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<< Suivant Tacite, le peuple germain s'est conservé pur de toute fusion avec d'autres races (p. 33). » M. Ave-Lallemant, dans la Police en Allemagne, atténue singulièrement les déductions qu'il tire luimême de cette unité, en avouant bientôt « qu'il s'est formé en Allemagne une race de l'Europe centrale qui n'est pas encore arrivée à sa conformation définitive et ne possède point encore un crâne spécial (p. 37). » Il n'est pas nécessaire de recourir au céphalomètre pour reconnaître qu'il n'y a pas d'unité en Allemagne au point de vue ethnologique: il suffit d'ouvrir les yeux et les oreilles. Voici, d'ailleurs, quelles seraient les tendances principales de cette race, non encore conformée définitivement : : « Recherche de la liberté de conscience; recherche de la destruction des castes (?); recherche du summum de la liberté individuelle dans la communauté élargie par des conventions (ibid). » La race allemande, selon l'auteur, n'est pas encore parvenue à réaliser lesdites tendances qui sont naturellement supérieures aux tendances des autres races même « définitivement conformées. » En outre, cette race privilégiée pourrait bien être absorbée, avec le romanisme, par l'élément slave (p. 71). Je ne comprends plus; mais si nous demandons à M. Ave-Lallemant comment il se fait que l'Allemagne n'ait pas réalisé ce qu'il nous disait tout à l'heure, et qu'elle soit exposée à l'absorption, il répond sans hésiter et à satiété que la faute en est à l'Église et à la France. Le prêtre a empoisonné l'intelligence (p. 43), et l'exemple de la France a causé tous les maux : l'Allemagne a été éblouie successivement par la grandeur de Louis XIV et par le génie de Napoléon. Si je me sentais aussi docile à l'éblouissement, je ne m'en vanterais pas. Enfin la Prusse vint et la première en Allemagne (p. 76 et 91)..., mais il faut quitter ces hauteurs tant soit peu vertigineuses pour parler de la police.

Voici quelle était l'action de la police, sous les influences de l'Eglise et de la France, à une époque que l'auteur ne précise pas clairement : « La police s'était réservé le droit exclusif de permettre, de conclure, ou de rompre les mariages, de fixer l'âge, de se prononcer sur la convenance des unions... elle ordonnait ou défendait l'allaitement maternel, interdisait le patinage ou la valse aux femmes enceintes, le port des corsets, l'emploi du fer à friser; elle avait la surveillance de l'éducation des enfants » (p. 128). Avez-vous appris qu'il ait jamais existé rien d'approchant à Rome ou à Paris, d'où venait tout le mal? Cette hypertrophie policière serait-elle donc une chose allemande?

La partie instructive du livre de M. Ave-Lallemant consiste dans les copieux extraits d'un livre publié en 1808 par le comte de Solden, qui tenta alors sans succès de ramener dans une bonne voie la police dévoyée de son pays. Solden pose à l'action de cette administration

des limites généralement justes: il veut que la police soit responsable, que le citoyen puisse toujours appeler de ses décisions soit à l'administration occurrente, soit devant un tribunal. En un mot, il distingue soigneusement le rôle de la police de celui de l'État, auquel cependant il me semble qu'il incline à attribuer plus d'attributions que je ne voudrais lui en concéder (pp. 107 à 138); mais on ne peut pas demander à un ancien fonctionnaire prussien de ne pas être quelque peu statolâtre.

En ce qui concerne la police des mœurs, M. Ave-Lallemant expose non plus les idées de Solden, mais les siennes propres. Il développe des théories physiologiques, embryogéniques, pornologiques, éthiques; i entre dans des détails qui pourront intéresser les spécialistes, mais dont l'analyse même et les conclusions ne peuvent être convenablement présentées aux lectrices du Polybiblion.

Je ne terminerai pas sans mentionner que l'auteur, au milieu de ses jugements chaotiques, a vu juste en signalant l'influence funeste du droit romain (p. 141), et en faisant ressortir que le génie national allemand se désintéressa bien vite de l'idée d'un « Empire saint et romain. » L'Empire restauré de nos jours est absolument étranger et hostile à cette sublime conception du moyen âge. Guillaume Ior s'intitule « empereur allemand. » Son Empire est chose purement allemande. A. D'AVRIL.

Les Cris de Paris, types et physionomies d'autrefois, par VICTOR FOUR-
NEL. Ouvrage accompagné de 70 grav. Paris, Firmin-Didot, 1887, gr. in-8
de 223 p.
Prix 1 fr. 50.

