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nités les plus révoltantes. » — « Cette œuvre dépasse tout ce que M. Zola a écrit, depuis vingt ans, en recherches libidineuses, en immondes grossièretés. » — « Il n'y a pas une page de la Terre où ne s'étalent des souillures et des turpitudes. « Le véritable nom de ce

roman n'est pas la Terre, mais la Tinelle. » — « On dirait d'une immense vautrée dans les derniers bas-fonds de l'ignoble. »> - « On est à se demander si cette obsession de la chose salaude et basse, cette hantise du malpropre n'est pas chez l'écrivain naturaliste un commencement de folie maniaque, un éréthisme stercoraire, une hystérie cérébrale. » — « Jadis, ce vomissement, cette déjection eussent relevé de la police correctionnelle : ils ne relèvent plus que du mépris public. Arrêtons la kyrielle anathématisante: elle suffit pour montrer quel accueil ont fait à la Terre ceux qui jugent des choses de l'esprit dans les feuilles parisiennes les plus répandues. Notez que je partage absolument leurs indignations. On me permettra seulement d'en tenir la sincérité pour un peu douteuse. Et, de même que, au bas de la fameuse protestation des Cinq Disciples contre le Maître, le public a été tout abasourdi de voir la signature de l'auteur de Charlot s'amuse; de même je ne puis m'empêcher de sourire, en songeant que tous ces critiques austères qui se voilent aujourd'hui la face devant les bestialités de la Terre trouvaient naguère l'Assommoir de point en point sublime, faisaient à peine une ou deux réserves sur Nana, n'apercevaient aucune des « saletés » de Pot-Bouille, et s'extasiaient devant les tableaux cyniques de Germinal. Leur conversion in extremis me paraît donc passablement sujette à caution. Ici, du moins, au Polybiblion, nous n'avons pas attendu la publication de la Terre pour dénoncer au lecteur les obscénités voulues et les monomanies ordurières de M.Zola. Depuis la Conquête de Plassans, depuis Thérèse Raquin, nous avons suivi le romancier en faisant chaque fois remarquer qu'il descendait un cran plus bas dans la fosse ignominieuse, à ce point que ses premières productions, comparées aux dernières, nous semblent presque des idylles. Maintenant, c'est fini. Le fond de l'égout est atteint. M. Zola ne saurait aller plus loin. Il en avait jusque-là, comme dit la chanson il en a désormais par-dessus la tête; on ne le voit plus. D'où provient cette chute, peut-être irrémédiable? De la conception absolument fausse que M. Zola s'est faite du Réalisme. Au lieu d'étudier le Réel pour en extraire l'Idéal, comme autrefois Moïse frappa le rocher du désert pour en tirer une source vive, l'auteur de la Terre n'a vu dans le Réalisme que l'exhibition de l'ignoble, du sale, du bestial et du laid. Or, faire vrai n'implique pas qu'il faille faire immonde. Le Réalisme, entendu dans le sens de la vérité dans l'Art, peut aboutir à d'autres résultats. Il y a aujourd'hui en Espagne une brillante école réaliste et cette école sait produire des œuvres qui ne dégoûtent JANVIER 1888. T. LII. 2.

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personne, et le chef de cette école est une catholique ardente, Mmo PardoBazan.

