J'étais là quand maître Nicolas Midi prononça son sermon sur la place du Vieux-Marché. Un détail dont je me souviens, c'est qu'après le sermon Jeanne adressa. une prière à tous les prêtres présents, demandant que chacun d'eux dit une messe pour elle. Sa fin fut une fin bien chrétienne. Elle trépassa en jetant ce cri: « Jésus! Jésus! » Elle pleurait tant et faisait de si pieuses lamentations que je ne crois pas qu'il soit un homme de cœur assez dur pour voir un pareil spectacle sans être ému jusqu'aux larmes. L'évêque de Thérouenne et tous les docteurs qui étaient là pleuraient, tellement ils étaient pris de compassion. Pour moi, je ne restai pas jusqu'à la fin. Je partis, ne me sentant pas la force d'en voir davantage. Je ne sais rien autre. non fuit vocatus ad processum. » (1452.) « In quo processu ipse loquens interfuit usque ad primum sermonem factum in sancto Audeano, et a post non fuit. » (1456.) L'évêque prétend n'avoir plus été convoqué depuis l'abjuration. Comment donc se fait-il que sa sentence figure au Procèsverbal officiel, dans la délibération où Jeanne fut proclamée relapse? Voici le texte officiel que j'ai traduit ailleurs (PROCÈS DE CONDAMNATION, page 372): « Magister Johannes Fabri deliberavit quod dicta mulier est pertinax, contumax et inobediens; et de residuo, stat in deliberatione abbalis Fiscampnensis. » — » Tartufe! Autre mensonge. Du témoignage de Lefevre il résulte que ce prélat n'aurait assisté au supplice de Jeanne qu'en simple curieux, et non à titre officiel. Or, daus le texte authentique de l'Instrumentum sententiæ, texte contresigné par les trois greffiers, à la suite du formulaire de la sentence coudamnant Jeanne comme relap-e, Lefèvre est expressément nommé comme un des assesseurs qui ont assisté au prononcé de la sentence de par convocation spéciale : « Præsentibus ad hæc... Juhanne Fabri, testibus ad præmissa vocatis specialiter et rogatis. » VII. DEPOSITIONS DU PRIEUR PIERRE MIGIET Frère PIERRE MIGIET, prieur de Longueville, vieillard de soixante-dix ans, entendu dans l'enquête de 1456, avait déjà été entendu en 1452, par Guillaume d'Estouteville, puis par Philippe de la Rose. Sa triple déposition, comme on va le voir, contraste singulièrement avec son ancienne attitude d'auxiliaire dévoué de Cauchon. Néanmoins, semblable en cela aux autres complices de l'évêque de Beauvais, il parle du crime de Rouen avec une sérénité cynique, sans éprouver le besoin de faire son mea culpa. Les témoignages que je puis donner sur Jeanne ne peuvent partir que de l'époque où elle fut amenée à Rouen. Je l'ai vue plusieurs fois en cette ville durant son procès. Elle me parut répondre catholiquement et sagement vu sa condition et son âge, aux questions qui lui furent faites touchant la foi. Il me sembla cependant qu'elle insistait trop sur les visions qu'elle disait avoir 1. 1. « Licet sibi videatur quod nimis persistebat in visionibus quas dicebat se habere. Elle me' fit l'effet d'une personne fort simple, et si elle eût joui de sa liberté je crois qu'elle eût été aussi bonne catholique qu'une autre. J'ai assisté en grande partie à la déduction du procès fait contre Jeanne et aux consultations qui eurent lieu. Je sais qu'il y fut fait mention de certaines informations préalables. Mais quelles furent ces informations? Je ne les ai ni vues, ni entendu lire. Selon ma créance et comme j'ai pu en juger par les effets, les Anglais poursuivaient Jeanne d'une haine. capitale; ils l'abhorraient; ils avaient soif de sa mort par tous moyens; et cela, parce qu'elle avait été au secours de notre sire très chrétien, le roi de France. J'ai entendu un chevalier d'Angleterre me dire que les Anglais la craignaient plus que cent hommes d'armes. On disait qu'elle avait un sort. A la pensée des victoires obtenues par elle, on entrait en épouvante1. 