Imágenes de páginas
PDF
EPUB

dominer la société de capitaux pour les entreprises considérables.

129. Quoi qu'il en soit, on ne peut douter que la vue d'un bénéfice à partager ne soit essentielle sous l'empire du code civil (1): l'article 1832 le porte expressément. Mais il ne faut pas exagérer la portée de cette expression (2); les précédents nous montrent sous l'empire de quelles idées le législateur écrivait en 1804, époque peu féconde en entreprises. On s'en aperçoit assez en comparant le développement, donné aux sociétés civiles par les articles 1832 et suivants, rapproché du laconisme dans lequel se renferme le code de commerce au sujet des sociétés appelées depuis à jouer le rôle le plus important. Entre le résultat » du droit romain et le mot

[ocr errors]

béné

fice pris dans un sens étroit, il y a toute une série d'affaires civiles ou commerciales qui peuvent trouver place. Et qu'on ne s'y trompe pas, la société étant le ressort unique et nécessaire, non seulement des vastes entreprises, mais de toutes celles qui excèdent les forces souvent fort limitées d'un seul, on trouve à chaque pas, dans les affaires, cette redoutable question : Ce que nous avons fait est-il valable ou nul? D'ailleurs des commerçants ou d'autres personnes peu familiarisées avec la jurisprudence peuvent se trouver engagés dans un contrat de société sans le savoir, comme je l'ai indiqué, suprà, no 57. Des commerçants qui intentionnellement font un contrat verbal ou écrit dans l'intention de mettre quelque chose en commun, en vue d'un bénéfice à partager, se trouvent constituer une société, alors même qu'ils pensent que la loi donne à leurs engagements une autre dénomination. L'intention n'est

(1) Cass. Fr., 27 juillet 1880 (D. P., 1881, 1, 165).

(2) ARNTZ, t. II, no 1257.

requise que pour les éléments constitutifs du contrat; et alors la loi trace elle-même les conséquences logiques auxquelles souvent on ne peut se soustraire.

Il y a eu, dans un grand nombre d'affaires soumises aux tribunaux, liquidation forcée, soit parce que le caractère de société n'a pas été reconnu, soit parce que la société n'a pu se faire reconnaître comme commerciale (1). Il faut donc raisonner et agir avec une extrême prudence; on ne peut rejeter dans l'abîme des contrats innomés ou des communautés stériles, des opérations qui peuvent rendre des services aux particuliers laborieux et au pays toujours intéressé au développement de l'activité industrielle.

130. Un jurisconsulte, dont l'opinion fait autorité et que nous avons eu l'occasion d'appeler à notre secours contre de nombreux et puissants adversaires, nous paraît avoir méconnu ici le côté pratique de la question (2). Suivant cet éminent jurisconsulte, le bénéfice dont la loi entend parler est un bénéfice pécuniaire ou un gain matériel, quelque chose enfin qui ajoute à la fortune des associés.. Les conséquences de ce principe seraient incalculables; ce qu'elles peuvent amener de désastres dans le monde des affaires, d'inquiétude permanente et d'irréparables ruines nous engage à ne laisser aucun argument sans examen. L'expérience ne justifiera que trop notre sollicitude.

131. Le législateur, sans adopter complètement l'idée large et généreuse du droit romain, ordinairement plus strict dans ses exigences, nous paraît avoir conservé cependant à la société ce caractère que nous considérons

(1) Voy. infrà, Commentaire de l'article 4.

(2) PONT, no 69.

comme essentiel, comme imposé par la nature même des choses. Je dis la nature des choses, parce que le contrat de société a pour but de permettre aux hommes de faire avec le concours de leurs semblables ce qu'ils ne pourraient faire seuls; de s'unir pour des opérations de tout genre, pour le commerce, l'industrie, la vente, l'échange, le louage, en un mot, pour tous les contrats qui peuvent comprendre l'idée du concours de plusieurs. Nulle part nous ne voyons, dans les travaux du conseil d'État, une tendance à donner au mot bénéfice le sens restreint de gain matériel ou d'avantage pécuniaire. Au contraire, on insiste fort peu sur ce mot, qui est à peine mentionné. Mais, en revanche, on insiste sur l'étendue du contrat de société et sur la liberté laissée aux parties, enchaînée seulement par les règles nécessaires, les règles constitutives de toute société :

Le consentement;

Une chose mise en commun;
Un bénéfice à partager.

