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Barrère, qui avait provoqué et soutenu la plupart de ces délibérations, s'écria en terminant:

"La voilà donc cette Assemblée qu'on a tant calomniée, qu'on a représentée au peuple comme déchirée par des divisions, comme incapable de faire le bien ! La voilà qui d'un commun accord, qui par un enthousiasme vraiment social et civique a adopté toutes les mesures que réclamait le salut public!

DES ARISTOCRATES HORS LA LOI.

"

La mort était suspendue sur la tête des provocateurs, des traîtres, des prêtres et des émigrés; un décret avait ordonné le désarmement des ci-devant nobles, justement suspects malgré leurs démonstrations de civisme; de fréquentes dénonciations étaient portées contre ces hommes dont les principes républicains s'exprimaient entachés de quelque doute, de quelque regret; et cependant la tourmente, les désordres étaient encore entretenus par la faction secrète. Quelques membres cherchent les agens de cette faction dans les emplois publics conférés par les ministres ; ils se plaignent que des députés trop confians ont eux-mêmes par leur protection favorisé l'entrée de personnages dangereux dans l'administration et dans les états majors; ils demandent l'exécution du décret de l'Assemblée constituante qui défend aux représentans du peuple de solliciter aucune place du pouvoir exécutif. (Voyez tome V.) Danton ne voit pas là le mal; il veut frapper tous les aristocrates sans distinction, sous quelque voile qu'ils s'enveloppent.

DISCOURS de Danton. ( Séance du 27 mars 1793. )

« Je déclare avoir recommandé aux ministres d'excellens . patriotes, d'excellens révolutionnaires. Il n'y a aucune loi qui puisse ôter à un représentant du peuple sa pensée : la loi ancienne qu'on veut rappeler était absurde; elle a été révoquée par la révolution. Il faut enfin que la Convention nationale soit un corps révolutionnaire; il faut qu'elle soit peuple ; il est temps qu'elle déclare la guerre la plus implacable aux enne

mis de l'intérieur! Quoi! la guerre civile est allumée de toute part, et la Convention reste immobile! Un tribunal révolutionnaire a été créé qui devait punir tous les conspirateurs, et ce tribunal n'est pas encore en activité! Que dira donc ce peuple? car il est prêt à se lever en masse........ ( Applaudissemens à gauche et dans les tribunes publiques; murmures à droite. Danton, qui d'abord avait parlé de sa place, s'élance à la tribune avec impétuosité. )

n

Que dira donc ce peuple? car il est prêt à se lever en masse; il le doit, il le sent. Il dira: Quoi donc ! des passions misérables agitent nos représentans, et cependant les contrerévolutionnaires tuent la liberté !

» Je dois enfin vous dire la vérité; je vous la dirai sans mélange : que m'importent toutes les chimères qu'on peut répandre contre moi pourvu que je puisse servir la patrie! Oui, citoyens, vous ne faites pas votre devoir. Vous dites que le peuple est égaré; mais pourquoi vous éloignez-vous de ce peuple? Rapprochez-vous de lui; il entendra la raison. La ́ révolution ne peut marcher, ne peut être consolidée qu'avec le peuple; ce peuple en est l'instrument : c'est à vous de vous en servir. En vain direz-vous que les sociétés populaires fourmillent de dénonciateurs absurdes, de dénonciateurs atroces.... Hé bien, que n'y allez-vous ? Une nation en révolution est comme l'airain qui bout et se régénère dans le creuset. La statue de la liberté n'est pas fondue; le métal bouillonne : si vous n'en surveillez le fourneau vous en serez tous brûlés! (Applaudissemens.)

>> Comment se fait-il

c'est aujour

que vous ne sentiez pas que d'hui qu'il faut que la Convention décrète que tout homme du peuple aura une pique aux frais de la nation? Les riches la paieront; ils la paieront en vertu d'une loi. Les propriétés ne seront pas violées.

» Il faut décréter encore que dans les départemens où la contre-révolution s'est manifestée quiconque a l'audace d'appeler cette contre-révolution sera mis hors la loi. A Rome Valerius Publicola eut le courage de proposer une loi qui portait peine de mort contre quiconque appellerait la tyrannie. Hé bien, moi je déclare que puisque dans les rues, dans les

places publiques les patriotes sont insultés, puisque dans les spectacles on applaudit avec fureur aux applications qui se rapportent aux malheurs de la patrie; je déclare, dis-je, que quiconque oserait appeler la destruction de la liberté ne périra que de ma main, dussé-je après porter ma tête sur l'échafaud, heureux d'avoir donné un exemple de vertu à ma patrie! (Applaudissemens.)

» Je demande qu'on passe à l'ordre du jour sur la motion qui m'a donné lieu de parler. Je demande que dans toute la République chaque citoyen ait une pique aux frais de la nation. Je demande que le tribunal extraordinaire soit mis en activité. Je demande que la Convention déclare au peuple français, à l'Europe, à l'univers, qu'elle est un corps. révolutionnaire, qu'elle est résolue de maintenir la liberté, d'étouffer les serpens qui déchirent le sein de la patrie!

» Montrez-vous révolutionnaires, montrez-vous peuple, et alors la liberté n'est plus en péril! Les nations qui veulent être grandes doivent, comme les héros, être élevées à l'école du malheur. Sans doute nous avons eu des revers; mais si au mois de septembre on vous eût dit : la tête du tyran tombera sous le glaive des lois, l'ennemi sera chassé du territoire de la République, cent mille hommes seront à Mayence, nous aurons une armée à Tournai...., vous eussiez vu la liberté triomphante. Hé bien, telle est encore notre position! Nous avons perdu un temps précieux; il faut le réparer. On a cru que la révolution était faite; on a crié aux factieux: hé bien, ce sont ces factieux qui tombent sous les poignards des assassins.

