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quatrièmement, que le duc d'Orléans reviendrait d'Angleterre. Or moi qui parle j'ai vu ces quatre choses s'accomplir.

Nous rapportâmes tout cela au conseil du roi et nous fûmes d'avis que, vu l'extrême nécessité et le péril où était Orléans, le roi pouvait s'aider d'elle et l'envoyer en cette ville.

Au surplus, les autres commissaires et moi nous nous étions enquis de la vie et des mœurs de Jeanne. Nous trouvâmes qu'elle était une bonne chrétienne, vivant catholiquement et jamais oisive. Pour savoir plus au juste quelle était sa vie intime on avait mis près d'elle des femmes qui rapportaient au conseil tous ses faits et gestes.

Pour moi, je crois que Jeanne a été envoyée par Dieu; car, quand elle parut, le roi et ses sujets n'avaient plus d'espérance. Tous croyaient qu'il n'y avait qu'à se

sauver.

Je me rappelle très bien qu'on demanda à Jeanne pourquoi elle portait une bannière. Elle répondit : « Je ne veux pas me servir de mon épée; je ne veux tuer personne 1. »

Quand elle entendait jurer en vain le nom de Dieu, Jeanne était fort irritée. Ceux qui juraient ainsi lui faisaient horreur. Elle disait à La Hire, qui était coutumier de tels jurements et reniait souvent le nom de

1. « Quæ respondit quod nolebat uti ense suo; nec volebat quemquam interficere. »

Dieu : « Ne jurez plus; et quand vous voudrez renier Dieu, reniez votre bâton . » Depuis, en effet, quand il se trouvait en présence de Jeanne, La Hire ne jurait plus que par son bâton.

Je ne sais rien autre.

1. « Dicebat quod amplius non juraret, sed dum vellet negare Deum, negaret suum baculum, » Elle-même Jeanne jurait quelquefois par son bâton: « Par mon martin, ce estoit son serment », dit le chroniqueur Perceval de Cagny.

IV. - DÉPOSITION DE L'AVOCAT BARBIN

Vénérable et savant homme maître JEAN BARBIN, docteur ès lois, avocat du roi à la cour du Parlement, avait vu à Poitiers Jeanne et les docteurs qui l'interrogeaient. Il était âgé de cinquante ans en 1456. Voici son intéressante déposition:

Au temps où Jeanne vint trouver le roi à Chinon j'étais à Poitiers. J'ai entendu dire que le roi, à première vue, ne voulut pas ajouter foi à Jeanne, mais voulut qu'elle fût préalablement examinée par des clercs et envoya au lieu de sa naissance pour s'informer de ses origines1.

Jeanne fut envoyée à Poitiers pour être examinée. J'étais alors en cette ville, et c'est là que j'ai connu Jeanne pour la première fois. A son arrivée, Jeanne fut logée dans la maison de Jean Rabateau. Pendant qu'elle y demeurait, la femme dudit Rabateau me conta que, chaque jour, après le dîner, elle se tenait à genoux un long espace de temps, qu'elle faisait de

1. « Ad sciendum unde erat. >>

même la nuit, et que souvent elle entrait dans un petit oratoire de la maison pour y prier longuement.

Maints clercs vinrent visiter Jeanne. Je citerai maître Pierre de Versailles, professeur de théologie, mort évêque de Meaux, et maître Guillaume Aimery, aussi professeur de théologie. Il y avait d'autres gradués en théologie dont je ne me rappelle pas les noms. Tous ces théologiens interrogèrent Jeanne autant qu'ils voulurent.

En ce temps-là, j'appris de la bouche de ces docteurs le résultat de leur examen. Ils avaient fait à Jeanne plusieurs questions. Elle répondait à toutes avec grande sagesse, comme eût fait un bon clerc. Aussi étaient-ils émerveillés de ses propos et croyaient-ils qu'il y avait là quelque chose de divin, étant donnés sa vie et ses comportements.

Finalement il fut conclu, après force examens et questions, qu'il n'y avait en elle aucun mal ni rien de contraire à la foi catholique, et que, vu la nécessité où étaient alors le roi et le royaume, prince et sujets étant en désespoir et sans aide sur qui compter hors de la part de Dieu, le roi pouvait s'aider de Jeanne.

Dans le cours des délibérations, maître Jean Erault, professeur de théologie, raconta avoir ouï dire par une certaine Marie d'Avignon, jadis venue auprès du roi, qu'elle avait annoncé à celui-ci que le royaume

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1. Ou de grands clercs. Le manuscrit du fonds Notre-Dame porte magni, au lieu de multi.

de France était appelé à beaucoup souffrir et supporterait force calamités; qu'elle avait eu beaucoup de visions touchant le royaume de France et entre autres choses voyait beaucoup d'armures qui lui étaient présentées à elle Marie, et qu'elles lui causaient de l'épouvante, dans la crainte où elle était d'être forcée de les prendre; mais qu'il lui avait été dit de ne rien craindre vu que ce n'était pas elle qui aurait à s'armer, mais bien une pucelle, laquelle viendrait après elle, prendrait ces armes et délivrerait le royaume de France de ses ennemis. Et le théologien maître Erault croyait fermement que Jeanne était la pucelle dont Marie d'Avignon avait parlé.

Tous les hommes d'armes considéraient Jeanne comme une sainte. Dans l'armée, elle se comportait si bien selon Dieu, en ses dits et faits, que personne ne pouvait la reprendre.

Voici un fait que je tiens de la bouche de maître Pierre de Versailles. Un jour où il se trouvait à Loches avec Jeanne, certaines gens, se jetant dans les jambes de son cheval, lui baisaient les mains et les pieds. Maître Pierre dit à Jeanne: « Vous faites mal de souffrir telles choses. Cela ne vous est pas dû. Défendez-vous-en ; car vous entraînez les hommes à l'idolâtrie » Jeanne répondit: « En vérité, je ne saurais m'en garder, si Dieu ne m'en gardait1. »

1. « Ipse autem eidem Johannæ dixit quod male faciebat talia pati, quæ non sibi spectabant, dicendo quod caveret a talibus, quia faciebat homines idolatrare. » Ipsa Johanna respondit :

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