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te montre un devoir déplacé entre une mère et son enfant. (Elle s'agenouille.)

Cor. Que faites-vous? Vous! à genoux devant moi! devant le fils que vous avez châtié! Que les cailloux du rivage stérile attaquent les étoiles; que les vents mutinés déracinent les cèdres orgueilleux, et les lancent contre l'astre du jour : vous rendez tout possible, ô ma mère, par cet acte d'humiliation!

Vol. N'es-tu pas mon guerrier? C'est moi qui t'ai formé ! -Voici ton image (lui montrant son fils) qui, développée par les années, pourra te ressembler en tout.

Cor. (à son fils.)-Que le dieu des guerriers, d'après l'aveu du puissant Jupiter, imprime la noblesse à tous tes sentiments! que ton cœur devienne invulnérable à la honte ! et puisses-tu dans les combats, debout comme un rocher, affronter les périls, et protéger tous ceux qui le voient.

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Vol.- Eh bien, lui, ta femme, et moi-même, sommes tes suppliants. Cor. Je vous en conjure, ne dites plus rien, ou bien souvenez-vous de ce que je vais vous dire : N'appelez pas refus tout ce que j'ai juré de ne jamais accorder. Ne me demandez pas de renvoyer mes soldats, ou de capituler avec les artisans de Rome... Ne dites pas que je suis dénaturé. Ne cherchez pas à calmer mon courroux par de froides raisons.

Vol. C'est assez, c'est assez ! tu viens de nous dire que tu ne nous accorderais rien; car nous n'avons rien autre chose à te demander que ce que tu nous refuses déjà. Cependant nous demanderons que, si tu rejettes nos prières, le blâme en retombe sur ta dureté. Ainsi, écoute-nous.

Cor.

Aufidius, et vous, Volsques, approchez; car je n'écouterai rien de Rome en secret. Que voulez-vous? Vol.- Quand nous ne dirions rien, ces vêtements lugubres te révèleraient assez quelle vie nous avons menée depuis ton exil. Pense, pense, mon fils, que nous sommes les plus malheureuses femmes de la terre. Ta vue, qui devrait nous faire verser des larmes de joie et nous faire tressaillir de plaisir, nous fait verser des larmes de douleur, et nous fait frissonner de terreur et de peine, en montrant aux yeux d'une mère,

d'une épouse et d'un enfant, un fils, un époux et un père qui déchire les entrailles de sa patrie. Et c'est à nous, pauvres infortunées, que ta haine est surtout fatale. Tu nous prives même de prier les dieux, douceur que le sort laisse toujours aux malheureux, excepté à nous. Et pour qui prierions-nous? Estce pour la patrie, comme c'est notre devoir, et les prier pour ta victoire, comme c'est aussi notre devoir? Hélas! il nous faut perdre ou notre chère patrie, qui nous a nourris, ou toi, qui faisais notre joie dans notre pays. Pour nous, le malheur est égal des deux côtés; car ou il faudra te voir chargé de fers, honteux, et traîné comme un vil esclave le long de nos rues, ou marchant en vainqueur sur les débris fumants de ta patrie, et le front couronné des palmes de la victoire pour avoir bra. vement versé le sang de ta femme et de tes enfants. Quant à moi, mon fils, je ne me propose pas d'attendre l'événement de la fortune, ni le denoùment de cette guerre. Car, si je ne parviens pas à te persuader de montrer une noble clémence aux deux partis plutôt que de chercher la ruine de l'un des deux, pour envahir ta patrie, il te faudra marcher (et sois-en sûr, tu ne le feras pas) sur le sein de ta mère, qui t'a mis au monde.

Virg. — Oui, et sur le mien aussi qui t'a donné cet enfant, pour faire revivre ton nom dans l'avenir.

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L'enfant. Il ne marchera pas sur moi: je me sauverai; puis, quand je serai plus grand, je me battrai.

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Cor. – Il faut, pour ne point être faible comme une femme, ne voir ni un enfant, ni le visage d'une femme. Je suis resté trop longtemps. (Il se lève.) Vol. — Non, ne nous quittes pas ainsi. Ah! sans doute, mon fils, si nous te demandions de sauver les Romains en détruisant les Volsques que tu sers, tu pourrais nous condamner comme des ennemis de ton honneur. Non, notre prière est que tu les réconcilies ensemble, et que les Volsques puissent dire : « Telle >> est la clémence que nous avons montrée ! » les Romains : « Nous l'avons reçue; » et que chacun des deux partis te salue et s'écrie: «Que les Dieux bénissent celui qui nous >> fit cette paix! » Tu sais, mon illustre fils, que le sort de la guerre est incertain, mais ce qui est certain, c'est que, si tu subjugues Rome, le fruit que tu en recueilleras sera un nom honteux et chargé de malédictions; et l'histoire dira : « C'était » un homme noble; mais il a effacé sa noblesse par sa dernière

