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Lecture fut faite de ces articles et de ces dépositions. Puis, tout bien ouï et examiné, une mûre et longue délibération eut lieu entre les docteurs et maîtres1. Après avoir pris les avis des assistants, l'évêque décida que, vu les informations et autres documents, il y avait matière suffisante pour que la femme susdite dut être citée et appelée en cause de foi; qu'en conséquence elle serait citée et appelée pour avoir à répondre à certaines questions qu'il y aurait lieu de lui poser.

En outre, pour la meilleure conduite de l'affaire, par respect pour le Saint-Siège qui a établi les inquisiteurs du mal hérétique en vue de la correction des erreurs surgissant contre la foi catholique, et conformément à l'avis des habiles personnes présentes, l'évêque arrêta qu'à défaut de l'inquisiteur absent, son suppléant le vicaire inquisiteur présent à Rouen serait invité à procéder conjointement avec lui, évêque.

Le même jour, 19 février, à quatre heures du soir, Jean Lemaître, le vicaire de l'inquisiteur, comparut chez l'évêque et répondit à sa requête qu'étant particulièrement commis pour le diocèse de Rouen, il doutait de son droit à intervenir dans un procès que l'évêque avait entrepris à raison de sa juridiction sur le diocèse de Beauvais.

En même temps, Lemaître exhiba sa commission où

1. Combien n'est-il pas déplorable que ni le texte des articles, ni le contenu des dépositions, ni le détail de la délibération ne soient pas consignés dans le procès-verbal!

il était dit : « Parce que le mal de l'hérésie, pareil à un cancer, gagne de proche en proche et tue sournoisement les simples, à moins qu'on ne s'applique à l'extirper avec le scapel de l'inquisition, nous, frère Jean Graverent, inquisiteur du vice hérétique au royaume de France, par délégation du Saint-Siège, nous vous avons créé et créons notre vicaire dans la cité et dans le diocèse de Rouen, vous y concédant contre tous hérétiques ou suspects d'hérésie, leurs adhérents, fauteurs, défenseurs, recéleurs 1, quels qu'ils soient, pleins pouvoirs d'enquérir, citer, accuser, excommunier, prendre, détenir, punir et user de tels autres procédés qu'il appartiendra, jusqu'à sentence définitive inclusivement, et aussi d'absoudre et infliger pénitences salutaires, en un mot de faire tout ce qui rentre dans l'office d'inquisiteur.

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L'évêque dit au vicaire : « Revenez-nous demain. En attendant nous prendrons conseil là-dessus. »>

Le lendemain 20 février, Lemaitre, accompagné de son acolyte frère Martin Ladvenu, les six universitaires et les chanoines Venderès et Loiseleur, se réunirent chez l'évêque.

L'évêque déclara qu'il avait soumis la commission du vicaire inquisiteur à des hommes compétents et qu'à leur avis ledit vicaire pouvait, en vertu de cette pièce, se joindre à lui pour juger la cause; que néanmoins,

1. « Receptatores »,

pour procéder en toute sûreté, il venait de requérir, par lettres patentes, le seigneur inquisiteur de venir à Rouen connaître du procès, ou de commettre son vicaire en son lieu et place, ajoutant que tout retard, après cette sommation bien et dûment faite, lui serait imputable.

Frère Jean Lemaître répondit : « Tant pour la tranquillité de ma conscience que pour la plus sûre déduction du procès 1, je ne saurais vouloir intervenir à moins que je n'aie pouvoir pour cela et dans la mesure où je l'aurai. Toutefois, en tant que je le peux et que j'en ai licence, je trouve bon que monseigneur l'évêque de Beauvais passe outre et commence le procès en attendant que j'aie plus ample avis sur le point de savoir si, en vertu de ma commission, je puis moi-même prendre part à sa conduite. »>

Prenant acte de ce consentement, l'évêque offrit à Lemaître de le tenir au courant du procès en lui communiquant tout ce qui avait été fait ou serait fait. Puis, après avoir recueilli les avis des assistants2, il décida que la femme appelée la Pucelle serait citée pour le lendemain mercredi 21 février.

1. «< Tum pro serenatione conscentice, tum pro majori securitate præfati processus. >>

2. « Deliberationibus assistentiums receptis. >>

III.DÉPOSITION DE L'UNIVERSITAIRE THOMAS

DE COURCELLES

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Vénérable et savante personne, maître THOMAS DE COURCELLES, le théologien le plus en renom de l'Université de Paris, chanoine d'Amiens, de Laon et de Thérouenne, avait cinquante-six ans quand il fit sa déposition à Paris, en 1456 1. Ayant été un des complices les plus actifs de Cauchon, il se montra très embarrassé et s'appliqua à réduire, au prix de beaucoup de réticences, sa part de responsabilité. Rien de piteux comme certaines parties du témoignage qu'on va lire:

Je n'ai connu Jeanne qu'à partir de l'époque où je l'ai vue à Rouen, quand elle fut jugée.

Si l'évêque de Beauvais se chargea du procès en matière de foi qui fut alors entrepris contre elle, c'est

1. Voir PROCÈS DE CONDAMNATION, page 26. Dans cet ouvrage, sous ce titre PERSONNAGES DU PROCÈS (pages 21 à 40), j'ai parlé de plusieurs des témoins dont je vais faire connaître les dépositions.

qu'il était conseiller du roi d'Angleterre et que Jeanne avait été prise dans les limites de son diocèse.

1

J'ai ouï dire que quelque argent fut donné à l'inquisiteur par un certain Surreau, receveur général, pour sa participation audit procès. Quant à l'évêque, je ne sais s'il reçut rien.

Au temps où Jeanne fut amenée à Rouen, j'étais à Paris. L'évêque de Beauvais me manda de venir à Rouen pour le procès. Je m'y rendis en compagnie de Nicolas Midi, de Jacques de Touraine, de Jean de Rouel et d'autres dont je n'ai pas souvenance. Le voyage se fit aux frais de ceux qui nous conduisaient, dont l'un était maître Jean de Reynel3.

Fut-il fait des informations préparatoires à Rouen ou dans le lieu d'origine de Jeanne? Je ne sais. Je ne les ai pas vues. Au début du procès, quand je me trouvai là, il était seulement question des voix qu'on disait qu'elle avait, et qu'elle assurait être de Dieu. Je vois bien qu'il est parlé, dans le texte du procès que vous me mettez sous les yeux, de certaines informations

1. « Quod fuerat datum aliquod donum inquisitori ».

2. Ce nom ne figure pas au procès de condamnation. Peutêtre, au lieu de Rouel que porte un manuscrit et de Ruel que porte l'autre manuscrit, faut-il lire Rivel. Il s'agirait alors d'un parent de Cauchon, nommé Jean Rivel, père de ce Jacques Rivel qui, héritier de l'évêque, déclara aux juges du procès de réhabilitation que lui et les siens répudiaient toute solidarité avec Cauchon, en tant que juge de Jeanne.

3. Secrétaire du roi d'Angleterre.

4. « Solum erat quæstio quod dicebatur eam habuisse voces et quod asserebat eas esse a Deo ».

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