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allèrent attaquer la bastille de Saint-Jean-le-Blanc, et s'approchèrent jusqu'à l'île voisine 1.

S'apercevant que les nôtres étaient en train de passer l'eau, les Anglais abandonnèrent la bastille de SaintJean-le-Blanc et se retirèrent dans un autre fort situé près des Augustins. Là, je vis l'armée du roi en très grand péril. Mais Jeanne disait : «En nom Dieu, allons hardiment! » Et on alla sur les Anglais qui se trouvèrent à leur tour en grand danger, quoiqu'ils eussent sur cette rive (la rive gauche) trois forts ou bastilles. Incontinent, sans grande difficulté, la bastille des Augustins fut prise.

Les capitaines furent alors d'avis que Jeanne rentràt dans Orléans. Elle ne le voulait pas, disant : « Laisserons-nous nos gens3? »

Le lendemain matin on vint attaquer le fort situé au bout du pont. Il était bien fort et comme inexpugnable. Les gens du roi eurent là beaucoup à faire. Je fus témoin quand le seigneur sénéchal de Beaucaire fit rompre le pont avec une bombarbe. L'assaut dura tout le jour jusqu'à la nuit. Déjà on était au soir et on désespérait presque d'avoir le fort, quand fut donné l'ordre d'apporter tout contre l'étendard de Jeanne.

1. Cette île, aujourd'hui disparue, se nommait l'ile aux Toiles.

2. « Eamus audacter in nomine Domini. »

3. « Amittemus nos gentes nostras? >>

4. Le manuscrit de Notre-Dame donne ici auferretur au lieu de afferretur, de même que plus loin nous trouvons ablatum et non allatum. Si cette leçon invraisemblable était adoptée, il

L'étendard fut apporté tout contre. On se remit à l'assaut, et, sur le champ, sans grande difficulté, les gens du roi entrèrent dans le fort avec ledit étendard. Les Anglais s'étaient mis à fuir tant et si bien que, quand ils parvinrent au bout du pont, le pont se rompit et bon nombre furent noyés.

Le lendemain, les gens du roi sortirent pour combattre les Anglais. Ceux-ci, à la vue des nôtres, s'enfuirent. Voyant les Anglais fuir et les Français se mettre à leur poursuite, Jeanne dit aux Français: «< Laissez-les aller. Ne les tuez pas. Qu'ils se retirent. Leur retraite me suffit1. >>

Je ne sais plus rien de ce qu'a fait Jeanne. Ce que je puis dire encore, c'est qu'elle était bonne catholique, craignant Dieu, se confessant tous les deux jours, communiant chaque semaine, entendant quotidiennement la messe et exhortant les hommes d'armes à bien vivre et à souvent se confesser. J'ai bonne souvenance que, tout le temps où je fus avec elle, je n'eus jamais la volonté de mal faire.

Jeanne couchait toujours avec des jeunes filles, et ne voulait pas coucher avec de vieilles femmes. Elle abhorrait jurements et blasphèmes, réprimandant fort quiconque jurait ou blasphémait. Dans l'armée, elle n'aurait oncques admis que des gens de sa compa

faudrait entendre que déjà ordre avait été donné d'emporter l'étendard et qu'en effet il avait été emporté.

1. « Dimittatis Anglicos ire, nec eos occidatis. Recedant; sufficit mihi corum recessus. >>

gnie fissent le moindre vol. Si on lui offrait des vivres qu'elle sût acquis par pillerie, jamais elle n'en voulait user. Un jour, un Écossais lui donna à entendre qu'elle venait de manger d'un veau volé. Elle en fut fort irritée et voulut frapper cet Écossais.

Elle ne pouvait tolérer que des femmes de mauvaise vie chevauchassent dans l'armée avec les hommes d'armes. Aucune n'eût osé se trouver en sa présence. Dès qu'elle en rencontrait, elle les forçait à partir, à moins que nos hommes ne voulussent les épouser.

Enfin, je crois que Jeanne était une vraie catholique, craignant Dieu, gardant ses commandements, obéissant aux préceptes de l'Église selon son pouvoir, bonne non seulement aux Français mais encore aux ennemis.

Tout ce que je dis ici, je le sais bien, car j'ai très longtemps vécu en sa compagnie et bien souvent je l'aidais à s'armer.

J'ajouterai que Jeanne voyait avec déplaisir et douleur certaines bonnes femmes vinssent à elle pour que la saluer. Cela lui semblait une espèce d'adoration, et elle s'en irritait1.

Je ne sais rien autre.

1. « Videbatur quædam adoratio, de qua irascebatur. »>

XV. DEPOSITION DU BOURGEOIS JEAN LUILLIER

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JEAN LUILLIER, bourgeois d'Orléans et marchand de drap, âgé de cinquante-six ans, fit à Orléans une déposition dont l'intérêt est d'autant plus grand qu'elle résume les impressions des habitants de la généreuse ville où s'est pieusement perpétué le culte de la Pucelle.

Il faut consulter les registres de la cité orléanaise, lire le Mystère du siège d'Orléans dont je parlerai à la fin du volume suivant, recueillir les témoignages des chroniqueurs Armagnacs ou Bourguignons, pour se faire une idée de l'admirable patriotisme que déployèrent les habitants d'Orléans. Leur héroïsme pendant sept mois de siège les avait vraiment rendus dignes du secours de l'héroïne qui vint les délivrer en sept jours.

Mais écoutons Jean Luillier :

La venue de Jeanne était fort désirée par tous les habitants d'Orléans. De tous côtés il était parlé d'elle; car le bruit courait qu'elle avait dit au roi : « Je suis envoyée de Dieu pour lever le siège d'Orléans. » Or les Anglais nous avaient mis en telle extrémité que nous ne savions plus à qui recourir pour avoir remède, sinon à Dieu.

J'étais à Orléans lors de l'entrée de Jeanne. Elle fut reçue avec si grande joie et si grand applaudissement par tous les habitants des deux sexes, grands et petits, qu'il eût semblé qu'elle était un ange de Dieu1. « Par le moyen de la Pucelle, se disait-on, nous allons enfin échapper à nos ennemis. » C'est bien ce qui arriva.

Aussitôt venue parmi nous, Jeanne nous exhorta à espérer en Notre Seigneur, assurant que, si nous avions confiance en Dieu, Dieu nous sauverait des Anglais.

Avant de permettre qu'on les attaquât, elle voulut les sommer de se retirer. Elle leur mahda, par lettre, qu'ils eussent à quitter le siège et à s'en retourner dans le royaume d'Angleterre, sans quoi elle les ferait partir de force.

Dès cette heure, les Anglais furent terrifiés. Ils

1. « Recepta fuit cum tanto gaudio et applausu ab omnibus utriusque sexus, parvis et magnis, ac si fuisset angelus Dei, »

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