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mais de s'en moquer sans qu'ils s'en doutent, et sans descendre à la satire ni à la bouffonnerie, lesquelles sont indignes du sage par trop de passion ou d'expansion. Tout ce qu'il se permet, c'est de mystifier les autres, discrètement. Etre seul à savoir que l'on raille, c'est le dernier raffinement de la raillerie. Mystifications, le Théâtre de Clara Gazul, la Guzla, la Vénus d'Ille, Lokis, etc.

Autre plaisir. Mérimée aime à voir se développer librement, bonne ou mauvaise, la bête humaine; et quand elle est belle, il n'est pas éloigné de lui croire tout permis. Il goûte par-dessus tout les époques et les pays de vie ardente, de passions fortes et intactes: le xvr siècle, la Corse des maquis, l'Espagne picaresque. Et ce sceptique a écrit le plus beau récit de bataille qui soit : L'enlèvement de la redoute. Il put y avoir, dans la sérénité de ce pessimisme et dans la pudeur avec laquelle il se dissimule, quelque affectation; qui le nie ? Cette attitude n'en a que plus de prix. Elle est l'effort d'une volonté très hautaine et d'un très délicat orgueil. Observer (comme fit Mérimée) les règles de la plus élégante honnêteté, et cela sans croire à rien d'absolu en morale, c'est une manière de protestation contre la réalité injuste; et c'est une protestation contre la réalité douloureuse que de ne pas daigner se plaindre devant les autres. Mérimée s'est montré, vis-à-vis de l'univers et de la cause première, quelle qu'elle soit, poli, retenu et dédaigneux, comme il était

avec les hommes dans un salon. Sa philosophie toute négative s'est tournée en dandysme moral. C'est peut-être là sa plus essentielle originalité.

A-t-il beaucoup souffert pour en arriver là ? Il nous dit, se peignant sous le nom de Saint-Clair : « Il était né avec un cœur tendre et aimant ; mais, à un âge où l'on prend trop facilement des impressions qui durent toute la vie, sa sensibilité trop expansive lui avait attiré les railleries de ses camarades. Il était fier, ambitieux; il tenait à l'opinion comme y tiennent les enfants. Dès lors il se fit une étude de cacher tous les dehors de ce qu'il regardait comme une faiblesse déshonorante. Il atteignit son but, mais sa victoire lui coûta cher. Il put celer aux autres les émotions de son âme trop tendre; mais, les renfermant en lui-même, il se les rendit cent fois plus cruelles. Dans le monde, il obtint la triste réputation d'insensible et d'insouciant; et dans la solitude, son imagination inquiète lui créait des tourments d'autant plus affreux qu'il n'aurait voulu en confier le secret à personne. »

Le croirons-nous ? Si nous le croyons, l'œuvre de Mérimée n'en sera pas moins distinguée pour les raisons que j'ai dites, et l'homme en sera plus aimable. Croyons-le donc.

BARBEY D'AUREVILLY

Vous vous rappelez les propos mélancoliques de Fantasio sur un monsieur qui passe: «< Je suis sûr que cet homme-là a dans la tête un millier d'idées qui me sont absolument étrangères; son essence lui est particulière. Hélas! tout ce que les hommes se disent entre eux se ressemble : les idées qu'ils échangent sont presque toujours les mêmes dans toutes leurs conversations; mais dans l'intérieur de toutes ces machines isolées quels replis, quels compartiments secrets! C'est tout un monde. que chacun porte en lui, un monde ignoré qui naît et qui meurt en silence. Quelles solitudes que ces corps humains! >>

et vous

Nous avons tous éprouvé cela. L'humanité est comme une mêlée de masques. Pourtant en avez fait sûrement l'expérience,

parmi ces

enveloppes mortelles, il y en a chez qui nous sentons ou croyons sentir une âme, une personne peut

être parce que cette âme a quelque ressemblance intime avec la nôtre. Mais, par contre, ne vous est-il pas arrivé, en présence de tel homme obscur ou célèbre, de sentir que vous êtes bien réellement devant un masque impénétrable dont l'intérieur ne vous sera jamais révélé ? J'ai eu souvent cette impression gènante. Il y a des hommes que j'ai rencontrés et à qui j'ai parlé vingt fois, et qui, j'en suis certain, me resteront toujours incompréhensibles. Il me semble qu'ils n'ont pas de centre, pas de « moi », qu'ils ne sont qu'un « lieu » où se succèdent des phénomènes physiologiques et intellectuels. Je perçois chez eux des séries de pensées, d'attitudes, de gestes; mais, quand ils me parlent, ce n'est point une personne qui me répond, c'est quelque merveilleux automate. Je pourrai les admirer; ils me communiqueront peutêtre ou me suggéreront des idées, des sentiments que je n'aurais pas eus sans eux; mais j'ai, du premier coup, la certitude que je ne les aimerai jamais, que je n'aurai jamais avec eux aucune intimité, aucun abandon, et qu'ils seront éternellement pour moi des étrangers.

Ce que je dis là de certains hommes, je le dis aussi de certains écrivains.

M. Barbey d'Aurevilly m'étonne... Et puis... il m'étonne encore. On me cite de lui des mots d'un esprit surprenant, d'un tour héroïque, qui joignent l'éclat de l'image à l'imprévu de l'idée. On me dit qu'il parle toujours comme cela, et qu'il traverse la

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