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position continuée du vieux Dathan? A végéter parmi les robins du palais, comme son père végète parmi les obscurs médecins de campagne. Non, non ! il faut à Olivier les luttes du forum, les fièvres du journalisme, la gloire de l'écrivain, la célébrité du tribun. Il commence par s'enfermer dans une mansarde et à travailler à une œuvre mipolitique, mi-historique, dont la Révolution est l'objet. Aucun éditeur ne veut de son livre. Première déception. Il l'offre à un directeur de journal, pour la publication en fragments. Le journaliste accepte. Au bout du troisième article, il lui rend son manuscrit. C'est pompeux et grandiloque, mais foncièrement ennuyeux. Seconde déception. Olivier va faire alors une visite au grand dispensateur de la manne gouvernementale, à Raoul Barrau, et se recommande de son père, l'ancien ami de Baudin. Peuh !... Barrau a d'autres soucis: il reçoit Olivier avec une lassitude dédaigneuse qui ne prend guère la peine de se dissimuler. A cette heure, Olivier, sous la double impulsion du dépit et de la misère, quitte le camp démocratique pour passer sous le drapeau conservateur. Invité aux soirées d'un ministre du Seize-Mai, il publie dans les journaux monarchiques des articles violemment réactionnaires. Ce ministre a une fille. Dans l'espoir de l'épouser, Olivier abandonne une grisette jadis séduite par lui. Or, voilà que les amis de Raoul Barrau triomphent aux élections, et que Mile de la Polinière ne veut pas de notre pauvre sire. Nouveau dépit, nouvelle palinodie. Olivier redevient républicain. Cette fois la chose lui réussit. Il est aujourd'hui collaborateur d'une revue fondée par la Napoli et député. On ne saurait nier que tout cela ne soit raconté dans une langue virile et ferme, ne soit vu et vrai. Nous en tirerons seulement la leçon que M. Case, libre-penseur, ne pouvait tirer. C'est que les principes démocratiques sont, au fond, un viatique peu solide et peu sûr pour les rudes batailles de la vie; c'est que la jeunesse, sans foi religieuse, est naturellement prédisposée à sacrifier ses idées politiques à son ambition; c'est qu'enfin, selon le mot de Lamartine, il n'y a rien de plus triste que la démocratie sans Dieu.

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7. Le Désespéré, de M. Léon Bloy, est un ambitieux aussi, mais ses visées sont plus hautes et plus pures. La politique lui est indifférente, et il a l'ambition très légitime, très louable et très naturelle de vivre de sa plume et de prendre rang parmi les écrivains du jour. Malheureusement, rien ne lui réussit; tous ses prétendus amis le trahissent et le calomnient; il n'éprouve partout que rebuffades et mépris; il meurt de faim et ne trouve du repos qu'à la Grande-Chartreuse. Sorti de ce lieu de paix, une prostituée qu'il a retirée du ruisseau lui tend une main secourable. Il se reprend un moment à l'espoir, compose une œuvre de génie, l'offre aux journaux qui sont naturellement interessés à la bien accueillir, éprouve de nouveaux refus plus cruels