» Et toi, Lepelletier, quand tu périssais victime de ta haine pour les tyrans, on criait aussi que tu étais un factieux ! Il faut sortir de cette léthargie politique. Marseille sait déjà que Paris n'a jamais voulu opprimer la République, n'a jamais voulu que la liberté; Marseille s'est déclarée la montagne de la République : elle se gonflera cette montagne, elle roulera les rochers de la liberté, et les ennemis de la liberté seront écrasés! (Applaudissemens. )

» Je ne veux pas rappeler de fâcheux débats; je ne veux pas faire l'historique des haines dirigées contre les patriotes; je ne dirai qu'un mot.

» Je vous dirai que Roland écrivait à Dumourier ( et c'est ce général qui nous a montré la lettre, à Lacroix et à moi): * il faut vous liguer avec nous pour écraser le parti de Paris, » et surtout ce Danton... » ( Murmures.) Jugez si une imagination frappée au point de tracer de pareils tableaux a dû avoir une grande influence sur toute la République! Mais tirons le rideau sur le passé. Il faut nous réunir; c'est cette réunion qui devrait établir la liberté d'un pôle à l'autre, aux deux tropiques, et sur la ligne de la Convention. Je ne demande pas d'embrassades particulières ; quant à moi je fais serment de mourir pour défendre mon plus cruel ennemi : je demande que ce sentiment sacré enflamme toutes les âmes. Il faut tuer les ennemis intérieurs pour triompher des ennemis extérieurs! Vous deviendrez victimes de vos passions ou de votre ignorance si vous ne sauvez la République. La République ! elle est immortelle ! L'ennemi pourrait bien faire encore quelques progrès; il pourrait prendre encore quelques-unes de nos places; mais il s'y consumerait lui-même. Que nos échecs tournent à notre avantage; que le Français en touchant la terre de son pays, comme le géant de la fable, reprenne de nouvelles forces!

» J'insiste sur ce qui est plus qu'une loi, sur ce que la nécessité vous commande : soyez peuple! que tout homme qui porte encore dans son cœur une étincelle de liberté ne s'éloigne pas du peuple! Nous ne sommes pas ses pères; nous sommes ses enfans: exposons-lui nos besoins et ses ressources; disons-lui qu'il sera inviolable s'il veut être uni. Qu'on se rappelle l'époque mémorable et terrible de la révolution du mois d'août: toutes les passions se croisaient; Paris ne voulait pas sortir de ses nurs. J'ai, moi, car il faut bien quelquefois se citer, j'ai amené le conseil exécutif à se réunir à la mairie avec tous les magistrats du peuple. Le peuple vịt notre réunion; il la seconda, et l'ennemi a été vaincu! Si l'on se réunit, si l'on aime les sociétés populaires, si l'on y assiste malgré ce qu'il peut y avoir en elles de défectueux, car il n'y a rien de parfait sur la terre, la France reprendra sa force, redeviendra victorieuse, et bientôt les despotes se repentiront de ces triomphes éphémères qui n'auront été que plus funestes pour eux ! »>

L'orateur quitte la tribune au bruit d'applaudissemens prolongés, et qui éclatent à la fois dans toutes les parties de la salle. Les membres de l'extrême gauche répètent avec enthousiasme : aux voix, aux voix les propositions de Danton! Le président (Jean Debry) consulte l'Assemblée; il proclame l'adoption de ces propositions: Danton jette deux lignes sur le papier, les remet à un secrétaire, et ce dernier les classe dans les notes qui doivent servir à la rédaction de la séance. Mais que contenaient ces propositions? Danton ne les ayant point reproduites dans une conclusion, beaucoup de membres les avaient oubliées ou mal comprises. Dans la séance du 31, à la lecture du procès-verbal de celle du 27, elles sont entendues distinctement.

que

Lehardy. « Il y a une erreur grave dans ce procès-verbal. Il y est dit la Convention a mis hors de la loi les aristocrates. Elle ne l'a pas fait; elle n'a pas pu le faire: ce serait une atrocité; elle aurait décrété l'assassinat. Cette proposition n'étant pas précise, les meilleurs patriotes se trouveraient sous le couteau des assassins, car on traite d'aristocrates les citoyens qui ont le mieux mérité de la patrie.

>>

Maulde. « La proposition a été décrétée; tout le monde doit se le rappeler : les propositions de Danton ont été adoptées sans exception. Mais je fais une observation; c'est que la Convention, en mettant les contre-révolutionnaires hors de la loi, a seulement voulu que les formes ordinaires ne fussent point suivies dans leur jugement; mais elle n'a pas prétendu que le premier venu pût les égorger.

"

>>

Personne ne demanda la parole pour appuyer la réclamation de Lehardy : il est vrai que c'était au commencement de la séance, et que tous les députés n'étaient pas présens. Satisfaite de l'explication donnée par Maulde, l'Assemblée passa à l'ordre du jour. Voici donc ce décret du 27 mars 1793, décret terrible, affreux, qui dévoua tant de victimes à l'ignoà la cupidité, à l'arbitraire, à tous les calculs, à tou

tes les passions:

« La Convention nationale déclare qu'elle est dans la ferme

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