1. Les Anglais s'avouaient terrifiés par les enchantements de la Pucelle. Dans le Recueil des traités, conventions, lettres, et autres actes publics de tout genre entre les rois anglais et les autres souverains, à partir de l'an 1101, publié par l'historiographe Thomas Rymer, on trouve le texte latin d'un édit porté par le roi d'Angleterre, à la date du 3 mai 1430, contre les capitaines et soldats qui refusaient de passer en France, sous cette rubrique significative: « De proclamationibus contra capitaineos et soldarios tergiversantes incantationibus Puellæ terrificatos. Un autre édit, daté du 12 décembre 1430, avait prescrit de traduire en justice militaire tous les déserteurs qui lâchaient pied par peur de la Pucelle. (Rymer: « De fugitivis ab exercitu quos terriculamenta Puellæ exanimaverant arrestandis. ») Dans son Histoire de Charles VII, Thomas Basin, qui était Aussi est-ce par les Anglais que fut décrété le procès intenté contre elle. C'est mus et inspirés par eux que les hommes d'Église procédèrent au jugement. Jeanne, durant toute sa détention, demeura entre les mains des Anglais et sous leur garde. Ils ne permirent pas qu'elle fût détenue en prison ecclésiastique. Jeanne, selon ma créance, avait alors vingt ans. Dans sa simplicité elle se figurait que les Anglais devaient lui rendre sa liberté moyennant rançon ; elle ne pouvait croire qu'ils voulussent la faire mourir. Ils la mirent. en prison séculière, et la tinrent bien enchaînée. Personne le contemporain de Jeanne, dit : « Le nom seul de la Pucelle inspirait aux Anglais la plus grande épouvante. Dès qu'ils l'entendaient annoncer, dès qu'ils apercevaient sa bannière, ils perdaient force et courage, ils ne pouvaient plus ni bander leurs arcs, ni lancer leurs traits, ni porter le moindre coup à l'ennemi. Ainsi l'ont attesté plusieurs d'entre eux avec serment solennel » (« sacramento magno »). Au surplus, d'après le chroniqueur Mathieu Thomassiu, Jeanne avait déclaré que, morte, elle serait funeste aux Anglais encore plus qu'étant vivante : ་་ << Les Anglois et Bourguignons disoient paroles diffamables «<et injurieuses de la ditte Pucelle, et avec ce, la menaçoient que, << s'ilz la pouvoient tenir, ilz la feroient mourir maulvaisement. Elle fut par aucuns interroguée de sa puissance se elle dure«rait guère et se les Anglois avoient puissance, de la faire << mourir. Elle respondit que tout estoit au plaisir de Dieu; et « si (aussi) certifia que, s'il luy convenoit mourir avant que ce « pour quoy Dieu l'avoit envoyée fust accomply, que après sa « mort elle nuyroit plus ausditz Anglois qu'elle n'auroit fait en << sa vie, et que, nonobstant sa mort, tout ce pour quoy elle «<estoit venue s'accompliroit: ainsi que a esté fait par grace <«<de Dieu, comme clairement et évidemment il appert et est «< chose notoire de nostre temps. >> ne parlait avec elle. Elle avait pour gardiens des Anglais qui ne souffraient pas qu'on l'approchat. D'après ce qu'on disait, elle était durement traitée, et avait les fers aux pieds ainsi qu'aux mains. Mais ce n'est pas là chose dont j'aie, été témoin. J'ai ouï raconter que, pendant les interrogatoires du procès, il y avait des gens cachés derrière les rideaux. Ces gens, paraît-il, prenaient des notes sur les dires et les confessions de Jeanne. Qu'y a-t-il là d'exact? Je ne sais. Ce renseignement me fut donné par Guillaume Manchon, qui était greffier du procès avec deux autres. J'en portai même plainte aux juges et leur dis que cela ne me semblait pas un bon procédé. Quoi qu'il en soit de ces greffiers cachés, je suis très sûrement cónvaincu que ceux qui ont apposé leur signature au procès furent gens consciencieux et qu'ils ont fidèlement rédigé ce qui se passa au procès. Voici un autre fait que je connais par ouï-dire. Un homme vint la trouver de nuit en tenue de captif; se fit passer auprès d'elle pour un prisonnier du parti de notre sire le roi de France, et lui persuada de persister dans ses déclarations, ajoutant que les Anglais n'oseraient point lui faire aucun mal. D'après ce que m'a rapporté le susdit greffier Guillaume Manchon, ce prétendu prisonnier était Jean Loiseleur. Pendant les interrogatoires, j'ai entendu Jeanne répéter et attester plusieurs fois qu'elle ne voudrait rien soutenir contre la foi catholique, et que, s'il y avait dans ses dits ou dans ses faits quelque chose qui |