Pourquoi la maison Didot n'a-t-elle pas fait un livre d'amateur de ce mince volume rempli de gravures anciennes intercalées dans le texte et fort bien exécutées, où M. Victor Fournel, qui connaît si bien son « vieux Paris, » nous parle une fois de plus de la grande ville, objet de ses longues et érudites recherches. Il eût été digne, par la façon dont le sujet est traité, par le luxe de l'illustration, d'être présenté au public sous une forme plus parfaite. Quoi qu'il en soit, on le feuilletera avec plaisir, et on y trouvera d'intéressants détails. Les Cris de Paris! c'est toute une odyssée. Voici les marchands d'eau-de-vie : « A la bonne eau-de-vie, pour réjouir le cœur! » Voici les laitières : « Ça tôt le pot, nourrices! » Voici les marchandes de poisson, voici tous les métiers de la rue, avec leurs cris entrecroisés : « Battez vos femmes, rossez vos habits pour un sou ! » crient les marchands de joncs. Voici les crieurs attitrés : les crieurs de vin » avec leur riche costume, les «< clocheteurs des trépassés » qui leur succèdent, et, comme dit Boileau: Pour honorer les morts font mourir les vivants.

Croirait-on qu'on criait les gazettes en pleine rue et que, dans tous

les quartiers de Paris, il pleuvait des « gazetiers, » offrant non seulement la Gazette de France, mais des plaquettes, des caricatures et des pamphlets? Les mendiants apportaient aussi leur note aiguë et discordante; or «ils grouillaient dans les rues comme les insectes sur l'herbe des champs. » On n'a nulle idée du vacarme assourdissant qui, jour et nuit, retentissait aux oreilles du Parisien. Ceux qui ont aujourd'hui cinquante à soixante ans en savent quelque chose. M. Victor Fournel ne nous parle pas seulement ici des Cris de Paris. Son chapitre II est intitulé: Types et Personnages célèbres des rues de Paris. Ici nous allons du XVIe au XIXe siècle, et la moisson est aussi curieuse qu'abondante. Enfin un troisième chapitre est consacré aux Chanteurs des rues. G. DE B.

Histoire générale de la Champagne et de la Brie, depuis les temps les plus reculés jusqu'à la division de la province en départements, par MAURICE POINSIGNON. Paris, A. Picard, 1885-1886, 3 vol. in-8 de VIII-475, 548 et 679 p. Prix: 24 fr.

Lorsque M. Poinsignon entreprit la composition de l'important travail qu'il a consacré à la Champagne et à la Brie, il avait certainement sous les yeux l'Histoire des comtes de Champagne due à la « plume bénédictine » de M. d'Arbois de Jubainville. Il l'a prise pour modèle et a voulu écrire un ouvrage plus étendu embrassant toute l'histoire du comté de Champagne, avant et après sa réunion à la Couronne. Pour retracer les principaux événements dont la Champagne indépendante a été le théâtre, il n'avait qu'à résumer l'ouvrage de son devancier, et c'est ce qu'il a fait. Son œuvre propre et entièrement originale ne commence donc, à proprement parler, qu'au XIIIe siècle. Avant de l'examiner, exprimons d'abord le regret que l'auteur n'ait pas donné suite au projet, qu'il avait formé, de dresser, après la préface, une liste des sources imprimées ou manuscrites qui ont été utilisées dans la rédaction. Personne n'aurait songé à voir là « un appareil un peu pédantesque, » et l'on eût pu excuser la concision de certaines notes, véritablement trop incomplètes. Renvoyer (I, p. 360, note 3) au Journal d'un Bourgeois de Paris, sans indication d'édition ni de page, est par trop vague; de même, indiquer (I, p. 361, note 3) comme source les archives de Reims, est parfaitement inutile, et nous eussions été aussi bien renseigné si l'on n'avait rien mis du tout. Les renvois sont donc insuffisants; ajoutons qu'ils sont trop rares. Il arrive parfois que l'on rencontre au milieu de la rédaction des citations entre guillemets dont l'origine n'est pas mentionnée; l'auteur nous a ainsi donné la peine de deviner que la moitié de la page 374 du tome I est un extrait, d'une véracité douteuse, de la Chronique de Richemont de Guillaume Gruel. Enfin, puisque nous avons abordé la question des sources, disons que

M. Poinsignon semble avoir un peu préféré les sources imprimées aux sources manuscrites. Évidemment, lorsqu'on écrit l'histoire d'une province, on ne peut négliger les monographies, qui renferment parfois des renseignements précieux et épargnent de longues recherches; mais il est toujours prudent de vérifier soi-même sur les chartes. M. Poinsignon, qui en publie un certain nombre à la fin de chacun des deux premiers volumes de son histoire, l'a fait dans une certaine mesure; mais il n'a certainement pas pris dans les archives de Champagne tout ce qu'elles auraient pu lui donner.

