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PAUL BOURGET

ÉTUDES ET PORTRAITS.

M. Paul Bourget vient de publier deux volumes d'Etudes et portraits, avec ces sous-titres : Portraits d'écrivains, Notes d'esthétique, Etudes anglaises, Fantaisies.

Sur Bourget critique, il me faudrait un trop grand effort pour ajouter quelque chose à ce que j'ai dit ici 'même. (1) Mais j'ai relu avec un plaisir profond les notes sur l'île de Wight, sur l'Irlande et l'Écosse, sur les lacs anglais, sur Oxford et sur Londres. C'est à la fois substantiel et charmant; M. Paul Bourget fait comprendre et il fait sentir. Il a l'esprit d'un philosophe et d'un rêveur. Tout détail extérieur lui est un signe d'une kyrielle de choses cachées. Il va aux idées générales avec aisance et allégresse, ainsi que a chèvre au cytise. Mais comme, dans ce mouve

(1) Cf. Les Contemporains. III.

ment d'habitude qui le fait remonter continuellement d'un groupe de faits à un autre groupe, il arrive en un rien de temps au fin fond des choses et à des questions comme celle-ci: L'univers existe-t-il en dehors de nous ? » ou bien : « Pourquoi cet univers et non pas un autre ?», il s'ensuit que sa philosophie aboutit volontiers au songe. Cela est peutêtre inévitable. Quand on a bien raisonné sur les accidents, qu'on a essayé de les rattacher à leurs causes et de parcourir toute la série des phénomènes en les faisant rentrer les uns dans les autres, il se trouve qu'il y a enore plus de mystère et d'inconnu dans la conception générale à laquelle on arrive que dans l'humble sensation de laquelle on était parti; et ainsi la rêverie est à la fin de la cɔntemplation de ce monde, comme elle était au commencement. Et c'est pourquoi les philosophes sont si souvent les vrais poètes.

Résumer les impressions de M. Paul Bourget, ce. serait trop long. Les vérifier, cela m'est tout à fait impossible. Je ne sais pas l'anglais, et je ne suis jamais allé en Angleterre. Je n'ai que des impressions sur des impressions. Je les dirai néanmoins. Il me semble que je puis ici parler de moi-même sans manquer à la modestie, puisque mon cas est évidemment celui du plus grand nombre de mes chers concitoyens.

Mais au fait, d'ignorer complètement la langue de Shakespeare et de n'avoir jamais passé le détroit,

est-ce bien une raison pour ne point connaître l'Angleterre ? J'ai lu dans des traductions un peu

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de leur littérature de tous les temps, de Chaucer à George Elliot. J'ai connu quelques Anglais; j'en ai vu en voyage, où ils se conduisent en << hommes libres » qui usent de tous leurs droits et où leurs façons manquent un peu de grâce et de moelleux. J'ai lu les Notes sur l'Angleterre de M. Taine, les livres de M. Philippe Daryl, enfin les Etudes anglaises de M. Paul Bourget. Je sais donc quelles images de l'Angleterre se sont imprimées dans des intelligences plus puissantes que la mienne, mais, après tout, de même race et de même culture. Que m'apprendrait de plus, je vous prie, un voyage ou même un séjour à Londres ou au bord des lacs d'Écosse! Ce qui pourrait m'arriver de mieux, ce serait justement de voir ce pays comme M. Daryl, M. Bourget et M. Taine. Je n'ai donc nul besoin d'y aller. Croyez que je vous parle très sérieusement.

La voici en quelques lignes, mon Angleterre.

Axiome essentiel, tout gonflé d'innombrables conséquences: Tout ce qui se fait en Angleterre est, d'une façon générale, exactement le contraire de ce qui se fait en France. Notez que cela creuse un plus vaste abime entre les Anglais et nous qu'entre nous et, par exemple, la Chine; car la Chine, c'est seulement autre chose.

Principaux signes caractéristiques: race sanguine, rosbif, gin, thé, orgueil insulaire, sport, canotage,

lawn-tennis, la plus puissante aristocratie du monde, keepstakes, home, parlementarisme, loyalisme, politique féroce, respect du passé, esthètes, sentiment religieux, bible, armée du salut, dimanche anglais, hypocrisie anglaise, etc.;

Pays des antithèses. Antithèses étranges et profondes, plus profondes qu'ailleurs, ou plus sensibles, ou plus souvent rencontrées :

Entre le soleil et la pluie ou le brouillard, entre les paysages de gares, de docks, d'usines et de mines et les paysages de bois, de lacs et de pâturages;

Entre le passé et le présent, qui partout se côtoient, dans les institutions, dans les mœurs, dans les édifices;

Entre la richesse formidable et l'épouvantable misère;

Entre le sentiment inné du respect et l'attachement inné à la liberté individuelle ;

Entre la beauté des jeunes filles et la laideur des vieilles femmes ;

Entre l'austérité puritaine et la brutalité des tempéraments;

Entre le don du rêve et le sens pratique, l'âpreté au travail et au gain;

Entre les masques et les visages, etc.

Pays des bars, des cars, des outsiders-coachs et des bow-windows. (Rien comme chez nous, vous dis-je !) Pays où la rencontre d'une jeune fille des rues fait déborder du cœur corrompu d'un Parisien des effusions

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