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Banville, il renouvelle ceux de nos poètes du xvI° siècle, non sans un peu de recherche dans le mot. Il est surtout peintre, et on peut lui reprocher certaine froideur. En outre, ses tableaux manquent de ciel: il regarde trop le sol.

15. Les Villageoises, de M. Georges Gourdon, dénoncent plus de sensibilité. Le village, la campagne, les souvenirs du pays natal, les douceurs intimes des affections de famille et des liens d'amitié, l'amour, voilà les thèmes favoris de M. Gourdon, dont le principal mérite est d'avoir, ici, trouvé sa note et de n'en pas sortir. La vie des champs y est représentée par de frais souvenirs des bords de la Charente, des descriptions vécues de la campagne, des scènes bien touchantes et bien simples d'amours rustiques, des épisodes de la moisson et surtout des chansons campagnardes pleines de charme, de sève et de vérité. Les principaux types de paysans, bouvier, moissonneur, vendangeur, oiseleur, y disent chacun leur couplet et leur refrain avec une vérité locale et une émotion naïve. Ayant à interpréter les mœurs, les aspirations des gens de campagne, on sent que l'auteur a voulu fermer les yeux sur les vilains côtés, sur les spectacles lourds ou attristants: obtusion des facultés morales, laideurs de caractères, fascinations ridicules, engouements grossiers, instincts bas et jaloux. Il a compris qu'il valait mieux les dépeindre tels qu'ils se montrent souvent aussi : des êtres capables, dans leur modeste sphère, de bonheur, de dévouement, de générosité, comme d'une certaine élévation intellectuelle. Et c'est avec ces sentiments qu'il a su nous les rendre intéressants et vrais. Les poésies d'amour, dans les Villageoises, sont délicieuses. Un amour chaste et candide raconté, chanté, souvenu, avec un accent simple, honnête, dans une note triste et suave. Point d'exagérations passionnelles, pas de crudités réalistes. C'est le premier amour qui est chanté là, le premier amour qu'on n'oublie jamais et qui survit à la mort de tous les autres. Çà et là passent quelques autres pièces, sur une donnée plus haute; car tout cœur sensible, touie âme élevée est préoccupée par moments des mystères de la vie et de la mort. Parmi les fragments les plus remarquables du livre, il convient de citer plusieurs légendes des pays du Nord ou des temps féodaux. Ces pièces sont originales, bien dans le ton du genre, et d'une mélancolie pénétrante. Elles seraient parfaites, si elles ne manquaient un peu de concision. Elles rappellent celles d'Henri Heine, que l'auteur traduit ou imite souvent. L'expression est pure, sans recherche.

16. Nous restons dans les tranquilles domaines du paysage familier avec l'ouvrage de M. Eugène Le Mouël, où se profile la vieille Bretagne et sa nature agreste, ses bruyères, ses couverts épais, ses chemins creux, ses haies touffues. Là encore se montrent réunis la forme et le fond. La forme est simple, sans apparat; l'auteur se

contente de l'alexandrin et du vers de huit pieds, sans recourir aux rythmes savants ni aux modes compliqués. Il se tient à l'écart des excentricités chères aux écoles nouvelles, et se satisfait lui-même à parler une langue pure et franche comme un écho direct de la voix de la nature. Il chante la mer, la lande, les paisibles hameaux, les tranquilles bonheurs, les vœux faciles et les deuils poignants des pauvres gens de la côte. Les fiançailles, les danses, les fêtes du village, les départs sans retour du pêcheur, les rapides veuvages après les épousées pleines d'espérances. Çà et là on écoute une légende naïve, ou bien résonnent des chansons d'un tour ancien et touchant, et des ballades d'un accent plaintif et mystérieux qui berce et qui trouble. Le style est coloré par des images vraies, dégageant toute la saveur locale. 17. Les Mouettes, de M. Louis Le Lasseur de Ranzay, méritent aussi qu'on les recommande élogieusement. Sentiment, esprit, forme, images, rien n'y manque. Les premières pages seraient des poèmes à dire, à l'exemple des Naufragés, de M. Coppée, et des Pauvres gens, de Hugo. Ce sont, en général, des récits de mer. La narration est bien conduite, le trait final bien amené. Les pièces qui touchent à des questions philosophiques sont empreintes d'une haute spiritualité. La plus grande partie du recueil est composée de petites poésies sur des thèmes d'amour, des sujets de circonstance, des idées venues à propos d'un souvenir ou d'un regret. C'est là que se trouve la vraie note de l'écrivain, et c'est là qu'il excelle. Il enferme son idée, presque toujours émue, parfois spirituelle, rarement banale, dans un sonnet ou plus souvent dans de courtes pièces en petits vers. Ces morceaux sont charmants; ils ont la grâce, une tournure facile et le trait. Il en est qui semblent indiqués d'avance pour les Anthologies. Tel, pour n'en citer qu'un, le délicieux passage qu'on va lire, sous le titre et sur le sujet le plus simple du monde :

Fleur dans un livre.

