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craignez de la redoubler en prolongeant inutilement votre résistance. L'histoire ne rapporte-t-elle point que Constantinople fut mise à sac, et que le Bosphore charria, pendant quatre jours, du sang et des cadavres? O Grecs du nouveau Bas-Empire, redoutez le sort de vos aînés, et, de grâce, épargnez-nous l'agonie d'une résistance vaine et les horreurs d'une prise d'assaut. Hâtez-vous de livrer Byzance, si Byzance ne peut être sauvée.

LE SOCIALISTE.

Vous avouez donc que l'avenir est à nous?
L'ÉCONOMISTE.

Dieu m'en garde! mais je pense que vos adversaires ont tort de vous résister s'ils désespèrent de vous vaincre, et je conçois qu'en ne se rattachant à aucun principe fixe, immuable, ils aient cessé de compter sur la victoire. Conservateurs, ils sont impuissants à conserver la société, voilà tout ce que j'ai voulu prouver. Maintenant, je vous dirai à vous autres organisateurs, que vous seriez impuissants à l'organiser. Vous pouvez prendre Byzance et la mettre à sac, vous ne sauriez la gouverner.

LE SOCIALISTE.

Qu'en savez-vous! N'avons-nous pas dix organisations pour une?

L'ÉCONOMISTE.

Vous venez de mettre le doigt sur la plaie. A quelle secte socialiste appartenez-vous, veuillez bien me le dire. Êtes-vous saint-simonien?

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Non? le saint-simonisme est usé. C'était, à l'origine, une aspiration plutôt qu'une formule... Et les disciples. ont gâté l'aspiration sans trouver la formule.

L'ÉCONOMISTE.

Phalanstérien ?

LE SOCIALISTE.

C'est séduisant. Mais la morale du fouriérisme est bien scabreuse.

! Cabétiste?

L'ÉCONOMISTE.

LE SOCIALISTE.

Cabet est un esprit ingénieux mais incomplet. Il n'entend rien, par exemple, aux choses de l'art. Imaginezvous qu'en Icarie on peint les statues. Les figures de Curtius, voilà l'Idéal de l'art icarien. Barbare!

Proudhonien?

L'ÉCONOMISTE.

LE SOCIALISTE.

Proudhon, ah! que voilà un beau destructeur ? comme il démolit bien! Mais, jusqu'à présent, il n'a su fonder que sa banque d'échanges. Et cela ne suffit pas.

L'ÉCONOMISTE.

Ni saint-simonien, ni fouriériste, ni cabétiste, ni proudhonien. Eh! qu'êtes-vous done?

Je suis socialiste.

LE SOCIALISTE.

L'ÉCONOMISTE.

Mais encore! à quelle variété du socialisme appartenez-vous?

LE SOCIALISTE.

A la mienne. Je suis convaincu que le grand problème de l'organisation du travail n'est pas résolu encore. On a déblayé le terrain, on a posé les assises, mais on n'a pas élevé l'édifice. Pourquoi ne chercherais-je pas comme

un autre à le bâtir? Ne suis-je pas animé du pur amour de l'Humanité? N'ai-je pas étudié la Science et médité longtemps sur le Problème? Et je crois pouvoir affirmer que... non! pas encore... il y a certains points qui ne sont pas complétement élucidés (montrant son front), mais l'Idée est là... et vous verrez plus tard.

L'ÉCONOMISTE.

C'est-à-dire que vous aussi vous cherchez votre organisation du travail. Vous êtes un socialiste indépendant. Vous avez votre Bible particulière. Au fait, et pourquoi pas? Pourquoi ne recevriez-vous pas comme un autre l'esprit du Seigneur? Mais aussi, pourquoi d'autres ne le recevraient-ils pas comme vous? Voilà bien des organisations du travail.

LE SOCIALISTE.

Tant mieux, le peuple pourra choisir.

L'ÉCONOMISTE.

Bon! à la majorité des suffrages. Mais que fera la minorité?

Elle se soumettra.

LE SOCIALISTE.

L'ÉCONOMISTE.

Et si elle résiste? Mais j'admets qu'elle se soumette, de gré ou de force. J'admets que l'organisation adoptée à la majorité des suffrages soit mise en vigueur. Qu'arrivera-t-il si quelqu'un, vous, moi, un autre, découvre une organisation supérieure?

LE SOCIALISTE.

Cela n'est pas probable.

L'ÉCONOMISTE.

Au contraire, c'est très probable. Ne croyez-vous pas au dogme de la perfectibilité indéfinie ?

LE SOCIALISTE.

Assurément. Je crois que l'Humanité ne cessera de progresser qu'en cessant d'être.

L'ÉCONOMISTE.

Or d'où dépend principalement le progrès de l'humanité? S'il faut en croire vos docteurs, c'est la société qui fait l'homme. Lorsque l'organisation sociale est mauvaise, l'homme reste stationnaire ou il rétrograde; lorsque l'organisation sociale est bonne, l'homme se développe, progresse...

Quoi de plus vrai?

LE SOCIALISTE.

L'ÉCONOMISTE.

Y a-t-il donc rien de plus souhaitable au monde que de faire progresser l'organisation sociale? Mais s'il en est ainsi, quelle devra être la préoccupation constante des amis de l'humanité? ne sera-ce point d'inventer, de combiner des organisations de plus en plus parfaites?

LE SOCIALISTE.

Oui, sans doute. Quel mal y voyez-vous?
L'ÉCONOMISTE.

J'y vois une anarchie permanente. Une organisation vient d'être mise en vigueur et elle fonctionne, tant bien que mal, car elle n'est pas parfaite...

LE SOCIALISTE.

Pourquoi pas?

L'ÉCONOMISTE.

La doctrine de la perfectibilité indéfinie n'exclut-elle pas la perfection? D'ailleurs, je viens de vous citer une demi-douzaine d'organisations et vous n'avez été satisfait d'aucune.

LE SOCIALISTE.

Cela ne prouve rien contre celles qui viendront plus tard. Ainsi, par exemple, j'ai la ferme conviction que mon système....

L'ECONOMISTE.

Fourier trouvait son mécanisme parfait et cependant vous ne voulez pas du mécanisme de Fourier. De même, il se rencontrera des gens qui ne voudront pas du vôtre, Donc, une organisation bonne ou mauvaise est en vigueur. La majorité en est satisfaite, mais la minorité ne l'est point. De là un conflit, une lutte. Et remarquez bien que l'organisation future possède un avantage énorme sur l'organisation présente. On n'en a pas encore ressenti les défauts. Selon toutes probabilités elle finira par l'emporter.... jusqu'à ce qu'elle soit, à son tour, remplacée par une troisième. Mais croyez-vous qu'une société puisse, sans péril aucun, changer journellement d'organisation. Voyez dans quelle crise épouvantable nous a précipités un simple changement de gouvernement. Que serait-ce s'il s'agissait de changer la société ?

LE CONSERVATEUR.

On frémit rien que d'y penser. Quel gâchis effroyable? Ah! l'esprit d'innovation? l'esprit d'innovation?

L'ÉCONOMISTE.

Vous aurez beau faire, vous ne le supprimerez point. L'esprit d'innovation existe...

LE CONSERVATEUR.

Pour le malheur du monde.

L'ÉCONOMISTE.

Non pas. Sans l'esprit d'innovation, les hommes n'auraient point cessé encore de se nourrir de glands ou de

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