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« Que je vous regarde encore, ô murs dont l'enceinte ren>> ferme ces loups dévorants! Abimez-vous sous la terre, et ne » défendez plus Athènes !... Obéissance! péris dans le cœur >> des enfants! Que les esclaves et les fous arrachent de leurs » siéges les graves sénateurs, et jugent à leur place !... Ban» queroutiers, ne lâchez pas la main, et plutôt que de rendre. » l'argent, tirez vos poignards, et coupez la gorge aux créan-` >>ciers qui vous l'ont confié. Serviteurs, volez avec adresse; > vos graves maîtres sont des brigands à la large main qui pil>> lent au nom des lois... Fils de seize ans, arrache des mains » de ton vieux père sa béquille veloutée, soutien de ses pas >> chancelants, et brise-lui la tête. Piété, crainte, amour des >> dieux, paix, justice, bonne foi, respect domestique, repos >> des nuits, union des concitoyens, éducation, mœurs, religion, >> commerce, rang, lois, usages, bienséances, soyez remplacés » par tous les désordres contraires! >>

Sur l'or.

« Quoi! ce jaune, ce brillant et précieux métal suffirait pour >> rendre le noir blanc, la laideur beauté, le crime justice, la » bassesse noblesse, la vieillesse jeunesse, la lâcheté bravoure. >> Oh! pourquoi, grands dieux, pourquoi cet or peut-il faire » déserter de vos autels vos prêtres et vos plus zélés servi» teurs? Il arrache l'oreiller où le malade encore plein de vie >> repose sa tête. Ce servile métal forme ou rompt les nœuds des » pactes les plus religieux, bénit ce qui fut maudit, fait adorer » la lèpre hideuse. Il place un fripon auprès du sénateur sur » le siége de la justice, lui donne la noblesse, le respect et >> l'approbation publique. >>

Timon à Alcibiade.

« Va, que ton glaive n'en épargne pas un seul; n'aie aucune » pitié du vieillard, malgré ses cheveux blancs; c'est un avare >> usurier; frappe-moi l'épouse hypocrite; rien n'est honnête >> en elle que son vêtement. Que les joues de rose de la jeune » vierge n'adoucissent pas le tranchant de ton épée! »

Timon aux voleurs:

<< Brigands, tenez, voici de l'or; votre profession, c'est la >> scélératesse, exercez-la comme les artisans exercent la leur

» Je veux vous citer partout l'exemple du brigandage. Le so>> leil est un voleur qui, par sa puissante attraction, vole le » vaste Océan; la lune, voleur effronté, vole au soleil la påle » lumière dont elle brille. L'Océan est un autre voleur qui >> fond la lune en larmes salées et les mêle à ses flots. La terre » est un voleur qui ne produit et ne nourrit que par un mé>> lange soustrait au résidu de toutes les substances. Tout est » voleur; les lois dont le joug vous opprime, dont la verge >> vous châtie, sont elles-mêmes, par leur pouvoir tyrannique, >> le plus effréné des brigands. Point d'amitié entre vous; allez, >> volez-vous l'un l'autre ; voilà encore de l'or, égorgez sans » pitié; tous ceux que vous rencontrerez sont des voleurs. » Allez à Athènes, brisez, ouvrez les ateliers, vous ne » pourrez rien voler qu'à des voleurs. »>

A côté de ces invectives de Timon, on ne lira pas sans intérêt la critique spirituelle que Rochester fait des courtisans de Charles II, dans son poëme intitulé: Nothing (Rien), que l'élégant auteur de Sylla et de l'Ermite de la Chaussée-d'Antin, M. de Jouy, a su rendre avec tant de bonheur, malgré les nombreuses difficultés qu'offrait cette traduction, véritable tour de force.

RIEN! toi le frère aîné de tous, même de l'ombre,
Quand toi seul existais, hors d'un monde à venir
Tu régnais, et, du fond de ton royaume sombre,
Tu vis tout commencer, et tu ne peux finir.

L'espace ni le temps n'existant pas encore,
Tu résumais en toi le temps, l'immensité :
Tout à coup quelque chose hors de toi vient d'éclore,
Et du RIEN primitif a detruit l'unité.

Ce quelque chose enfin, cet attribut de l'être,
Dans un monde inconnu s'agite un seul instant;
Mais bientôt dans ton sein on le voit disparaître,
Et retomber sans forme au gouffre du néant.

Cependant un pouvoir supérieur au tien même
Vient arracher la vie au vide de tes mains:
De ton sein infécond sa volonté suprême
Fait sortir l'eau, le feu, les bêtes, les humains.

Tes plus grands ennemis, la forme, la matière,
Te couvrent en naissant d'un immortel affront,
Et, pour comble de maux, la perfide lumière
D'un éclat parricide ose obscurcir ton front.

La forme, la matière, et le temps et l'espace
Ligués avec le corps, ennemi dangereux,
Sans cesse redoublant et d'efforts et d'audace,
Ton paisible royaume est menacé par eux.

Le temps assiste en vain l'ennemi que tu braves;
Dans son vol il détruit ce règne d'un moment,
Et lui-même avec eux replonge tes esclaves
Dans ton gouffre profond où l'horreur les attend.