Dans le livre qui m'est sacré,
J'enfermerai la fleur que j'aime;
A mon chapitre préféré

Je veux la confier moi-même.

Je veux qu'elle aille sommeiller
Sur la page que j'eusse écrite,
Qu'elle ait, en guise d'oreiller,
Ma belle stance favorite.

Si la rose un jour s'effeuillait,
Qu'il me reste au moins son arome;
La fleur ne touche qu'un feuillet,
Le livre tout entier s'embaume.

Ainsi le jour où l'on entend
L'aveu qui jamais ne s'oublie,

Ce n'est qu'une heure, qu'un instant,
La vie entière en est emplie.

Les Mouettes, de M. Le Lasseur de Ranzay, est un des meilleurs recueils poétiques qu'on ait publiés depuis longtemps.

18. Nous sommes en veine de bons livres et de belles choses. C'est le tour de M. Raoul Gineste, qui nous invite à cueillir avec lui le Rameau d'or. Ses poésies sont de toutes sortes. Il en a sur le moyen âge, colorées, imagées, exhalant la saveur des temps passés : histoires de pages amoureux de châtelaines, de pendaisons, de sérénades, racontées sur le ton des légendes. Çà et là circulent de jolis et gracieux rondels. Puis viennent à flots pressés les confidences d'amour. De vrais poèmes d'amour sans exagération réaliste, sans envolées mystiques et nuageuses. Cette partie de l'ouvrage abonde en morceaux exquis.

On le reconnaît aussitôt : cela ne sent pas la besogne d'un aspirant écrivain qui débute par le vers, comme étant une forme mieux appropriée aux sentiments de la jeunesse; c'est l'œuvre d'un vrai poète. Le charme d'une telle poésie ne consiste pas dans un vain tissu de mots à effet, de sonorités indécises et de vagues métaphores ; l'idée ressort à chaque ligne. Espérance, bonheur ou désenchantement, toute manière de sentir y prend un caractère bien personnel; rien n'y est banal. La forme en est parfaite, et l'excellent ouvrier s'y révèle. Il y a entre autres quatre ou cinq poèmes en rimes masculines qui sont maniées de main de maître, avec un art savant et fort expressif. On distingue aussi dans le recueil plusieurs poésies d'un ordre élevé où, sans prétention et sans fracas, l'auteur parle de la vie et de la mort, de l'art, de l'idéal, dans un style ferme et ample.

19. Les Clairières, de M. Germain-Lacour, appellent maintenant notre attention. Ces clairières sont bordées d'arbres dont beaucoup viennent des jardins de M. Sully-Prudhomme et de M. Coppée. Il est à remarquer, d'ailleurs, que, hormis les excentriques de parti-pris: hirsutes, décadents, déliquescents et divers, les jeunes poètes qui n'ont pas à leur début une originalité vraiment exceptionnelle, se rattachent directement à l'un ou à l'autre de ces initiateurs, et quelquefois aux deux. M. Germain-Lacour est un tendre et un délicat. De plus, il est de province et y habite : il a le sentiment de la campagne. Je ne dis pas de la nature, car il a plus de cœur que d'âme ; il est plutôt sentimental que lyrique. L'amour des champs et la tendresse de cœur nous paraissent être les sources habituelles de l'inspiration de M. Germain-Lacour. Elles coulent tantôt ensemble, tantôt séparément. On peut citer dans cette note, et comme les meilleures de ses poésies, Jeunes Filles, Aux Moineaux, et particulièrement A Mi-Côte. C'est là qu'il se révèle le mieux à son avantage. L'aimable poète a tenté, au dehors, des compositions d'assez longue haleine; mais, en pareille matière, il faut une grande puissance pour maintenir jusqu'au bout

l'excitation du lecteur. A priori, M. Germain-Lacour ne devait pas réussir, il n'a pas réussi. Il a essayé de trousser trois ou quatre petites pièces dont l'esprit avait à faire le charme principal. Malheureusement, aujourd'hui, nous avons perdu le vers qui court, le vers qui babille, la langue preste et simple qui dit vite et juste; et le vers lyrique et rutilant de Hugo, de la génération de Victor Hugo, a remplacé la versification et la langue des Villon, Regnier, La Fontaine, Musset. - Il n'a pas réussi là non plus. Il a essayé encore le poème philosophique. Mais il a mal pensé, mal discuté en vers, car c'est mal discuter que d'y discuter. Sa langue y est sèche, mathématique, sans images, sans au-delà. Nous avons marqué la note de M. Germain-Lacour : qu'il s'y tienne, qu'il la cultive. S'il doit donner quelque chose, c'est dans ce sens qu'il excellera.