Je reviens à la Terre. Il faut rendre justice à l'éditeur, M. Georges Charpentier, qu'il ne vole pas l'acheteur et lui en donne pour beaucoup plus que son argent. La Terre forme un volume de 520 pages compactes, renfermant la matière d'au moins trois romans imprimés dans les conditions ordinaires. Soixante personnages se meuvent dans cette œuvre touffue et surabondante. Aussi n'essaierai-je pas de l'analyser en détails. Une vue d'ensemble est seule possible. Voici : Malgré les exemples d'ingratitude dont il est le témoin, le vieux Fouan, paysan beauceron dé modeste aisance, s'obstine à abandonner de son vivant ses quelques terres à ses trois enfants: Fanny (épouse Delhomme), Buteau et Jésus-Christ. Ce dernier, l'aîné des trois, n'est jamais désigné autrement que par ce sobriquet sacrilège et blasphématoire. Nous y reviendrons. Fouan et ses enfants se rendent chez le notaire Baillehache, et, malgré les avertissements du tabellion, le partage a lieu. Dans l'acte, il est parfaitement stipulé que le vieux Fouan sera nourri et entretenu par ses héritiers jusqu'à sa mort. Mais la stipulation est un simple papier dont personne n'a cure, et alors commence la vie misérable du paysan Fouan, nouvelle victime de nos lois sur le partage et les successions. Sous ce rapport, la Terre contiendrait un très utile enseignement s'il n'était pas noyé dans.... le reste. Quoi qu'il en soit, Fouan va d'abord vivre chez Delhomme, son gendre. On l'accueille en apparence convenablement; au fond, on le considère comme une bouche inutile, on lui reproche ce qu'il mange, on l'humilie à chaque instant. Le vieillard n'y tient plus : il quitte les Delhomme et vient habiter la «turne » de son fils aîné. Celui-ci l'associe à sa vie crapuleuse, lui carotte ses petites épargnes et cherche à lui dérober un titre de rente de trente francs dont le pauvre diable a caché à ses enfants la possession. Du coup, Fouan court chez Buteau. C'est de mal en pis. Buteau et sa femme volent au vieux son titre et le mettent à la porte. Chassé de partout, repoussé par sa sœur la Grande, un type d'Harpagon femelle des plus extraordinaires, mourant de faim, trempé de pluie, souillé de boue, il couche dans les étables, sur des tas de fumier. Enfin, n'y tenant plus, il revient mourir chez les Buteau qui l'achèvent, en l'étouffant avec un traversin. A côté de cette triste histoire, s'en déroulent deux autres plus tristes encore. L'une a trait à un riche propriétaire, M. Hourdequin, qui, veuf de sa femme, vit maritalement avec sa servante, gredine fieffée, et meurt d'apoplectiques débauches tandis qu'un valet jaloux met le feu à sa ferme. L'autre est plus compliquée Jean Macquart, ancien soldat, de la famille des Rougon-Macquart, est domestique chez Hourdequin. Il fait la cour à une belle-sœur de Buteau, nommée Françoise, sur laquelle celui-ci a