Nous avons été frappé aussi de la disproportion qui existe dans l'étendue des différentes parties de l'ouvrage. Toute l'histoire de la Champagne, depuis les origines jusqu'à la fin du règne de Louis XI, tient dans un seul des trois volumes que nous analysons. Cette période était pourtant bien intéressante à étudier. M. Poinsignon a été fort heureux d'utiliser pour le xive et le xve siècles les nombreuses chroniques de cette époque. Mais il n'est plus permis de citer, dans un ouvrage de l'importance de celui-ci, Froissart et Mathieu d'Escouchy d'après les éditions de Buchon et de Godefroy. En recourant à des textes soigneusement annotés on évite de tomber dans des erreurs parfois difficiles à reconnaître. Dans ce premier volume, il y a, à notre avis, trop de digressions sur des questions n'intéressant pas directement la Champagne, et ce manque de mesure est d'autant plus regrettable que M. Poinsignon se laisse entraîner à reproduire des appréciations douteuses soit sur le caractère de Charles VII, que le Bourgeois de Paris juge avec trop de partialité pour qu'on puisse admettre sans réserve ses opinions, soit sur la fidélité et les talents militaires et diplomatiques du connétable de Richemont, qui, comme on sait, reçut du roi le gouvernement de la Champagne. Après avoir exposé les événements militaires qui se sont passés dans cette province pendant la guerre de Cent ans, l'auteur consacre un chapitre entier à l'état intérieur de la Champagne sous Charles VII et étudie les réformes militaires, financières, judiciaires et ecclésiastiques opérées sous son règne.

Plus nous avançons vers l'époque moderne, plus les détails deviennent abondants. La lutte entre Louis XI et Charles le Téméraire ramena la guerre dans la province. Mais pourquoi nous parler ici de la bataille de Montlhéry, de la captivité de Louis XI à Péronne, d'une création de foires à Caen? Sans revenir sur ce point, nous indiquerons les grandes divisions du reste de l'ouvrage qui embrassent chacune un ou plusieurs règnes. M. Poinsignon expose successivement l'état de la Champagne jusqu'à l'avènement de François II, puis à l'époque des guerres de religion, et sous la monarchie absolue (depuis le règne de Louis XIII jusqu'à la Révolution). Ces différentes parties sont elles-mêmes subdi

visées en plusieurs chapitres. Ceux qui nous ont le plus vivement intéressés, on comprendra aisément pour quelle raison, ont trait à l'état intérieur de la Champagne pendant les différentes périodes déterminées par l'auteur; c'est la partie véritablement neuve du livre. On y trouve de curieux détails sur la vie municipale des cités champenoises, sur leur industrie et leur commerce, sur leurs collèges, leurs institutions politiques, administratives et judiciaires, enfin sur le mouvement intellectuel et littéraire. Dans plusieurs chapitres du tome III, M. Poinsignon a écrit une véritable histoire de l'instruction publique en Champagne; il nous donne des notices biographiques sur les artistes et les savants illustres de la province, des renseignements précieux sur la restauration des études dans les écoles primaires et les collèges, enfin sur la situation des maîtres d'école et sur les règlements qu'ils étaient chargés de faire observer. L'instruction n'était alors ni laïque, ni gratuite, mais elle était déjà obligatoire; l'auteur mentionne, en effet, une déclaration royale du 13 décembre 1698, qui ordonnait aux familles d'envoyer les enfants à l'école jusqu'à l'âge de quatorze ans, et il était interdit de les laisser « glaner et ramasser du bois » avant quinze ans. M. Poinsignon, après s'être occupé des Sociétés littéraires florissantes à la fin du XVIe siècle, nous décrit l'état social de la province vers la même époque, puis arrive aux préliminaires de la Révolution, c'est-à-dire à l'élection des députés aux États généraux de 1789. L'ouvrage se termine peu après cette date.

Nous n'avons pu donner qu'un bien faible aperçu de l'important travail de M. Poinsignon. Le principal reproche que nous lui avons adressé est d'avoir adopté un cadre trop vaste; il eût fallu bien distinguer ce qui rentrait dans l'histoire générale et ce qui appartenait à l'histoire locale. Ce défaut sera peut-être regardé comme un mérite par un bon nombre de lecteurs, toujours reconnaissants de l'abondance des renseignements qu'on leur présente; mais d'autres, plus au courant des derniers travaux historiques, regretteront qu'on ne leur ait pas épargné la peine de chercher eux-mêmes les parties neuves et originales, concernant spécialement la Champagne.

ACH. LE VAVASSEUR.

Documents historiques sur le Tarn-et-Garonne. Diocèses, abbayes, chapitres, commanderies, églises, seigneuries, etc., par FR. MOULENQ. Montauban, imp. Forestié, 1879-1885, 3 vol. in-8 de XLVIII-506, 520 et 514 p. M. Moulenq regrette de ne pas avoir fait une histoire du département de Tarn-et-Garonne ; je crois qu'il a agi sagement en n'entreprenant pas ce travail difficile, si même il est possible. Au point de vue administratif, le département est composé, historiquement, de popu

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