20. L'Amour en marche, par M. Auguste Audy: voilà bien un livre de début où se trahit, à vue d'œil, dans les tons différents des morceaux, l'influence des lectures diverses et de premières imitations qui ballotent tous les commençants. La forme, du reste, est pure, le vers est franc, bien fait, sonore. On connaît son métier. M. Auguste Audy s'annonce comme un poète érotique. L'amour est son thème favori : un amour très païen, très charnel et très... superficiel. Cette passion dévorante n'entame que la surface. On voit là beaucoup de lèvres purpurines, de seins neigeux, etc. Quand il veut partir pour l'au-delà, on sent que l'auteur, comme on dit dans l'argot littéraire,« se bat les flancs. » Par moments, sur les pas de Baudelaire, qu'il imite en quelques endroits, il cherche le macabre et le satanique dans l'amour. C'est une âme jeune, enthousiaste de poésie. Nous remarquons avec plaisir que M. Auguste Audy n'a que rarement versé dans ces exagérations de paroles et d'images, si fort en usage aujourd'hui, où la brutalité singe la force, et l'étrangeté la profondeur. Il y a là un essai de poème: Jean Mor. Traité de façon concise, il aurait pu intéresser; mais il est plein de longueurs. La préface de M. Armand Silvestre n'implique donc pas l'excellence du volume. Tenu peut-être amicalement d'écrire cette préface, il s'en tire en parlant plus des grands poètes et de la poésie que de l'auteur même qu'il présente au public. Cependant, il cite certains vers de son protégé, qui sont vraiment beaux; il les a parfaitement choisis : ce sont les seuls ou à peu près.

21. Puisque nous sommes dans la compagnie des « jeunes, » disons un mot des Poèmes sincères de M. Martial Besson. On y chante la nature, l'amour, l'humilité, le travail, le devoir. La forme est simple, sans prétention aucune. Le vers est correct en général, sans annoncer pourtant l'habile artisan de la rime sachant à fond son métier. Il n'y a rien à reprendre, rien à signaler non plus, ni du côté de la perfection ni du côté de l'imperfection. Pas de grands élans, pas de grandes

beautés, mais peu de faiblesses. En somme, une inspiration honnête et délicate, qui touche et élève.

22. Les Poésies de M. Boulé nous maintiennent au même niveau de température modérée. Avec raison nous prévient-il dans sa préface qu'il n'est qu'un amateur, un simple dilettante. En effet, son livre ne décèle pas un tempérament, une façon de sentir et d'exprimer ayant le signe génial, la marque distinctive et bien accusée. Encore les vers de M. Louis Boulé, amateur, valent-ils certainement les trois quarts de ceux des prétendus poètes de droit divin qui font la fortune de M. Lemerre. M. Boulé, dis-je, est un élégiaque. Son inspiration est tendre, légèrement voilée de mélancolie. Il aime la nature, mais la nature idyllique, un peu pâle, au bord des sources, sous les bois ombreux. Il y a dans ce volume des choses douces et jolies, des poésies délicates et charmantes, mais rien de fort ni de saisissant.

23. Aussi quel brusque sursaut pour l'imagination, quand on passe sans intermédiaire de cette note si calme, si apaisée, aux turbulences farouches des Poèmes à tous crins, par M. Tancrède Martel! Mais comme, une fois remis de la secousse, l'esprit s'en accommode! M. Tancrède Martel est un poète de race, un fier tailleur de rimes et de strophes. Une forme serrée et savoureuse enferme ses rythmes curieux, ses ballades, ses innombrables ballades, maniées supérieurement. Il reconnaît Banville pour son maître et se réclame aussi de Rutebeuf, de Villon, de Pierre Gringoire, dont ses vers respirent la parfaite bonne humeur et la joviale santé. L'influence de Richepin, qu'il admire et qu'il étudie, se fait sentir dans son œuvre; mais il se tient en garde contre les grossièretés systématiques du poète de la Chanson des Gueux, et se contente de la singularité ou de la truculence du mot. De temps à autre, il prend plaisir à tirer dans les jambes du bourgeois, le « philistin» des anciens jours, pour lequel il professe une haine romantique. Comme Aloysius Bertrand, auquel il dédie rétrospectivement son volume, il est fanatique du inoyen âge, et il y puise la matière de ballades très pittoresques; comme l'auteur trop méconnu de Gaspard de la nuit, il se complaît à ranimer mille amusants détails des vieilles villes mortes. C'est avec un art infini, par exemple, qu'il a ciselé sa ballade en l'honneur de Chinon. Les autres pièces roulent sur des modernités, Paris, la rue, la province, ou bien sont à l'adresse d'un écrivain, d'un artiste actuel, ami, compagnon ou maître de l'auteur, et choisi parmi les plus originaux. Ce sont également des excentriques de la plume qu'il a pris pour types ou modèles d'une suite de sonnetsportraits bien particuliers et fort amusants. Tancrède Martel est un membre du Cénacle ressuscité. Son livre en tire un aspect de bizarrerie un peu intentionnelle, qui surprend et qui plait. Beaucoup de ses

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