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imprimer à leur science la marche ascendante des autres branches des connaissances humaines.

Dans sa concision et son apparente profondeur, la célèbre proposition d'Aristote : Anima est forma corporis, est sans doute séduisante, mais si, dans la bouche du philosophe de Stagyre, ces expressions ne sont pas une pure métaphore, nous avouons humblement ne pas comprendre comment une âme immatérielle peut avoir une forme définie et réalisable dans un agrégat organique essentiellement matériel.

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D'ailleurs, ceux-là même qui ont cherché à accréditer l'idée de l'existence d'un règne humain n'ont jamais prétendu que le germe de l'homme se développåt autrement que celui des autres animaux. Le travail de nutrition est au fond du même ordre dans toute l'étendue du monde organisé. Pour être conséquents, les animistes ne peuvent pas s'arrêter à l'homme; ils doivent rapporter à l'action directe d'une âme indépendante le développement des animaux supérieurs et inférieurs, des proto-organismes, des plantes elles-mêmes.

Dans la même page où, à tort selon nous, il déclare qu'on parviendra un jour à réduire à des considérations physico-chimiques toutes les propriétés manifestées dans les phénomènes des êtres vivants, M. C. Bernard n'hésite pas à considérer la vie comme une force spéciale, directrice, commandant à tous les mouvements, à toutes les fonctions, à tous les

actes de l'être organisé. « La vie1, dit-il, a son essence primitive dans la force de développement organique... S'il fallait définir la vie d'un seul mot, qui, en exprimant bien ma pensée, mît en relief le seul caractère qui, suivant moi, distingue nettement la science biologique, je dirais : La vie, c'est la création... Ce qui caractérise la machine vivante, ce n'est pas la nature de ses propriétés physicochimiques, si complexes qu'elles soient, mais bien la création de cette machine qui se développe sous nos yeux dans des conditions qui lui sont propres et d'après une idée définie qui exprime la nature de l'être vivant et l'essence même de la vie... Ce qui est essentiellement du domaine de la vie et qui n'appartient, ni à la chimie, ni à la physique, ni à rien autre chose, c'est l'idée directrice de cette évolution vitale. Dans tout germe vivant, il y a une idée créatrice qui se développe et se manifeste par l'organisation. Pendant toute sa durée, l'être vivant reste sous l'influence de cette même force vitale créatrice, et la mort arrive lorsqu'elle ne peut plus se réaliser. Ici, comme partout, tout dérive de l'idée qui seule crée et dirige... C'est toujours cette même idée vitale qui conserve l'être, en reconstituant les parties vivantes désorganisées par l'exercice ou détruites par les accidents et par les maladies. »

1 Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, page 161.

En faisant intervenir dans les phénomènes de nutrition et de développement de l'être organisé une entité indépendante, qu'il désigne sous les noms divers d'idée définie, d'idée directrice, d'idée créatrice, d'idée vitale, de force vitale créatrice, M. C. Bernard s'est évidemment rangé sous le drapeau du vitalisme. Ajoutons même qu'en définissant la vie, la création, en faisant de son entité indépendante une force créatrice, il a dépassé de bien loin la conception métaphysique des animistes. Dans la doctrine animiste, en effet, l'âme a bien la propriété de modifier la matière, de lui imprimer une forme déterminée, de fabriquer le corps organisé dont elle dirigera ensuite tous les actes; mais personne jusqu'ici n'avait eu la pensée d'accorder, de reconnaître à cette âme formatrice et directrice la puissance de créer quoi que ce soit.

Cette tendance à la réalisation d'une forme déterminée a-t-elle bien toute l'importance que lui attribue l'école vitaliste; ne se manifeste-t-elle pas même dans certains phénomènes du monde inorganique? Nous savons que, dans une dissolution saline placée dans des conditions convenables de repos et d'évaporation lente et régulière, les molécules d'un même sel s'agrégent suivant un plan déterminé, de manière à reproduire fatalement un cristal de forme parfaitement définie et toujours la même. Nous ne voulons pas insister sur ces faits, ni sur les phéno

mènes si nombreux d'affinité élective; mais nous pensons qu'ils sont de nature à faire réfléchir. En tout cas, cette tendance n'existe pas seulement dans le germe, nous la retrouvons dans tout être vivant et répandue dans toutes les parties de l'économie, comme le prouvent les exemples de transplantation, de réparation des os fracturés, de régénération des cordons nerveux dont nous avons déjà parlé, et surtout les expériences de Tremblay et de M. Dugès sur les polypes d'eau douce et autres animaux inférieurs.

D'ailleurs, si cette tendance à l'acquisition d'une forme typique accuse, dans le germe, l'action d'une force indépendante et directrice, il y a nécessité ou d'admettre que cette force est divisible et que chacune de ses fractions conserve tous ses attributs, ou que chaque partie constituante du germe possède en propre une force de même nature. Parmi les expériences qui démontrent, d'une manière incontestable, que chaque partie du germe, même isolée de l'agrégat organique, se développe dans une direction déterminée comme si la séparation n'avait pas été pratiquée, nous nous contenterons de citer, in extenso, la suivante que nous empruntons à M. Vulpian 1.

1

« Sur des larves de grenouille, dit-il, dégagées de

Leçons sur la physiologie générale et comparée du système nerveux, page 296.

leurs enveloppes depuis vingt-quatre heures, je sépare la queue du reste du corps, et je mets dans l'eau les queues ainsi obtenues. Au moment de l'opération, on ne pouvait distinguer aucun des organes profonds faisant partie de la queue. Elle était à peine transparente, et l'on n'apercevait ni l'axe vertébral, ni les masses musculaires; il paraissait n'y avoir aucun vaisseau dans l'enveloppe cutanée, et l'épiderme, couvert de cils vibratiles, contenait une masse de pigment noirâtre qui contribuait à rendre le segment caudal presque complétement opaque. Les quelques éléments cellulaires que l'on voyait audessous de la peau étaient remplis de granulations vitellines. Deux jours après l'opération, la partie axile commence à être reconnaissable; on y distingue déjà confusément les masses musculaires, avec leurs interstices obliques et parallèles. En même temps, la surface de section se cicatrise et bourgeonne quelque peu. Le quatrième jour, les muscles et leurs interstices se dessinent davantage dans la partie axile; les lames natatoires se détachent plus nettement du reste de la queue; la quantité des granulations vitellines diminue, il y a de légers mouvements, spontanés en apparence. Le sixième jour, on voit distinctement les faisceaux musculaires parallèles les uns aux autres, la colonne vertébrale est bien visible, et l'on aperçoit des rudiments de vaisseaux. Le huitième ou le neuvième jour, les vais

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