encore, et finalement, lui, chrétien, meurt sans consolation religieuse, parce que, seul, cloué sur son lit d'agonie, dans un misérable taudis, il ne peut aller prévenir le prêtre. A tout bien considérer, on s'aperçoit vile que la lamentable histoire de Marie-Joseph-Caïn Marchenoir n'est pour M. Léon Bloy qu'un cadre, ou plutôt qu'une sauce destinée à faire avaler les poissons épineux et amers qu'il sert aux lecteurs. La partie dramatique du Désespéré a un intérêt tout à fait secondaire. Il n'en est pas de même de la partie satirique, et nous n'avons pas mémoire d'avoir lu jamais pamphlet plus âcre, plus violent, plus exacerbé contre les journalistes et les littérateurs contemporains. M. Léon Bloy n'épargne personne. Les croyants sont aussi maltraités par lui que les mécréants. C'est d'ailleurs un livre à clef, dont voici quelques noms : Alexis Dulaurier (Paul Bourget), Properce Beauvivier (Catulle Mendès), Magnus Conrart (Francis Magnard), Gaston Chaudesaïgues (Alphonse Daudet), Léonidas Rieupayroux (Léon Cladel), Amilcar Lécuyer (Jean Richepin), Andoche Sylvain (Armand Silvestre), Valentin Denizot (Aurélien Scholl). J'en oublie, et des plus connus. Pour les fustiger, M. Bloy se sert d'expressions qu'il est impossible de reproduire, chacune d'elles étant généralement un gros mot. On en jugera simplement par la qualification qu'il donne à George Sand. Il l'appelle crûment << une vieille truie. » Pour l'auteur du Désespéré, il n'y a guère en France aujourd'hui que trois écrivains : Barbey d'Aurevilly, Villiersde-l'Isle-Adam et Huysmans. Eh! mon Dieu, ce sont trois maîtres stylistes, je n'en disconviens pas. Mais, vraiment, sont-ils seuls? Il est bien fâcheux que ces partis-pris, ces injustices et ces virulences déparent ainsi l'ouvrage de M. Léon Bloy. Quand l'auteur éteint sa bile et laisse parler son cœur, il est tout uniment délicieux. Il y a dans le Désespéré trente pages sur la Grande-Chartreuse qui sont un chefd'œuvre dans toute la force du terme. Le paysage des gorges alpestres, l'air pur de la sainte montagne, le parallèle de la maison de prière avec les vaines clameurs du monde, l'enterrement du pauvre chartreux, tout autant de tableaux admirables que Zurbaran et Murillo n'auraient pas mieux rendus. M. Léon Bloy est aussi, quand il veut, un profond penseur, témoin son chapitre sur le symbolisme de l'histoire. Pourquoi faut-il que le pamphlétaire exaspéré, que le flagellateur cynique et partial étouffent trop souvent en lui le poète aux envols rayonnants et le philosophe chrétien?

8 et 9. On peut lire aussi dans Hėra, pauvre roman de M. Éric Besnard, une description de la Chartreuse. Mais qu'elle cst pâle, comparée à la fresque lumineuse et chaude de l'auteur du Désespéré! Et comme il est manifeste que ces deux peintres ont visité le monastère avec un état d'esprit différent. Joseph - Caïn Marchenoir y est allé chercher le repos de l'âme, apaiser ses haines, purifier son cœur et

prier Dieu. Lucien Raissac, l'amant d'Héra d'Armont, n'est entré dans la demeure hospitalière de Saint-Bruno que pour ergoter sur le divorce avec le prieur. Il en remporte cependant cette conviction que l'Église n'admet le divorce en aucun prétexte, mais reconnaît des cas qui lui permettent de déclarer un mariage nul. Plus tard, Lucien Raissac profite du renseignement pour faire annuler le mariage de la femme qu'il aime et qui a épousé un escroc, un voleur, un faux noble, un gibier de potence, croyant s'ètre unie à un gentilhomme, à un honnète garçon. La thèse aurait de l'intérêt, si elle n'était pas noyée dans une infinité de détails boulevardiers et dans une histoire de rapt d'enfant aussi invraisemblable que mélodramatique. De même dans BonRepos, M. Philippe Chaperon consacre trois cent cinquante-six pages à nous détailler, de fil en aiguille, les relations illicites et agitées du cabotin Armand Lauzun avec Eulalie Princet, fille d'une ex-propriétaire d'hôtel borgne qui a jadis rôti le balai tant qu'elle a pu, et femme légitime d'un ex-avoué, vieux, bête, gâteux. Mais il ne parvient pas, bien qu'il s'y emploie d'une plume délurée, à nous intéresser à ce vilain monde, et il aurait pu beaucoup mieux occuper son temps.