Ton sein est interdit aux regards du vulgaire :
Les prêtres seuls ont droit, évoquant la clarté,
De chercher à percer le voile du mystère
Où se dérobe au jour la chaste vérité.

Le sage cependant librement a pu dire :

« Quelque chose t'attend; courage! homme de bien! » Tandis que le méchant, que sa frayeur inspire, En toi seul se confie, et dit : « Je ne suis rien ! »>

Que deviendraient sans toi, sublime négative,
Nos pédants, nos docteurs, tant de diseurs de rien,
Si dans tous leurs discours, providence attentive,
Tu ne leur indiquais le but et le moyen.

La chose est ou n'est pas ; que ta bouche prononce.
Mensonge ou vérité, choisis: point de milieu.
Après de longs débats, songe que ta réponse
Ou confirme ou détruit les grands desseins d'un Dieu.

Quand nos hommes d'État sur l'éternel Peut-être
Ont usé les ressorts de leurs petits cerveaux,
En repos sur ton sein ils peuvent reconnaître
Qu'ils ne trouvent qu'en toi le prix de leurs travaux.

Mais ces hommes de rien sont pourtant quelque chose :
Ils siégent au conseil de plus d'un roi chrétien ;
Et le maître imprudent trop souvent se repose
Sur gens dont le meilleur n'est encor bon à rien.

Si pourtant, par hasard, l'un d'eux vaut quelque chose,
Une crainte modeste éloigne un tel soutien ;

Du prince et de l'État il déserte la cause :

Tu triomphes alors; c'est le règne de Rien.

Que de formes tu prends, et sous combien de masques

Se couvre de tes fils la fière nullité;

Partout les sots en robe, en frac, en mitre, en casques
Abusent à l'envi de ton autorité.

Comme on admire en toi la franchise française,

Le savoir islandais, la batave valeur,

L'esprit danois, surtout la politique anglaise,

Que son habileté soutient à ta hauteur !

Dévoûment d'un flatteur, d'un grand reconnaissance,
Serments de courtisan et promesses de roi,
Ont pour prix ta valeur, pour garant ta puissance,
Et, bercés sur ton sein, ils finissent en toi.

E. JOUY,

De l'Académie française.

CORIOLAN.

TRAGÉDIE.

Coriolan, vainqueur des Volsques, a vu ses services méconnus par Rome; forcé, par la haine du peuple et la jalousie des tribuns, d'abandonner une ville qui lui devait tant de triomphes, il va s'asseoir au foyer de son ennemi, de Tullus, et lui demander un asile et des armes pour se venger. Les Volsques,

qu'il avait tant de fois vaincus, épousent son ressentiment. Il marche à leur tête contre Rome, et, aussi heureux contre la patrie qu'il l'avait été en combattant pour elle, Coriolan, après avoir ravagé le territoire romain, paraît en vainqueur sous les murs de la ville ingrate. A son aspect tout tremble, tout s'humilie; le sénat, le peuple, les prêtres des dieux. Vaines prières! Coriolan n'est fidèle qu'au souvenir de l'outrage qu'il a reçu ; il vient demander compte à chaque citoyen de l'injure que chaque citoyen lui a faite; la voix même de la nature, la vue de ses enfants, les larmes de son épouse, n'ont pu l'attendrir; il ne se laisse fléchir que par les prières de sa mère; c'est Volumnie qui sauve Rome en perdant Coriolan.

Les desseins de Coriolan de retirer au peuple non-seulement l'administration de l'État, mais encore le pouvoir d'obtenir justice, ont à peine échoué que Volumnie s'écrie avec fureur: Ceci est très-naturel : oui, pour une mère, d'avoir plus d'inquiétude pour son fils que pour une ville entière. Mais, par un sentiment contraire, le soin d'un État ne saurait être confié avec sécurité à l'affection maternelle, ni aux affections domestiques.

L'un des traits les plus naturels de cette pièce, c'est la diversité d'intérêt que la mère et la femme de Coriolan prennent à ses succès; l'une craint pour son honneur, l'autre pour sa vie.

Volumnie.- -« Je crois entendre le tambour de votre époux; je le vois traîner Aufidius par les cheveux, tandis que les Volsques fuient devant lui comme des enfants fuieraient devant un ours. Il me semble d'ici l'entendre s'écrier : « Suivez-moi donc, >> poltrons; vous fùtes engendrés par la crainte, quoique vous » soyez nés dans Rome! » Essuyant de ses mains couvertes de fer son front ensanglanté, il court à l'ennemi, comme un moissonneur que l'on prend à la tàche, et qui est menacé de perdre son salaire, s'il ne coupe en un jour tous les épis. Virgilie. Son front ensanglanté!... O Jupiter, point de sang!

Vol.Taisez-vous, insensée, il sied bien mieux à l'homme que l'or sur ses trophées ! »

Lorsque Volumnie entend les trompettes qui annoncent le retour de son fils, elle s'écrie:

« Ce sont les avant-coureurs de Marcius; le bruit marche

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