-

» action : il a détruit son pays; et son nom reste en haine aux » siècles à venir ! » Parle-moi donc, mon fils; tu n'as affecté ce courroux de Phonneur que pour mieux imiter la clémence des dieux, qui ne déchirent que l'air du bruit de leur tonnerre, et ne font éclater leur foudre que sur un chêne. Pourquoi ne me réponds-tu pas ?... Crois-tu qu'il soit honorable pour un noble mortel de se souvenir de l'injure qu'il a reçue? Ma fille, parle-lui... Tes pleurs ne lui font rien ! - Parle-lui donc, mon enfant peut-être que ton enfance le touchera plus que nos raisons. - Il n'est pas, dans le monde entier, un fils plus redevable à sa mère; et cependant il me laisse ici parler comme si j'étais sur des tréteaux!-Tu n'as jamais, de ta vie, témoigné la moindre complaisance pour ta tendre mère; tandis que, comme une pauvre poule qui ne désire pas d'autre poussin, elle t'a élevé pour la guerre, et t'a comblé d'honneurs pendant la paix. Dis que ma requête est injuste, et repousse-moi avec mépris; mais, si elle ne l'est pas, tu manques à ton devoir, et les dieux te puniront de me refuser le respect qui est dû à une mère. Il se détourne... Allons, femmes,- prosternons-nous, et faisons-lui honte de notre abaissement. Sans doute il doit bien plus d'honneur à son surnom de Coriolan que de pitié à nos prières. Prosternons-nous encore pour la dernière fois; puis nous retournerons à Rome pour y mourir avec nos concitoyens. Regarde-nous du moins! Ce jeune enfant qui ne peut exprimer ce qu'il voudrait dire, mais qui tombe à genoux, et qui lève vers toi ses mains pour nous imiter, appuie notre demande de raisons plus fortes que tu n'en as de nous refuser. -Allons, allons-nous-en: cet homme a une Volsque pour mère; sa femme habite Corioles, et son enfant ne lui ressemble que par un pur hasard! - Cependant renvoie-nous donc.- Je ne dis plus rien, jusqu'à ce que je voie notre ville en feu, et alors je parlerai.

Cor. O ma mère ! ma mère! (Il la prend par la main sans parler.) Hélas! qu'avez-vous fait? Regardez ! te ciel s'ouvre; et les dieux, abaissant leurs regards sur nous, sourient de pitié en voyant cette scène contre nature. O ma mère! ma mère ! oh! vous avez remporté une heureuse victoire pour Rome! mais, quant à votre fils, croyez-m'en, oh! croyez-m'en, cette victoire que vous remportez sur lui est bien funeste, si elle ne lui devient pas mortelle!... >>

Shakspeare, en revêtant ce passage des couleurs dramatiques, a suivi fidèlement le texte; il a judicieusement pensé qu'il était assez beau pour pouvoir se passer d'ornements.

Quand l'esprit de la mère et celui du fils sont amenés dans une collision immédiate, celui-ci cède devant Volumnie.

Le caractère fier, hautain et superbe de Coriolan est peint sous des couleurs si vives, si frappantes, que rien ne peut nous donner une idée plus forte de la grandeur réelle et de l'ascendant tout puissant de Volumnie, que la soumission sans bornes du fils à la volonté de sa mère, sa tendresse et son respect plus que filial.

La hauteur aristocratique est un trait principal dans les manières et dans l'âme de Volumnie; son suprême dédain pour les plébéiens, soit qu'il faille les braver ou les flatter, ressemble assez à ce que l'on a entendu de nos jours exprimer par quelques femmes de haute naissance.

On voit que le triomphe du caractère de Volumnie, le plein développement de sa grandeur d'âme, son patriotisme, ses fortes affections et son éloquence sublime sont réservés pour cette dernière scène, où elle plaide pour le salut de Rome, et arrache au courroux de son fils cette paix que les armes de l'Italie et les troupes confédérées n'avaient pu gagner. En se tenant strictement et même littéralement attaché à la vérité historique, Shakspeare a donné une beauté de plus à la scène; le mot fameux que dit Volumnie en commençant: Nous devrions garder le silence et ne pas parler, est presque mot pour mot tiré de Plutarque, avec une grâce d'expression et le charme du mètre qui y sont ajoutés.

Un exemple du grand jugement de Shakspeare, c'est qu'après ce morceau d'éloquence magnifique et touchant qui sauva Rome, Volumnie ne doit plus parler; car elle ne pourrait rien dire qui n'affaiblit l'effet qu'elle a laissé sur l'imagination. Elle s'éloigne donc au milieu des acclamations et des applaudisse

ments.

D. O'SULLIVAN.

ANTOINE ET CLÉOPATRE.

TRAGÉDIE.

Quoiqu'on ne puisse mettre ce drame au premier rang de ceux de Shakspeare, il n'en est pas moins une de ses plus belles pièces historiques, c'est-à-dire une de celles où la poésie devient l'interprète de l'histoire. En effet, cette pièce est remplie de cette force de conception qui le rendait maître du temps et des circonstances. Elle présente un magnifique tableau de l'orgueil romain, de la magnificence orientale, et de la lutte entre l'Orient et l'Occident.

Le caractère de Cléopâtre est un chef-d'œuvre; c'est le triomphe de la volupté, de l'amour du plaisir, et du pouvoir d'en donner. Quel contraste il offre avec Imogène! On serait porté à croire qu'il était presque impossible à la même main de les avoir ainsi tracés tous deux. Cette Cléopâtre est voluptueuse, vaine, orgueilleuse de ses charmes, hautaine, tyrannique et légère. La pompe et l'extravagance somptueuse de la reine d'Égypte paraissent dans toute leur force et tout leur éclat, ainsi que la grandeur d'âme irrégulière de Marc Antoine.

De tous les caractères de femme de Shakspeare, Miranda et Cléopâtre sont les plus étonnants: la première, comme conception poétique, n'a point d'égale; la seconde, comme ouvrage de l'art, est admirable. Si nous pouvions faire une classification régulière de ces caractères, ils formeraient les deux extrêmes de simplicité et de complication.

La description riche et poétique de Cléopâtre naviguant sur le Cydnus paraît préparer le chemin, et presque justifier l'infatuation subséquente d'Antoine, lorsque il abandonne le champ de bataille d'Actium, pour suivre la reine qui s'enfuit :

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