des projets intéressés et incestueux. Le mariage de Jean et de Françoise s'effectue; mais en même temps éclate entre Buteau et Macquart une de ces haines de cannibales qui se terminent par des coups de couteau. Françoise est assassinée par son beau-frère, et, sans le dénoncer, Jean quitte le pays pour reprendre du service. L'infâme Buteau jouit en paix du fruit de ses forfaits. Il y a aussi le ménage Charles qui s'est enrichi en tenant à Chartres une maison de prostitution. Il y a le maître d'école Lequeux, l'envie personnifiée; il y a le garde-champêtre Bécu, qui ne se dégrise jamais; il y a l'adjoint Maqueron, le cabaretier Lengaigne, le curé Godard, très charitable, mais qui grogne sans cesse et dit ses messes dans l'emportement; il y a la Trouille, Nénesse, Delphin et vingt autres morveux ou morveuses, corrompus jusqu'à la moelle des os. Il y a la Grande, qui doit avoir une pièce de cent sous à la place du cœur. Il y a Hilarion et Palmyre, l'inceste dans le gâtisme. Que n'y a-t-il pas encore? Mais, dans tout ce monde. abject, cherchez bien, vous n'y trouverez pas (sauf, par certains côtés, l'abbé Godard), un seul être vraiment sympathique. On sent que l'auteur de la Terre haît le paysan. Il en fait une caricature odieuse; il ne voit en lui qu'une brute en proie au double instinct de la rapacité et de la luxure. Tartufes, débauchés, féroces, ivrognes, puants, tels sont les Beaucerons de M. Zola. Dans cette mâle et forte vie du rude travail, au grand air libre, fortifiant et sain, il n'a découvert que corruption abjecte, cupidité scélérate, bassesse et lâcheté. Ce n'est pas tout: voulant accumuler en un de ses personnages toutes les malpropretés qui traînent dans les recueils scatologiques, toutes les goujateries que son imagination a pu inventer, il ne l'appelle, cette fois, ni Mes-Bottes, ni Lantier, ni Bordenave, ni Trublot. Il ose lui donner le nom divin, le nom sacré, le nom rédempteur. Sur ce point, M. Zola est sans excuse, à moins, comme d'aucuns le croient, qu'il n'ait pas eu conscience de son audacieuse impiété. En résumé, les paysans de la Terre auraient dû être des paysans de la Beauce. Ce ne sont que des paysans de Zola, c'est-à-dire des êtres absolument faux. Lui, le grand documentaire, a compulsé la Gazette des Tribunaux. Il a étiqueté tous les vices, tous les crimes condamnés par les cours d'assises. Il en a fait un dossier qu'il a mis sur le compte de Buteau, de la Trouille, de Hourdequin, d'Hilarion, de Lise, de Palmyre, de la Cognette, de l'aîné Fouan. Puis il s'est écrié : « Voilà le paysan! » Certes, les mœurs rurales, depuis quelque temps, ont singulièrement baissé. Mais, Dieu merci les exceptions, si nombreuses qu'elles soient, ne sont point encore devenues la règle, et je voudrais bien savoir en quel endroit, même dans cette Beauce si dépravée d'après M. Zola, pullulent les petits-fils qui violent leur grand-mère, les frères et les sœurs qui vivent dans la promiscuité des bêtes, les érotomanes et les proxénètes,

les valets pour qui moisson, fenaison, vendanges ne sont que des occasions de se livrer à tous les débordements. Non, tout cela n'appartient pas à la réalité. Les travaux harassants auxquels le paysan se livre ne sauraient s'accommoder des vices qu'on lui prête. D'où il suit que les goujats luxurieux de M. Zola sont, à notre avis, aussi imaginaires que les bergers enrubannés de Florian.

Tout n'est pourtant pas mauvais dans la Terre, et certains épisodes renferment parfois une leçon. Ainsi, la scène de la veillée, dans laquelle les habitants de Roques écoutent avidement les déclamations socialistes d'un vagabond parisien, nommé Canon. Dégagée de ses gros mots, cette scène a du vrai. Le jour où le paysan ne croira plus à rien, il prêtera facilement l'oreille aux insanités des apôtres de la liquidation sociale. Ce qui est encore vrai, ce sont les doléances de maître Hourdequin à son député Chédeville sur les souffrances de l'agriculture ruinée par le libre-échange. Ce qui est non moins observé, ce sont les basses jalousies de clocher, le petit enviant le gros, l'adjoint essayant de démolir le maire. Quant à l'odyssée du vieux Fouan, sorte de roi Lear des champs, elle est navrante et je ne sais rien de plus terrible contre notre païen code civil que les derniers jours de ce forçat du sillon, succombant sous le double écrasement de l'avarice et de l'ingratitude des siens. M. Zola, dont le talent n'est plus discutable, bien que, sous ce rapport, la Terre s'offre comme son plus faible ouvrage, a peint d'une façon vraiment épique les misères et la mort du vieillard abandonné. Avec la même vigueur de pinceau, il nous donne en pied le portrait de la Grande, personnification superbe de la vieillesse thésauriseuse, froide, sobre, dure et sans cœur. Louons aussi quelques pages où passe le sentiment profond de la campagne : telles les grandes semailles d'automne, chapitre par où le roman s'ouvre et qui rappelle « le faire large et puissant » de François Millet; telle encore, la description d'un orage et de ses irréparables désolations; telle enfin, la peinture d'une pluie tiède, lente, sans fin, pénétrant jusqu'aux entrailles la Beauce pouilleuse et sèche et faisant pousser les blés verts. Ces pages, trop rares, sont du bon Zola. Et puis?... 2 et 3. Et puis, quoique plus obscène et plus crû, je trouve M. Zola moins immoral que MM. René Maizeroy et Catulle Mendès. Ceux qui connaissent la valeur des mots comprendront la portée de ce jugement en apparence contradictoire. Il existe, en effet, une école sournoise dont ces deux écrivains sont les chefs et qui prend toutes sortes de précautions littéraires, des raffinements de style étranges et câlins, des tournures quasi scientifiques, pour étaler, quoi? Tout ce que les dépravations de l'esprit et de la chair peuvent imaginer de plus sadique et de plus pervers. La Première Maîtresse, de M. Catulle Mendès, l'Adorée et les Deux Amics de M. Maizeroy sont les spécimens

