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condamnés pour vol, non pour meurtre. On remarque précisément l'inverse chez les criminels de l'autre classe, les grands assassins exceptés, chez lesquels il y a absence de tout sens moral. Un condamné pour meurtre ou blessures ayant pour mobile la vengeance, la jalousie, l'honneur, par suite d'un tempérament passionné ou d'une excitation alcoolique, etc., déclare dédaigneusement qu'il n'a jamais volé. Il peut, en effet, posséder le sentiment de probité même à un degré supérieur; être non seulement fidèle, mais dévoué à ses maîtres, à ses bienfaiteurs ; être tout à fait incapable de la moindre tromperie.

Cela prouve que dans les degrés inférieurs de la criminalité, il ne s'agit plus de l'absence complète du sens moral, mais seulement de l'absence ou de la faiblesse de l'un ou de l'autre des sentiments altruistes élémentaires

pitié ou la probité.

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Résumons-nous : Il existe une classe de criminels qui ont des anomalies psychiques et, très fréquemment, des anomalies anatomiques, non pathologiques, mais ayant un caractère dégénératif ou régressif et quelquefois atypique, dont plusieurs traits prouvent l'arrêt du développement moral, quoique leur faculté d'idéation soit normale; qui ont certains instincts et certaines convoitises comparables à ceux des sauvages et des enfants; qui enfin sont dépourvus de tout sentiment altruiste, et, partant, agissent uniquement sous l'empire de leurs désirs. Ce sont ceux qui commettent des assassinats pour des motifs exclusivement égoïstes, sans aucune influence de préjugés, sans aucune complicité indirecte du milieu social. Leur anomalie étant absolument congénitale, la société n'a aucun

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devoir envers eux; elle n'a envers elle-même que celui de supprimer des êtres qu'aucun lien de sympathie ne peut lui rattacher, et qui, étant mus uniquement par l'égoïsme, incapables d'adaptation, représentent un danger continu pour tous les membres de l'association.

Le sens moral paraît, plus ou moins faible et imparfait, dans les deux autres classes, caractérisées l'une par une mesure insuffisante du sentiment de pitié, l'autre par l'absence du sentiment de probité. Les premiers n'ayant pas une répugnance bien forte pour les actions cruelles, peuvent en commettre sous l'empire de préjugés sociaux, politiques, religieux, ou de ceux de leur caste ou de leur classe; ou encore ils peuvent y être poussés par un tempérament passionné ou par l'excitation alcoolique. Leur anomalie morale peut n'être qu'insignifiante, lorsque l'action criminelle n'est qu'une réaction contre un acte qui blesse lui-même les sentiments altruistes. La dernière classe est composée de gens chez qui le sentiment de probité n'existe pas, soit par défaut atavistique (c'est le cas le plus rare), soit par hérédité directe, jointe aux exemples reçus pendant la première enfance.

Les données nous manquent pour décider si cette imperfection morale est toujours un effet de dégénération héréditaire. Il se peut qu'un milieu délétère étouffe le sentiment de probité ou plutôt en empêche le développement dans le jeune âge. Ce qui est sûr, c'est que l'instinct, une fois formé, persiste toute la vie, et qu'on ne peut plus espérer corriger par l'enseignement ce vice moral, lorsque le caractère se trouve déjà organisé, c'est-à-dire lorsque le sujet a passé l'âge de l'adolescence. Ce que l'on peut essayer, souvent avec bon espoir de réussite, c'est de

supprimer les causes directement déterminantes, soit en modifiant le milieu, soit en enlevant l'individu de son milieu même, pour le transporter dans un milieu où il pourra trouver de telles conditions d'existences que l'activite honnête lui soit plus facile et plus profitable que l'activité malfaisante. Voilà les idées que nous essaierons de développer dans les chapitres suivants. Nous croyons cependant avoir assez justifié l'anomalie psychologique du criminel, tout en laissant de côté cette partie des données de l'anthropologie sur lesquelles le doute règne encore '.

1. La classification des criminels distingués en assassins, violents (ou énergiques selon M. Van Hamel) et voleurs (ou névrasthéniques selon M. Bénédikt) a été admise par le deuxième congrès d'Anthropologie crimi nelle (Paris, 1889). En effet, dans sa dernière séance, le Congrès a approuvé à l'unanimité ma proposition de nommer une commission chargée d'examiner 100 criminels, dont le tiers d'assassins, le tiers de voleurs et le tiers de violents, et de les comparer à 100 personnes ayant une réputation d'honnêteté établie. Ont été nommés membres de cette commission: MM. Manouvrier, Lacassagne, Bénédikt, Bertillon, Lombroso, Magnan, Semal. Elle devra préparer son rapport pour le futur Congrès de Bruxelles (1892).

CHAPITRE II

INFLUENCE DE L'ÉDUCATION SUR LES INSTINCTS

CRIMINELS

I

Il est facile après la lecture des chapitres précédents, d'entrevoir les conclusions que nous tirerons de notre théorie, mais que nous réserverons pour la troisième partie de cet ouvrage; car avant d'en arriver à ces conclusions, il nous faut discuter, à différents points de vue, les idées que nous venons d'exprimer. On peut accepter, en effet, le principe de l'anomalie psychologique du criminel, tout en soutenant que cette anomalie n'est pas irréductible. Plusieurs philosophes croient à la possibilité de modifier les sentiments moraux par l'éducation ou par les influences du milieu, et à la possibilité de transformer le milieu social moyennant le pouvoir de l'État. Deux questions s'ensuivent, l'une psychologique, l'autre sociale et surtout économique, et elles méritent toutes les deux un examen approfondi.

Nous allons commencer par la question de l'influence

que peut avoir l'éducation sur les penchants des crimi- tes, nels, afin de pouvoir apprécier ce qu'il y a de vrai et d'acceptable dans la théorie pénale dite correctionaliste.

Le problème de l'éducation serait, en effet, de la plus grande importance pour la science pénale, si, par des enseignements, il était possible de transformer le caractère de l'individu déjà sorti de l'enfance.

Malheureusement, il parait démontré que l'éducation ne représente qu'une de ces influences agissantes dans les premières années de la vie, et qui, comme l'hérédité et la tradition, contribuent à former le caractère. Celui-ci étant fixé, comme la physionomie au physique, il reste ce qu'il est pendant toute la vie. Et même est-il douteux qu'un instinct moral absent, puisse être créé par l'éducation dans la période de la première enfance. D'abord, lorsqu'il s'agit de l'enfance, le mot éducation ne doit pas être pris dans le sens pédagogique; il signifie plutôt tout un ensemble d'influences extérieures, toute une série de scènes que l'enfant voit se dérouler continuellement, et qui lui impriment des habitudes morales, en lui apprenant expérimentalement, et presque inconsciemment, quelle est la conduite à suivre dans les différents cas. Ce sont les exemples de la famille, bien plus que les enseignements, qui agissent sur son esprit et sur son cœur. Mais, tout en donnant au mot éducation une signification si étendue, on n'est pas sûr de son effet, ou du moins, cet effet, on ne saurait le mesurer aucunement'.

1. ‹ Pour que l'éducation ait toute son influence, il faut qu'aucun vice de conformation, aucun état pathologique, aucune condition héréditaire ayant duré pendant une longue série de générations n'aient rendu certains

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