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ce qu'on lui prescrirait, et la condamnant au surplus, par grace et par modération, passer le reste de ses jours en prison, au pain de douleur et à l'eau d'angoisse.

L'Oyseleur s'approcha de Jeanne d'Arc, et lui dit : « Jehanne, vous avés fait une bonne journée, si Dieu plaist, et avez saulvé vostre asme. » Jeanne demanda où on allait la conduire, et si elle ne serait pas remise au pouvoir de l'Eglise, puisque c'était elle qui la condamnait. Comme personne ne prenait la parole pour lui répondre : « Or çà, entre vous, dit-elle, gens d'Eglise, menez moy en vos prisons, et que je ne soye plus en la main des Anglais. » Plusieurs docteurs ayant requis l'évêque de Beauvais de faire droit à cette réclamation, qui était d'une justice évidente, il ne jugea cependant pas à propos d'y déférer, et se contenta de dire aux appariteurs, qui attendaient un ordre : « Menez la où vous l'avés prinse » ; et la question étant décidée de cette manière, Jeanne d'Arc fut reconduite au château de Rouen.

Le vice-inquisiteur ne tarda point à l'y

suivre. Après une courte exhortation de ne point retomber daus les erreurs que l'Eglise venait de lui pardonner, il lui enjoignit de reprendre les vêtemens de son sexe, ainsi qu'on le lui avait ordonné, et qu'elle avait consenti à le faire. Jeanne s'y soumit sans difficulté, ainsi qu'à ne plus porter ses cheveux coupés à la manière des hommes. On lui avait apporté des habits de femme, et elle les revêtit en effet. On n'emporta pas ses habits d'homme, mais on les renferma dans un sac qu'on laissa près d'elle. Cette observation est importante, parce qu'elle jette un jour bien grand et bien affreux sur ce qui ne tarda point à arriver, et devint le complément de l'atrocité la plus révoltante qui ait jamais été commise par des hommes.

Jeanne d'Arc avait été, ensuite de cette opération, laissée à la garde de cinq soldats anglais, ainsi qu'il avait été pratiqué dès le moment de son arrivée à Rouen. Trois, pendant la nuit, devaient rester en dedans de la chambre, et deux dehors. « Elle estait, dit un peu plus tard un témoin oculaire,

couchée, ferrée par les jambes de deux. paires de fers à chaisne, et attachée moult (très) estroitement d'une chaisne traversante par les piedz de son lict, tenant à une grosse pièce de boys de longueur de cinq à six piedz, et fermant à clef, par quoy ne pouvoit mouvoir de la place. » Tout cela ́n'était rien moins que conforme aux promesses que lui avait faites Erard sur l'échafaud, pour obtenir son abjuration. On voit qu'après avoir signé la cédule, elle était traitée comme avant de paraître devant ses juges.

Tout à coup, le dimanche 27 mai, il fut publié que Jeanne d'Arc avait, au mépris de ses promesses expresses et des termes de la cédule qu'elle avait signée, repris ses habits d'homme (1).

(1) Cette cédule était ainsi conçue : « Toute personne qui a erré et mespris en la Foy xhrestpienne, et depuis, par la grace de Dieu, est retournée en lumière de vérité, et à l'union de notre mère saincte Eglise, se doibt moult bien garder que l'en

nemi d'enfer ne le reboute et fasse rencheoir en erreur et en dampnation. Pour ceste cause, je,

Il paraît, en rapprochant les différens récits les uns des autres, et en établissant

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Jehanne, communément appelée la Pucelle, misérable pecheresse, après que j'ai congneu le las d'erreur auquel je estois tenue, et que, par la grace de Dieu, suis retournée à nostre mère saincte Eglise, affin que on voye que non pas faintement, mais de bon cueur et de bonne voulenté, suis retournée à icelle je confesse que j'ai tres-griesvement pechié en faigniant mensongeusement avoir eu revelations et apparitions de par Dieu ; par les anges et saincte Katherine et saincte Marguerite; en séduisant les ames, en créant follement et legierement; en faisant superstitieuses divinations ; en blasphemant Dieu, ses saincts et ses sainctes; en trespassant la loi divine, la Saincte Escripture, les droits canons; en portant habit dissolu, difforme et deshonneste, contre la décence de nature, et cheveux rongnez en ront en guise d'homme, contre toute honnesteté du sexe de femme en portant aussi armeures, par grant présomption, et desirant crueusement (cruellement) effusion de sang humain ; en disant que toutes ces choses j'ay faites par le commandement de Dieu, des anges, et des sainctes dessus dictes, et que en ces choses j'ay bien fait et n'ay point mespris; en mesprisant Dieu et ses sacrements; en faisant séditions; en ydolastrant par adourer maulyais esprits

entre eux une juste correspondance, que Jeanne d'Arc avait été contrainte à cette

et invocant iceulx. Confesse aussi que j'ai été scismatique, et par plusieurs manières ay erré en la Foy. Lesquelz crimes et erreurs, de bon cueur et sans fiction, je, de la grace de Dieu nostre Seigneur, retournée à voie de vérité par la saincte doctrine et par le bon conseil de vous; et des docteurs et maistres que m'avez envoyés, abjure, deteste, regnie, et du tout y renonce et m'en despars, et sur toutes ces choses devant dictes me soubmeciz à la correction, disposition, amendement et totale détermination de nostre mère saincte Eglise et de vostre bonne justice. Aussi je jure, voue et prometz à monseigneur saint Pierre, prince des Apôtres, à nostre saint père le pape de Rome, son vicaire, et à ses successeurs, et à vous messeigneurs, reverend père en Dieu monseigneur l'evesque de Beauvais, et religieuse personne maistre Jehan Lemaistre, vicaire de monseigneur l'inquisiteur de la Foi, comme à mes juges, que jamais, par quelque exhortement ou autre manière, ne retourneray aux erreurs devant dicts, desquelz il a pleu à nostre Seigneur moy oster et delivrer; mais à tousjours demourray en l'union de nostre mère saincte Eglise, et à l'obéissance de nostre sainct père le pape de Rome. Et cecy je dis, afferme et jure par Dieu le Tout-Puissant et par ses saincts Evangiles. Et

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