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10. Aux premières pages de son Évangile d'amour, on pourrait croire que, marchant sur les traces de M. Ferdinand Fabre, M. Henri Pagat a voulu faire une étude sérieuse et consciencieuse de la vie cléricale. Il met en scène trois prêtres absolument différents de caractère, de goûts, de physionomie, de tendances et de tempérament. L'un, l'abbé d'Aubussy, est dogmatique et froid; l'autre, l'abbé Trinquart, ancien soldat, est gai, charitable, naïf et bon enfant; le troisième, l'abbé Belmonval, est élégant, mondain, parfumé, câlin et douillet. Mais on ne tarde pas à s'apercevoir que cet Évangile d'amour n'est autre qu'un évangile de haine contre le catholicisme. La sainteté de Trinquart n'est exaltée qu'à titre d'antithèse et de contraste, pour faire paraître plus détestables les « noirceurs » de Belmonval et de d'Aubussy, lesquels éloignent une jeune fille de son fiancé, parce que ce dernier a « le malheur de ne pas croire » et s'efforcent de la marier à un gommeux, dont l'auteur, pour les besoins de sa mauvaise cause, fait un << libertin >> et un « dévot. » Au dénouement, la jeune fille n'épouse ni l'un ni l'autre. Elle entre dans un couvent de carmélites, et à la prise de voile, dans la chapelle même, le fiancé abandonné vient mourir à ses pieds. Cette aventure est émaillée de diatribes contre le sacrement eucharistique, la confession « qui incite à pécher en garantissant le pardon,» l'abstinence de la viande le vendredi, la « comédie des dispenses, » les « mômeries » et le paganisme du culte catholique, le « despotisme» et l'« immoralité » du clergé plats indigestes et venimeux que, chaque matin, servent par tranches à leurs lecteurs la Nation, la Lanterne et l'Intransigeant. M. Pagat a cru sans doute porter un coup

terrible à la religion en intercalant tant de blasphèmes idiots dans son singulier « Évangile. » Il se trompe : s'ils peuvent être pris au sérieux par des brutes comme son marchand de vins Crebassa, le lecteur intelligent en haussera les épaules de dégoût et de pitié. Quant à sa thèse que l'Évangile (le vrai) est la « condamnation du catholicisme, » elle a dix-huit cents ans d'existence. Simon le Magicien la soutenait aux premiers siècles de l'ère chrétienne. Elle fut reprise ensuite par Pierre Valdo, et plus tard par Luther. Le catholicisme n'en est pas mort. Je souhaite à M. Pagat beaucoup de lecteurs parmi les protestants sectaires et hargneux. Il n'y a qu'eux et M. Hovelacque qui puissent alimenter leur fiel à son mauvais livre.

11. M. Chastaing, de Luques-en-Provence, a perdu sa femme. Il est riche, possède un gros domaine et n'a qu'une fille encore enfant. Il ne pense pas à se remarier; mais il a besoin de quelqu'un pour veiller à son intérieur. Lui est assez occupé avec ses vignes et ses champs. On lui recommande Prudence Raynaud, pleine de sens, de tête, personne d'âge fait, passant pour honnête. Il l'accepte, et Prudence entre comme servante chez le riche M. Chastaing. Tout d'abord, elle se dissimule de son mieux; elle mène le moins de bruit possible; elle reste humble, petite, discrète. Ce n'est qu'un jeu. Peu à peu, son ascendant s'accroît, son influence augmente, et il arrive une heure où, ne pouvant se passer d'elle, M. Chastaing lui abandonne la direction de tout. Vous pouvez penser si l'hypocrite en profite. Sans avoir l'air d'y toucher, elle attise une passion secrète qui couvait depuis quelque temps dans l'âme épicurienne de son maître. Alors surviennent l'inévitable scène de la séduction, la comédie des pleurs, la simulation du départ, tant et si bien que, « pour réparer un moment d'oubli, » M. Chastaing lui donne son nom. Elle ne voulait pas autre chose. De retour de l'église, elle jette tout à fait le masque, règne et gouverne et chacun, dans la maison, plie sous sa loi. Elle empèche le mariage de Marthe Chastaing avec le docteur André, cause la mort de la pauvre jeune fille et éloigne de son père tous les vieux amis. Elle a un fils. C'est le couronnement de l'édifice. » Et dans son orgueil elle s'écrie : « Enfin, je triomphe. » Aveugle qui ne pressent pas l'heure du châtiment! Cette heure ne tarde pourtant pas à arriver: Chastaing meurt d'apoplexie, son enfant succombe aux atteintes du choléra et Prudence devient folle. Telle est l'histoire de la « servante-maîtresse. » Il y a dans ce roman, gâté par quelques détails trop libres, d'amusants cancans, des silhouettes bourgeoises cavalièrement dessinées, une pointe d'ironie et d'humour qui malheureusement s'émousse plus d'une fois dans la trivialité.

