement ceux de dedans, qu'ils ne pouvoient avoir vivres ne secours, qu'à bien grant peine et danger. Auquel siége ils demeurèrent si longuement, que quelques diligences que le roy sceust faire pour les sécourir et de gens et de vivres, si furent-ils en si merveilleuse nécessité, que ils n'avoient très peu d'espérance de pouvoir résister aux ennemis.

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Les cappitaines et gens d'armes qui estoient dedans, voyants qu'ils ne pouvoient avoir des vivres

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qu'à bien grand peine et danger, et qu'ils avoient peu d'espérance que le roy les peust secourir, congnoissants que ceux de la ville ne vouloient aucunement cheoir en l'obéissance ne subjection des Anglois, appellerent les principaux bourgeois et marchands de ladicte ville auxquels ils remontrèrent comment ils ne pooient avoir vivres que à bien grande difficulté, et qu'ils ne voyoient point le moyen comment ils pourroient longuement tenir ladite ville contre lesdits ennemis; attendu qu'ils n'avoient que très petite ou point d'espérance que le roy leur peust donner secours; i leur prièrent qu'ils leur déclarassent ce qu'ils vouloient faire. A quoi tous ensemble respondirent que, pour mourir, ils ne se rendroient à la subjection des Anglois. Et quelques remontrances que lesdits cappitaines sceussent faire du danger ouquel ils estoient, ils demeurèrent en leur opinion de ne rendre point laditte ville. Après laquelle déclaration furent faites plusieurs ouvertures sur ce qui estoit à faire pour trouver quelque expédient pour le bien d'icelle ville; et finablement fust advisé et conclud entre eux de envoyer devers le duc de Bourgongne, qui alors tenoit le parti des Anglois, tendant à fin qu'il voulsist prendre ladite ville, et qu'ils seroient contents de eux rendre à lui; et estoient meus à ce faire pour ce que le duc estoit à la maison de France; et pensoient bien que l'alliance de lui et des Anglois ne dureroit pas toujours. Et pour cefaire envoyèrent un cappitaine,

nommé Poton de Saintraille, devers ledit duc, pour lui faire ledit offre; lequel il accepta volontiers, pourveu que le duc de Bethfort, qui estoit pour lors chef des Anglois audit siége, le voulsist consentir. Lequel duc de Bethfort y estoit venu après la mort du comte de Salbery, qui avoit esté tué d'une pièce d'artillerie, ne tenant le siége du costé de la Sologne, par ung cas fortuit, ainsi qu'on dict, car on n'a point sceu qui mette le feu en la dicte pièce d'artillerie, ainsi qu'il est escript bien au long ès chroniques.

Ledit Pothon, venu devers le duc de Bethfort, après qu'il eust ouï l'offre faicte audit duc de Bourgogne, respondit qu'il n'entendoit point avoir battu les buissons, et un autre en eust les oiseaux; et lui dit absolument qu'il n'en feroit rien : mais si ceux de la ville se vouloient rendre à lui et le rembourser de tous ses frais qui avoient esté faicts en l'armée dudit siége, il les prendroit à merci et non autrement. De laquelle response ceux de la ville furent fort esbahis, et mesme le roi, et ceux de son conseil, qui ne voyoient point d'expédient à sauver ladite ville.

Or en ce temps avoit une jeune fille au pays de Lorraine, aagée de dix-huict ans ou environ, nommée Jeanne, natifve d'une paroisse nommée Dompremy, fille d'un laboureur nommé Jacques d'Arc, qui jamais n'avoit fait autre chose que garder les bestes aux champs; à laquelle, ainsi qu'elle disoit, avoit esté révélé que Dieu vouloit qu'elle allast devers le roy Charles septiesme, pour

lui aider et le conseiller à recouvrer son royaume, et les villes et places que les Anglois avoient conquises en ses pays. Laquelle révélation elle n'osa dire à ses père et mère, pour ce qu'elle savoit bien que jamais n'eussent consenti qu'elle y fust allée; el pour ce s'alla adresser à un sien oncle, auquel elle desclara sesdites révélations, et le persuada tant, qu'il la mena devers un gentilhomme nommé Robert de Baudricourt, qui pour lors estoit cappitaine de la ville ou chasteau de Vaucouleur, qui est assez prochain de là: auquel elle pria très instamment qu'il la fist mener devers le roy de France, en leur disant qu'il estoit très nécessaire qu'elle parlast à lui pour le bien de son royaume, et que elle lui feroit grand secours et aide à recouvrer sondit royaume; et que Dieu le vouloit ainsi, et que il lui avoit esté révélé par plusieurs fois. Desquelles parolles il ne faisoit que rire et se moquer, et la réputoit insensée. Toutesfois, elle persévéra tant et si longuement, qu'il lui bailla un gentilhomme nommé Ville-Robert, et quelque nombre de gens, lesquels la menèrent devers le roy, qui pour lors estoit à Chinon; auquel lieu elle fut présentée audit seigneur; et sitost qu'elle fut entrée en la chambre où il estoit, elle fit les inclinations et révérences accoustumées à faire aux roys, comme si toute sa vie eust esté nourrie en cour. Après lesquelles inclinations et révérences, elle adressa sa parole au roy, lequel elle n'avoit jamais veu, et lui dist: «Dieu vous donne bonne vie, très noble roy!» Et pour

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ce que en la compaignie y avoit plusieurs seigneurs vestus aussi richement ou plus que lui, dist: « Se ne sais-je pas que suis roy, Jeanne. » Et en lui montrant quelqu'un des seigneurs qui estoient là présents, lui dist: << Voilà qui est roy » ; elle respondit : «C'est vous qui estes roy, et non autre, je vous cong>>nois bien.»>Après lesquelles paroles le roy lui fit demander qui la mouvoit de venir devers lui; à quoi elle respondit qu'elle venoit pour lever le siége d'Orléans, et pour lui aider à recouvrer son royaume, et que Dieu le vouloit ainsi; et si lui dist que après qu'elle auroit levé ledit siége, qu'elle le mèneroit oindre et sacrer à Reims, et qu'il ne se souciast des Anglois; et qu'elle les combattroit en quelque lieu qu'elle les trouveroit ; et qu'il lui baillast telle puissance de gens d'armes qu'il pourroit finer, et qu'elle ne faisoit doubte de faire toutes les choses dessusdictes, ne mesme de chasser lesdits Anglois hors du pays du roy. Après lesquelles paroles, le roy la fit interroger de la foi, et lui fit demander plusieurs questions tant de choses divines, de la guerre, que autres questions curieuses; de toutes lesquelles elle respondit si sagement, que le roy, les prélats et autres gens clercs qui estoient présents, en furent si esmerveillés, et non sans cause, attendu la simplicité et la qualité de la personne, qui n'avoit jamais fait autre chose que garder les bestes aux champs.

Après lesquelles interrogations et responces dessusdites, le roy assembla son conseil, auquel fut advisé que on lui demanderoit qu'elle vouloit

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