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bien qu'il cherche à les assaisonner de quelques plaisanteries; mais celles-ci ne portent pas, soit qu'en réalité elles manquent de sel, soit que la traduction n'ait pas su les rendre intelligibles aux lecteurs français. Les derniers chapitres sont consacrés à une curieuse description des grandes chutes du fleuve Orange, dont le photographe a pris des vues nombreuses fort bien reproduites par les gravures, en général excellentes. Enfin, dans un appendice, on trouve des renseignements détaillés sur la faune du Kalahari. Cet ouvrage, dans son ensemble, n'est pas sans valeur, mais le style en est heurté; de plus, on y remarque un scepticisme religieux très prononcé et des peintures de mœurs trop réalistes pour la jeunesse.

22.

M. l'abbé Vigneron n'est pas un débutant; nous lui devons déjà plusieurs livres excellents écrits d'un style vif, simple et enjoué. Cette fois, c'est un voyage de santé qu'il fait dans l'Amérique du Nord: son médecin lui a recommandé l'air de la mer, et il en profite pour traverser l'Atlantique; son récit est amusant, à la portée de tous, instructif et même édifiant à l'occasion. D'humeur accommodante, M. l'abbé Vigneron trouve plaisir et profit à tout, même à la traversée; il est vrai que l'aller et le retour s'effectuent sur de beaux paquebots transatlantiques, en bonne et joyeuse compagnie. Aussitôt débarqué à New-York, l'aimable écrivain fait la tournée classique les chutes du Niagara avec pointe sur Montréal, Baltimore, Philadelphie, Washington. Chemin faisant, il observe avec intérêt, et sans parti-pris, les mœurs locales, sourit des ridicules, se montre indulgent aux travers et ne marchande pas son admiration aux qualités du peuple yankee : «< il a, dit-il, ses défauts et ses vices, c'est vrai, mais il est religieux, respectueux de l'autorité, absolument libéral, travailleur énergique et infatigable, patriote ardent. » Pour bien faire comprendre les deux aspects de ce caractère sérieux et original à la fois, il cite la belle proclamation du président Cleveland à l'occasion du Thanksgiving day, ou jour d'action de grâces à Dieu, et le discours humoristique contre l'intempérance, prononcé par un avocat qui se fait de son apostolat cent cinquante mille francs de rente, et boit plus de wiskey qu'aucun de ses auditeurs. Bien entendu, M. l'abbé Vigneron n'a garde de passer sous silence la magnifique efflorescence du catholicisme aux ÉtatsUnis; déjà le cinquième de la population est catholique, en 1900, ce sera le tiers; peut-être trouvera-t-on que l'auteur pousse un peu trop loin les développements statistiques sur les clergés et les œuvres pies des divers diocèses; mais on ne se plaindra pas des détails très intéressants qu'il donne sur les méthodes d'enseignement dans les écoles, et sur le troisième concile national tenu à Baltimore sous la présidence de l'éminent cardinal Gibbons. En somme, c'est là un livre amusant par la bonne humeur et la sincérité des impressions, instructif et édi

fiant, qui se recommande également à toutes les catégories de lec

teurs.

23. M. Jules Gros ne s'est pas contenté de publier dans la Bibliothèque coloniale et de voyages d'A. Picard et Kaan, un livre sur les origines de la conquête du Tonkin; il a enrichi encore cette collection d'un volume sur la Guyane. On se rappelle les mésaventures de l'auteur comme président de la république de Counani; ce n'est pas cependant que l'idée d'établir un gouvernement indépendant, mais composé d'éléments français, sur les territoires contestés depuis fort longtemps entre le Brésil et la France, fût mauvaise en elle-même ; le malheur est que ce gouvernement bien intentionné n'ait pas su se faire prendre au sérieux. En tous cas, la distribution de décorations d'un état hypothétique, par un président in partibus infidelium, est tombée à propos pour jeter une note comique au milieu des scandales écœurants dans lesquels nous nous débattons encore.

M. J. Gros ne se borne pas à décrire la Guyane française ; il se laisse aller avec complaisance à dépeindre, par la même occasion, le fameux territoire contesté, et il ne manque pas d'en faire une véritable terre promise; c'est bien naturel de la part d'un quasi-souverain. Aussi, s'attache-t-il à réhabiliter les Guyanes dont on a dit tant de mal. Sans doute, depuis un siècle et demi, toutes les tentatives de colonisation ont misérablement échoué, du moins sur le territoire français; on en a accusé le climat, c'est une calomnie; les causes de ces échecs multipliés sont l'incapacité des autorités, l'installation défectueuse des pénitenciers, la brusque abolition de l'esclavage, et, en dernier lieu, la fièvre de l'or, qui a fait abandonner les exploitations agricoles. Il y a du vrai dans ces affirmations de l'auteur; toutefois, les médecins de la marine qui ont résidé en Guyane sont tous d'avis que les Européens peuvent y vivre, mais à la condition de ne point y travailler la terre; il convient de remarquer qu'à côté de notre colonie languissante, la Guyane hollandaise et l'Amazonie brésilienne prospèrent dans les mêmes conditions climatériques.