12 et 13. Par pur acquit de conscience, mentionnons la deuxième édition de Karila, un roman original et bizarre de M. Charles Diguet,

et dont le Polybiblion (t. XLVI, p. 26), a déjà rendu compte. L'éditeur nous apprend que l'Académie française a accordé à Karita une mention honorable. Ceci a de quoi nous rendre rêveur. Qu'a donc voulu honorer l'Académie dans Karita? Je ne pense pas que ce soit l'abnégation phénoménale de ce mari qui se laisse mourir dans un ballon parce que sa femme, uniquement éprise d'art et sans songer à mal, a consenti à servir de modèle à un sculpteur. L'Académie a peut-être voulu récompenser M. Charles Diguet d'avoir invoqué l'autorité de Louis Veuillot et du cardinal Antonelli à l'appui de sa haute esthétique et de ses théories idéales sur le Nu. A vrai dire, l'Académie a mieux fait de mentionner honorablement Karita que de couronner, comme elle le fit jadis, Fromont jeune et Risler aîné, qui n'a rien de moral. Si la thèse de Karita prête à la critique, le récit du moins en est chaste irréprochablement. - Chaste aussi, mais fort dangereux, est le Testament de Berthe, par un autre lauréat de l'Académie, M. Arthur Tailhand. Qu'on en juge. Berthe de Saint-Luc a épousé un homme indigne, le comte de Cabriac. Au lendemain de ses noces, M. de Cabriac reprend ses habitudes de joueur et de libertin. Il néglige sa femme pour des actrices. Il devient même mauvais père, et le croup qui jugule son enfant n'empêche pas ce triste sire de courir à ses plaisirs. Berthe reste seule à soigner sa fille, et elle fait appeler le docteur Arlon. C'est un jeune médecin, très entendu dans son art, et qui, à force d'habileté, de sollicitude, parvient à arracher l'enfant à la mort. Berthe éprouve pour le praticien une sympathie qui ne tarde pas à se changer en un invincible amour. Cabriac continue sa vie désordonnée, pendant que sa femme et le docteur Arlon se livrent aux épanchements d'une affection qui reste pure jusqu'au bout, à l'instar de celle qui est décrite dans le Lys dans la vallée. Il s'y mêle même un sentiment religieux que Balzac n'a pas cru devoir amalgamer avec l'amour profane. Le docteur Arlon ne croit pas : il a été élevé dans les idées du matérialisme, et si son cœur est excellent sa tête est d'un esprit fort. Cela chagrine Berthe et elle s'emploie de son mieux à convertir le docteur. Et elle y réussit tout à fait, un peu aidée en cela par Mgr de Latour-Bransac. Puis elle meurt, laissant pour testament sa correspondance avec l'homme qui a sauvé son enfant : correspondance dont on ignore le contenu, puisqu'elle est brûlée par la vieille Mme de SaintLuc. C'était prudent. Après avoir triché au jeu, le comte de Cabriac termine sa vie scandaleuse, victime d'un assassinat. Nous sommes loin de Zola, n'est-ce pas ? N'importe ! je ne suis pas féru de sujets pareils.

14 et 15. M. l'abbé Benjamin Guinaudeau a lu Alfred de Musset, Lamartine, François Coppée, Sully Prudhomme, Charles Baudelaire. Ce n'est point un mal. Mais il ne faudrait pas tant le laisser voir, Ses

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