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les plus tristes de ce naturalisme troublant, félin, névrosiaque et morbide, qui ne décrit de l'amour que les assouvissements, quand ce ne sont pas les monstrueuses aberrations. Les Deux Amies, par exemple, qu'est-ce autre chose que le manuel, parfumé à la poudre de riz, d'un vice contre nature qui ne saurait être nommé ici, mais dont on peut lire la définition dans les traités de physiologie et de médecine légale. Et dans l'Adorée, qui a la prétention de nous montrer les dangers et les souffrances de la jalousie conjugale, que trouve-t-on ? Une étude hardie, vraie, fouillée, des douleurs, des amertumes, des déceptions qu'engendre ce sentiment farouche? Non : l'auteur ne nous donne que des scènes d'alcôve et ne se plaît à analyser que des prurits d'érotisme. « Au lieu d'un Othello, nous n'avons qu'un Sganarelle écœurant et lascif. » Quant à la Première Maîtresse, « Dieu en préserve vos fils!» comme dit le Thomas Vireloque, de Gavarni. Il s'agit d'une abominable goule à qui le jour on donnerait le prix de modestie, la couronne de rosière, le laurier de la vertu, et qui, la nuit, se transforme en une avide Messaline, en une féroce Marguerite de Bourgogne, tuant tous les jeunes gens qu'elle attire. En ce moment, sa proie est un collégien qui s'émancipe pour la première fois. Elle ne tue pas précisément Evelin Gerbier, mais à quel point elle le dégrade, elle l'avilit, vous le devinez sans peine. Ce qu'il y a d'inconcevable, c'est que, dans une préface aux allures bibliques, M. Mendès fait des réserves morales; c'est qu'une moitié de son livre est employée à protester contre les infamies qu'il étale avec une délectation systématique dans l'autre moitié. Il a lui-même d'ailleurs si bien compris l'horrible répugnance que provoqueraient les innommables amours d'Honorine d'Arlemont et d'Évelin Gerbier, qu'il fait un jour fuir celui-ci, en compagnie d'une troupe de joyeux comédiens, un peu cousins de ceux du Roman comique, de Scarron, et du Capitaine Fracasse, de Théophile Gautier. Dans l'intervalle, se développe une gracieuse idylle qui aurait dù sauver Évelin. Mais la goule l'attire encore, et il retourne à son vomissement. Il y retourne même vingt ans après, marié, père de famille, et alors que l'exécrable femme, condamnée pour avoir assassiné sa sœur, revient de prison. Brûlons du sucre sur tout ce fumier, et n'en parlons plus.

4. Je n'hésite pas non plus à ranger M. Paul Bourget parmi les romanciers pervers. Entendons-nous! Sa perversité, malgré certaines complaisances descriptives, malgré des avances faites aux curiosités malsaines, ne s'attarde pas, comme celle de MM. Maizeroy et Mendès, dans l'exposé savant et compliqué des lubricités. Elle consiste plutôt dans le scepticisme désolant et l'énervante sensualité qui se dégagent de presque tous les romans de l'écrivain, depuis Cruelle Enigme et Crime d'amour jusqu'au dernier qui vient de paraître et qui a pour

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