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Là ils adressèrent force paroles consolantes1 à cette femme si amèrement émue.

Lecture fut faite à haute voix du rescrit papal; puis, l'archevêque de Reims parla ainsi :

<< Nous avons entendu avec une pieuse compassion les appels touchants qui nous ont été adressés. Nous ne ferons qu'obéir aux volontés du saint Siège, aux enseignements de l'Écriture et aux prescriptions naturelles de la conscience en examinant avec sollicitude et équité les doléances de la veuve. Toutefois, c'est notre devoir d'aviser cette femme que, faute d'avoir l'expérience des procès, elle ne se rend pas compte des difficultés de la matière en litige et des longueurs que comportera la discussion. Qu'elle s'entoure de bons avis et qu'elle prenne garde de ne point obéir à un zèle indiscret. Combien ne serait point aggravée sa douleur si les conclusions du procès, au lieu d'être annulées, étaient corroborées, et si, par suite, au lieu d'une réhabilitation, il y avait une nouvelle condamnation! Isabelle, considérez bien que, s'il est facile d'entrer en procès, en sortir est difficile et périlleux 2. »

Isabelle, et ceux qui l'assistaient répondirent :

« Nous ne voulons rien dire ni faire qui aille au détriment de la foi. Ce que nous réclamons c'est le triomphe de la vérité et de la justice. Confiants dans l'équité de notre cause, nous requérons un

1. « Consolationes nonnullas. »>

2. « Debite provideret quod si facilis judiciorum ingressus, difficilis tamen et periculosus egressus. >>

jugement public et sommes prêts à comparaître. » Les commissaires déclarèrent alors que, comme ils l'avaient dit, ils étaient disposés à accepter la mission qui leur avait été confiée; qu'ils donnaient délai à la mère de Jeanne d'Arc jusqu'au 17 novembre pour réfléchir mûrement; qu'à cette date elle pourrait venir à nouveau présenter aux juges le rescrit papal; et que, si elle persistait dans sa requête, il serait fait comme de droit.

Isabelle accepta le délai et partit satisfaite.

2

VI.

LA SECONDE SÉANCE A NOTRE-DAME
DE PARIS

Le 17 novembre1, la mère de Jeanne se présenta une seconde fois dans l'église Notre-Dame de Paris, accompagnée de ses deux fils, ainsi que de plusieurs notables bourgeois de Paris et de prudes femmes d'Orléans 2.

1. Les manuscrits du procès de réhabilitation, justement critiqués et souvent corrigés par leur éditeur consciencieux et perspicace, Jules Quicherat, fourmillent de contradictions, d'incorrections et d'inexactitudes décelant de la part des greffiers une grande négligence. Ainsi les manuscrits portent, pour la première comparution, la date du 17 novembre, et indiquent l'ajournement comme ayant lieu pour le 7 novembre. Il est rationnel de retourner les dates et de penser que la première comparution eut lieu le 7 novembre, la seconde le 17 novembre, comme le laisse entrevoir le texte des premiers essais de rédaction conservé dans le manuscrit de d'Urfé, texte assignant explicitement à la seconde comparution la date du 17 novembre et indiquant que la première avait eu lieu peu de jours avant : « Sane a paucis citra temporibus. »

2. Il y a lieu de renouveler ici la remarque que j'ai faite antérieurement. Tandis que la rédaction définitive reste dans le vague sur les personnes qui accompagnent Jeanne et ne nomme que son fils Pierre, le texte de la rédaction primitive précise que les deux fils de Jeanne comparurent avec elle et qu'il y avait à ses côtés, avec plusieurs notables bourgeois de Paris, de prudes femmes de la ville d'Orléans. « Comparentes Petrus et Johannes d'Arc, assistentibus sibi pluribus notabilibus burgensibus Parisiensibus probisque mulieribus villæ Aurelianensis, »

Son avocat, Pierre Maugier, renouvela la requête déjà faite et présenta humblement et respectueusement aux commissaires la lettre apostolique du pape Calixte III.

Le rescrit papal fut lu en grande solennité.

Puis, maître Maugier, reprenant la parole, déclara qu'il n'était pas question de mettre en cause les divers personnages qui, par leur avis ou par leur présence, avaient plus ou moins coopéré à la condamnation de Jeanne, vu qu'ils avaient été dupés par des extraits mensongers de ses réponses consignés dans le sommaire en douze articles; mais que les demandeurs attaquaient uniquement les deux juges, Pierre Cauchon et Jean Lemaître, et le promoteur Jean d'Estivet. Il importait, en effet, pour le succès du procès de réhabilitation, de tranquilliser les nombreux docteurs et maîtres, encore vivants, qui, comme assesseurs ou comme consulteurs, avaient été les complices de l'évêque de Beauvais.

Juges, dit Maugier, rappelez-vous cette Suzanne qui fut si injustement accusée et condamnée. Il vous appartient d'agir comme Daniel qui sauva la vertu des coups de la calomnie. Rendez la paix aux consciences en réparant l'iniquité commise. Le sang immaculé de l'innocence opprimée crie devant le trône du Sei gneur 1.

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1. « Clamat ante thronum Domini innocentiæ oppresso immaculatus sanguis. »

nes. Dans les unes et dans les autres il n'y a qu'une voix pour protester contre quiconque se fait le juge des personnes dont il paraît être l'ennemi. Que penser dès lors de l'autorité de Pierre Cauchon, de Guillaume d'Estivet, de Jean Lemaître et de leurs collègues ou complices', quand il est prouvé que, non contents d'habiter avec les ennemis de Jeanne, ils étaient leurs partisans, leurs fauteurs, leurs familiers, leurs commensaux, et qu'ils ont officiellement conjuré l'extermination. de cette pauvre fille, jetée les fers aux pieds dans une noire prison, confiée à la garde des hommes les plus vils, laissée aux mains de la puissance séculière, harcelée de questions subtiles sur les matières les plus ardues, calomniée dans le prétendu sommaire de ses réponses, amenée à une abjuration extorquée par la violence, faussement taxée de récidive, enfin publiquement brûlée, grâce aux iniques attentats dont ses juges n'ont pas craint de souiller leurs mains et leurs consciences?

>> Veuillent vos paternités considérer les mœurs de Jeanne, si pure dans ses sentiments, si chaste dans sa vie, si sincère dans sa foi. Quelle grande humilité ! Quelle dévotion fervente! Quelle fréquentation assidue. des sacrements! Comment la souillure de l'hérésie aurait-elle pu pénétrer dans une âme si belle?

» Aussi, tant s'en faut que Jeanne ait été convaincue des crimes que lui attribue la sentence qui l'a frappée.

1. « Et collegarum seu complicium eorum. »

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