132. Écoutons Treilhard dans l'exposé des motifs (1). Après avoir rappelé que la volonté seule peut constituer la société, il ajoute :

<< Les autres contrats ont des engagements bornés et réglés par leur nature particulière; mais le contrat de société a une étendue bien plus vaste, puisqu'il peut embrasser dans son objet tous les engagements et toutes les conventions.

<< Tout ce qui est licite est de son domaine; il ne trouve de limites que dans une prohibition expresse de la loi... Les parties sont libres d'insérer dans leurs traités toutes

(1) LoCRÉ, Législ., t. VII, p. 241 (II, IV, 2).

les clauses qu'elles jugent convenables; rien de ce qui est honnête et permis ne doit être exclu. »

133. L'orateur du Tribunat rappelle les deux premières conditions et dit, quant à la troisième :

[ocr errors]

Enfin, l'espoir de partager le bénéfice que la chose commune pourra produire est la vue intentionnelle qui dirige ce contrat.

66

Ainsi il ne faut pas non plus y comprendre plusieurs sortes de communautés qui ont un autre objet plus direct. "

Comment supposer qu'un revirement complet se soit opéré dans une législation sans que cette manière de circonscrire le bénéfice soit accusée nulle part?

134. Pothier, de son côté, d'autant meilleur interprète du code (1) que le législateur, tout en modifiant et améliorant certaines parties, notamment la définition de la société (art. 1832), lui a beaucoup emprunté (2), parle du bénéfice en jurisconsulte qui demande des lumières au droit romain; c'est toujours au Digeste qu'il emprunte ses exemples. Il est, dit cet auteur, de l'essence du contrat de société que les parties se proposent, par le contrat, de faire un gain ou profit dans lequel chacune des parties contractantes puisse espérer d'avoir part, à raison de ce qu'elle a apporté à la société. » Puis notre auteur insiste, comme les orateurs que nous venons de citer, sur la nécessité de maintenir l'équité dans la répartition des bénéfices; mais ce gain ou profit, qui nous autorise à dire qu'il doive nécessairement être pécuniaire? Ne suffit-il pas qu'il soit appréciable en argent?

(1) POTHIER, Société, no 12, 3o.

(2) Par exemple, le n° 14, 4o, reproduit textuellement par TREILHARD et GILLET (Locré, Législ., loc. cit.).

135. Sans doute un intérêt purement moral ne constitue pas un bénéfice. Des associations religieuses ayant pour but la vie contemplative ne peuvent prétendre au titre et aux effets civils de la société. Sans doute il peut y avoir contrat, mise en commun d'une certaine chose, en vue d'obtenir un avantage que les contractants placent beaucoup au-dessus des intérêts pécuniaires les plus considérables; mais on ne peut pas dire qu'ils se soient associés en vue de réaliser un bénéfice. Ainsi la jurisprudence française a refusé toute validité à une communauté religieuse non autorisée. Toutefois elle ne refuse pas toute efficacité à ce contrat bien que chaque membre de la communauté puisse, à son gré, reprendre sa liberté et réclamer les effets mobiliers qu'il a placés dans la prétendue société, celle-ci étant incapable de posséder, d'acquérir ou de recevoir des libéralités sous quelque forme que ce soit, cependant celui qui réclame ainsi ses droits ne peut se refuser à souffrir la réduction de son apport du chef des pertes et des charges supportées par la communauté pendant qu'il en faisait partie (1).

136. De même un simple intérêt d'agrément ne satisferait pas mieux au vou de l'article 1832; comme, par exemple, le désir de dîner en commun (2), le désir de se livrer en commun au plaisir de la musique ou d'encourager les lettres.

Un cercle formé à Marseille, appelé la Société philhar

(1) LAURENT, t. XXVI, nos 197 et 198. Cass. Fr., 30 décembre 1857; Paris, 8 mars 1858, affaire de Guerry (D. P., 1858, 1, 21; 1858, 2, 49). Cpr. Gand, 13 mars 1848; tribunal de Bruxelles, 29 mars 1871 (Belg. jud., 1848, p. 1214; 1871, p. 566).

(2) CHAMPIONNIÈRE et RIGAUD, Traité des droits d'enregistrement, no 2772; MASSÉ et VERGÉ sur ZACHARIÆ, § 713; TROPLONG, no 12; LAURENT, t. XXVI, n° 187.

« AnteriorContinuar »