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qu'en écrivant le contraire de ce que nous eussions écrit, vous et moi, a fait une merveilleuse trouvaille. Il raconte la fête des Rois chez M. Grévy, et nous montre M. de Freycinet s'apprêtant à découper le gâteau : « M. de Freycinet, dit-il, avec cette gravité qu'il apporte même aux choses sérieuses... Cette simple phrase, remarquez-le, est un puits de profondeur, puisqu'on y suppose couramment admise une pensée qui passe elle-même pour surprenante et profonde, à savoir que c'est aux choses futiles que nous apportons le plus de gravité... N'ai-je pas raison de conclure que le délire de Grosclaude est le délire d'un sage?

PRONOSTICS

POUR L'ANNÉE 1887.

On ne m'y reprendra plus, à dresser des inven taires de fin d'année. Pour deux ou trois mots de remerciements, j'ai reçu vingt lettres de réclamations. Il paraît que j'ai commis d'énormes oublis, et que l'année littéraire a été bien meilleure et plus fertile en œuvres originales que je n'avais cru. Je me réjouis de m'être trompé si fort. Mon excuse est dans ma sincérité. Je n'avais fait d'ailleurs, je l'avoue, aucune recherche bibliographique. J'ai laissé remonter d'eux-mêmes dans ma mémoire les livres dont j'avais reçu une impression un peu forte, et je les ai notés à mesure : voilà tout. Mais j'ai eu grand soin de ne donner pour infaillibles ni mes souvenirs ni mes jugements.

Comme je n'apporte aujourd'hui que des prévisions, j'y pourrais mettre plus d'assurance. Je voudrais, en effet, après avoir dit ce que nous a

donné la littérature pendant la dernière année, chercher ce qu'elle nous donnera dans le cours de l'année qui commence. Or cette entreprise est infinimeut moins dangereuse. Car, si je me trompe, on ne le saura que dans douze mois, et personne ne se souviendra alors de ce que j'aurai prédit. Je puis donc annoncer les livres qui se feront, avec la même sécurité que Mathieu Laensberg le temps qu'il fera. Néanmoins, par un excès de timidité et de scrupule, je n'ai point voulu prédire l'avenir moi-même, quoique rien ne soit plus aisé, et j'ai interrogé une somnambule extralucide, comme elles le sont toutes, dont je ne fais que résumer ici les réponses.

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Les littérateurs feront de plus en plus en 1887 ce qu'ils faisaient en 1886.

M. Emile Zola publiera un roman de sept cents pages intitulé la Terre. Il y aura dans ce roman, comme dans les autres, une Bête, qui sera la terre; et, sur cette bête, vivront des bêtes, qui seront les paysans. Il y aura un paysage d'hiver, un paysage de printemps, un paysage d'été et un paysage d'automne, chacun de vingt à trente pages. Tous les travaux des champs y seront décrits, et le Manuel du parfait laboureur y passera tout entier.

La seule passion campagnarde étant, comme on

sait, l'amour de la terre, vous prévoyez le sujet. Co sera l'histoire d'un vieux paysan qui fera le partage de ses biens à ses enfants; ceux-ci, trouvant qu'il dure trop, le pousseront dans le feu à la dernière page. Je pense qu'il y aura aussi une fille-mère qui jettera son petit dans la mare. Et je suis à peu près sûr qu'il y aura une idiote, ou un idiot, peut-être deux, ou trois. Et tous ces sauvages seront grandioses. Et le livre sera épique et pessimiste. Il faut qu'il le soit, M. Zola n'en peut mais. Et le roman commencera ainsi :

« Le soleil tombait d'aplomb sur les labours... L'odeur « forte de la terre fraîchement écorchée se mêlait aux exha«laisons des corps en sueur... La grande fille, chatouillée << par la bonne chaleur, riait vaguement, s'attardait, ses « seins crevant son corsage... N... de D...! fit l'homme; « arriveras-tu, s... pe? »

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L'optimisme de M. Renan ira croissant. Ce sage publiera un nouveau drame philosophique intitulé le Dernier Pape. Cela se passera au vingtième siècle. Le pape Pie Xi annoncera par une suprême encyclique (Gaudeamus, fratres) à ce qui restera du monde chrétien qu'il remet ses pouvoirs aux mains de l'Académie des sciences de Berlin. Il croira le temps venu de la solution oligarchique du problème de l'univers.

A ce moment, l'élite des êtres intelligents, maî

tresse des plus importants secrets de la réalité commencera de gouverner le monde par les puissants moyens d'action dont elle disposera, et d'y faire régner, par la terreur, le plus de raison et de bonheur possible. Cette élite n'aura pas de femmes; la femme restera la récompense des humbles, pour qu'ils aient un motif de vivre... Mais ce délicieux rêve oligarchique réalisé, les sages ne pourront bientôt plus supporter leur propre sagesse, leur propre toute-puissance, ni leur solitude.

Le désir de la femme les mordra au cœur ; et la femme, introduite dans la place, les trahira, livrera au peuple les secrets des savants et les machines par lesquelles ils terrorisaient la multitude. Ou bien ces machines rateront entre les mains de leurs inventeurs. Et ce sera un beau gâchis, et tout sera à recommencer. Et vite il faudra une religion nouvelle. Ou bien l'ancien Pape reprendra la tiare et déclarera apocryphe l'encyclique Gaudeamus, fratres. Et M. Renan se consolera: car « la raison a le temps pour elle, voilà sa force. Elle traversera des successions de pourriture et de renaissance. Les essais sont incalculables... »

Et le commencement du drame sera:

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a Le pape dans son laboratoire, au Vatican. Les « fourneaux, les alambics et les cornues cachent pres« que entièrement les fresques peintes par Raphaël. Il « rêve et murmure à mi-voix: Dieu n'était pas : il « est tout près d'être... Mais, qui sait si la vérité

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