M. Jules Gros n'est pas hostile à la religion; il condamne même la mesure odieuse et impolitique de l'expulsion des jésuites par le gouvernement de Louis XV qui, en détruisant des établissements florissants fondés par eux dans l'Amérique du Sud, a fait reculer la civilisation; comme, d'ailleurs, on ne trouve dans son livre aucun passage contraire à la morale la plus scrupuleuse, et que les descriptions pittoresques et exactes y abondent, on peut le recommander aux lecteurs de tout âge et de toutes classes.

24.

C'est encore du territoire contesté entre le Brésil et la France qu'il s'agit dans l'ouvrage de M. Coudreau. Le voyageur, professeur au collège de Cayenne, avait été chargé d'une mission officielle

ayant pour but de hâter la conclusion d'un conflit diplomatique qui n'était pas sans danger pour le maintien des bonnes relations entre les deux nations. Pour bien se rendre compte de la situation, il parcourut les vastes régions s'étendant au nord du fleuve des Amazones, pénétra dans des forêts et des savanes qu'aucun Européen n'avait encore visitées et vécut même de la vie primitive des Indiens qu'on y rencontre à l'état sauvage. M. Coudreau se déclare émerveillé des richesses que recèlent ces solitudes; il y a là des plaines d'une colonisation facile: les forêts donnent en abondance le caoutchouc, le cacao, la noix du Brésil, trois produits qui sont déjà en Amazonie l'objet d'un commerce important; les prairies sont propres à l'élevage des bestiaux et offrent sur les terrains boisés l'avantage de la salubrité. Il y a d'ailleurs urgence à trancher enfin un différend qui dure depuis deux cents ans; la province brésilienne de l'Amazonie, mécontente de l'abandon où la laisse l'administration de Rio-Janeiro, tend à s'affranchir et à se constituer en État indépendant; dans ces circonstances, il importe que la France fasse cesser au plus tôt toute cause de mésintelligence avec des voisins dont elle a tout intérêt à se ménager l'amitié. Les Français, taxés par certains de leurs rivaux d'inaptitude à la colonisation, sont au contraire considérés en Amazonie comme les meilleurs colons et y jouissent d'une estime particulière; mais, tant que la question du territoire contesté n'aura pas été réglée, ils seront l'objet d'une défiance bien naturelle de la part des Brésiliens qui redoutent leur influence croissante. C'est pourquoi l'auteur insiste pour qu'il soit nommé de part et d'autre deux commissions d'études qui combineraient leurs travaux et partageraient le différend; au besoin, on le ferait trancher par un arbitre. C'est en désespoir de cause que M. Coudreau, n'ayant pu faire partager ses idées par le gouvernement français, avait imaginé d'offrir à M. J. Gros la présidence d'une république indépendante formée du territoire contesté. Ce livre est intéressant et bien écrit, mais les sentiments religieux de l'auteur laissent à désirer; il va jusqu'à insinuer que les missions catholiques du haut Amazone ne sont que des établissements de commerce et des écoles de dépravation.

25. On sait la part importante prise par l'immigration française dans le rapide développement économique de la République argentine; elle rend particulièrement intéressantes pour nous les publications qui s'y rapportent. L'étude qu'en a faite M. Émile Daireaux en deux volumes compacts est une des plus complètes qui aient encore paru. L'auteur connaît le pays à fond, y ayant exercé pendant dix ans la profession d'avocat, et s'y étant marié; aussi son livre est-il des plus importants par l'abondance des informations et la compétence des appréciations; il se recommande, en outre, par une réelle valeur litté

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raire. M. Daireaux dépeint avec une remarquable intensité de coloris la vie dans les Pampas, dans les petites villes de l'intérieur et dans la capitale Buenos-Ayres, l'une des cités les plus actives et les plus riches de l'Amérique du Sud. Évidemment, on ne peut lui demander de se montrer sévère pour les institutions d'une nation qui lui a été si hospitalière, mais l'exposé très détaillé qu'il en donne laisse l'impression que ce n'est pas encore là qu'il faut chercher l'idéal de la stabilité et de la sécurité; il nous montre les jeunes Argentins, à peine sortis du collège, se précipitant avec une ardeur exubérante à l'assaut des fonctions publiques dont ils éloignent les hommes mûrs et expérimentés; il en résulte des habitudes de turbulence très préjudiciables à la marche des affaires; telle est la cause des révolutions si fréquentes dans les républiques sud-américaines. A la vérité, l'auteur nous assure que ces perturbations politiques ne produisent de l'effet qu'à distance et qu'en réalité elles ne nuisent pas à la prospérité publique; l'herbe n'en pousse pas moins dans les savanes, et les troupeaux ne s'en accroissent pas moins rapidement. Nous ne pouvons qu'approuver ses réflexions sur les funestes conséquences de la loi française qui soumet au service militaire les jeunes gens nés à l'étranger de parents français; cette mesure, facilement éludée, pousse les réfractaires à se dénationaliser. Les Français se montrent, d'ailleurs, bons colonisateurs; mais ils manquent de capitaux pour lutter contre leurs concurrents anglais. M. Daireaux estime que les droits protecteurs établis en France sur l'importation des viandes d'Amérique sont illusoires et inutiles; de longtemps, les boeufs et les moutons de la République argentine ne pourront faire une concurrence sérieuse à la production nationale, d'ailleurs insuffisante; ce sont les intermédiaires qui, chez nous, ruinent à la fois les producteurs et les consommateurs. Ces théories économiques, qu'il est permis de ne pas approuver, sont exposées avec une grande clarté et appuyées sur des arguments tout au moins fort spécieux. L'esprit démocratique qui déborde dans tous les États de l'Amérique a nécessairement déteint sur les idées de l'auteur; malheureusement, en religion, cette influence du milieu ne paraît pas avoir été heureuse. Le seul reproche qu'il croie devoir faire à la constitution de la République argentine, c'est d'avoir maintenu la validité exclusive du mariage religieux; il s'efforce d'en faire ressortir certaines conséquences qu'il juge absurdes. Il prétend d'ailleurs que l'influence du clergé n'est pas aussi puissante qu'on l'a dit sur la population, et notamment sur les femmes, mais il constate avec regret le développement des établissements religieux d'instruction et la formation dans le pays d'un parti clérical. En parlant des anciennes missions des Jésuites sur le Haut Parana et le Haut Paraguay, il ne peut nier leur ancienne prospérité, ni que l'expulsion de ces religieux ait

été suivie de la ruine complète de ces contrées; mais il se refuse à voir dans l'une la cause de l'autre, et prétend que ces colonies modèles étaient vouées quand même à une décadence irrémédiable; nous n'avons pas besoin de faire ressortir la mauvaise foi de cette théorie. En somme, l'ouvrage de M. Daireaux est des plus intéressants; il représente une somme d'observations et d'études considérable; la lecture en est très attachante et instructive; deux belles cartes aident à suivre les développements et les excursions de l'auteur; mais l'esprit qui l'anime ne permet pas de le recommander pour la jeunesse.

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26. C'est toujours avec un vif plaisir que nous retrouvons M. Cotteau, l'intrépide touriste, pour qui le globe terrestre n'a plus de secrets. Déjà, en quatre beaux volumes, il nous a dépeint les deux Amériques, la Sibérie, le Japon, la Chine, l'Indo-Chine, l'Inde et Ceylan. Cette fois, il nous promène à travers l'Océan Pacifique. Une rapide traversée à bord d'un transport de l'État le mène d'abord à Singapour, d'où il fait une courte excursion à Bornéo; là il observe avec intérêt les procédés très simples de la colonisation dans la principauté indépendante de Serawak. Il se joint ensuite à deux naturalistes français envoyés en mission dans le détroit de la Sonde pour y étudier les effets de la terrible éruption de Krakatau. Il y prend, paraît-il, un goût prononcé pour les volcans et en escalade plusieurs dans l'île de Java; la nature pittoresque et opulente de cette ile lui inspire un véritable enthousiasme. De Batavia il se rend en Australie sur un paquebot anglais, où il se livre sur les passagers et les émigrants à de piquantes études de mœurs. Après les cités florissantes de Sydney et de Melbourne, après les riches campagnes de la Tasmanie, la NouvelleCalédonie et Nouméa, sa triste capitale, produisent tout d'abord sur lui une pénible impression qu'adoucit quelque peu une excursion le long des côtes de l'île. Aux Nouvelles-Hébrides, il constate la lutte soutenue, au profit de la France, par les missionnaires catholiques contre l'influence protestante et anglaise, deux mots synonymes, comme il le dit avec raison. Cet archipel lui paraît intéressant, et il estime que son annexion à la France est désirable. Malheureusement, depuis son voyage, la diplomatie anglaise a su nous imposer à nouveau un traité qui ajourne indéfiniment cette éventualité. A Tahiti, M. Cotteau, comme tant d'autres voyageurs, subit le charme enivrant d'une nature et d'un climat enchanteurs et il s'attarderait volontiers dans les délices de cette Capoue océanienne. Mais le charme est rompu lorsque, dans une école indigène qu'il visite, il entend faire une dictée sur les droits féodaux et les abus de l'ancien régime! Pour quitter Tahiti, il lui fallut prendre passage sur un voilier appartenant à une compagnie anglaise, naviguant sous pavillon américain et commandé par un Allemand. La traversée de Papeiti à San-Francisco ne dura pas

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