Imágenes de páginas
PDF
EPUB

qui conteste ces principes (1); il soutient que les compagnies d'assurances mutuelles sont des sociétés proprement dites; mais il lui faut pour cela modifier les termes de l'article 1832 du code civil. Le but des associés serait, d'après cet auteur, d'acquérir des droits en commun; tout droit est un bénéfice; spécialement en ce qui concerne les mutualités, le droit d'être indemnisé en cas de sinistre est pour tout associé un bénéfice.

« Cette théorie peut conduire très loin, elle s'applique à bien d'autres associations que les mutualités; s'il fallait entendre l'article 1832 de cette façon, il n'y a pas d'association d'agrément ou de charité, scientifique ou religieuse, qui ne puisse revendiquer l'application des principes du code civil en matière de société. Dans chacune de ces associations, en effet, les contractants ont pour but d'acquérir et d'exercer des droits en commun, depuis celui de tirer à une cible commune jusqu'à celui de pratiquer la vie conventuelle.

On le voit, la définition d'Arntz tend à renverser les enseignements de toute la doctrine et une jurisprudence qui, notamment en Belgique, s'est prononcée, sans réserve ni exception, pour l'application de l'article 1832 du code civil, d'après son texte, qu'il n'y a lieu ni de corriger, ni même d'interpréter, puisqu'il est clair autant que formel (2)...

"

141. Nous avions donc fidèlement résumé la doctrine que nous combattons: il n'y a pas société parce qu'il n'y a pas bénéfice; il y a seulement une diminution de perte. Tout réside donc dans la question de savoir ce que

(1) ARNTZ, Cours de droit civil; Société, no 1257.

(2) Réquisitoire de M. l'avocat général Van Berchem (Belg. jud., 1872, p. 529).

signifie bénéfice. Est-il vrai que la solution donnée par Arntz tende à effacer ce mot de l'article 1832?

Le Dictionnaire de l'Académie définit ce mot: « gain, profit; exemple: tout a tourné à son bénéfice. - Bénéfice signifie aussi privilége, avantage, faculté accordée par la loi ou par le prince.

"

Voilà, me paraît-il, ce que tout homme comprendra, de prime abord, quand on lui dira qu'il y a un bénéfice à partager. Deux personnes se réunissent, mettent de l'argent en commun pour obtenir un bénéfice : qui done croira qu'il ne puisse être question que d'un dividende à partager en argent?

Revenons à l'interprétation de Troplong, la seule logique, la seule pratique, la seule que les auteurs du code aient eue en vue, c'est-à-dire un avantage que l'on peut évaluer en argent. On paye une servitude de jour; on paye des transports par terre et par eau; tout contrat qui aura pour but de mettre quelque chose en commun pour atteindre ce résultat sera un contrat de société.

Cette définition sur laquelle nous avons, à dessein, beaucoup insisté plus haut, ne peut s'appliquer aux sociétés d'agrément on ne peut dire que le plaisir de tirer à l'arc avec ses amis ou de les retrouver le soir à une partie de billard soit une chose dans le commerce, une chose que l'on achète à prix d'argent, comme les servitudes et les transports par terre et par eau. C'est là que se trouve la ligne de démarcation en deçà de laquelle M. Pont est resté, au delà de laquelle les Romains allaient sans scrupule et, il faut bien le dire, sans danger.

Cependant nous comptons Troplong parmi nos adversaires, nous ne pouvons le dissimuler, et adversaire d'autant plus redoutable qu'il est l'ennemi persévérant des interprétations étroites.

Mais allons au fond des choses. Laissons l'écorce des mots, pour voir la réalité des faits. Je suis assuré; au lieu de m'adresser à une compagnie qui, moyennant une prime, répond de tout sinistre éventuel, je m'adresse à une compagnie d'assurances mutuelles. Celle-ci me donne les mêmes avantages; elle me payera la même somme en cas de malheur; je serai indemnisé par l'une comme par l'autre, au même titre, de la même manière, par la même somme d'argent; et cette obligation de la compagnie a, de part et d'autre, la même cause : le payement de ma contribution qu'on appellera prime ou tout autrement si l'on veut. Il est bien vrai que les sommes que je paye servent, dans la mutualité, à payer les sinistres; elles y servent directement; tandis que, dans l'autre système, elles n'y servent qu'indirectement en passant par la caisse de l'entrepreneur d'assurances, qui peut réaliser des gains ou subir des pertes suivant l'événement. Voilà toute la différence.

Mais, dans tous les cas, je suis assuré.

Dans tous les cas, j'ai droit à l'indemnité en cas de sinistre.

Ce droit, je l'ai en vertu d'un contrat.

Je l'ai payé.

Comme je l'aurais payé à un entrepreneur d'assurances. Et quand j'ai payé, pendant nombre d'années, cette prime fixe ou variable et que j'ai dans mon coffre-fort toutes mes quittances précieusement conservées; après avoir ainsi payé cent francs, deux cents francs, j'entendrai dire que l'avantage ainsi acheté et payé n'est pas appréciable en argent! Je l'ai payé cent francs; il vaut cent francs si les calculs sont justes; il vaudra plus ou moins, mais il vaut de l'argent.

Les mutualistes auront en commun le bénéfice que les

compagnies à primes auraient partagé entre leurs actionnaires.

Et l'avantage de partager ce bénéfice, par une répartition périodique ou en payant moins, ne constitue pas un bénéfice? Ce ne sera pas un avantage comme celui de la promenade ou de l'usage d'une voiture, deux avantages considérés, par Pothier, par Troplong, comme bénéfice (1)? Mais la définition de Pont lui-même s'appliquerait ici, bien que nous le comptions au nombre de nos adversaires (2):

Un bénéfice pécuniaire ou un gain matériel, quelque chose enfin qui ajoute à la fortune des associés. »

Il me semble que le propriétaire de nombreuses maisons qui reçoit un jour la nouvelle que tous ses immeubles sont assurés croira bien que cette assurance ajoute à sa fortune. Et si la prime qu'il paye pour obtenir éventuellement des centaines de mille francs d'indemnité a été payée moins cher à une mutualité qu'à une autre compagnie, il aura fait une excellente affaire. Cet avantage enfin, tous les mutualistes en jouissent en commun, en même temps, de la même manière, chacun en proportion des sacrifices qu'il a faits.

Mais, dit-on, l'assuré ne peut pas faire de bénéfice, puisque l'assureur ne peut donner qu'une compensation exacte du dommage causé : la loi l'exige impérieusement, non moins que la morale. L'argument est séduisant au premier abord; mais il ne faut pas le creuser beaucoup pour s'apercevoir que l'axiome invoqué n'a pas la portée qu'on lui donne. Sans doute l'assuré ne peut bénéficier sur son indemnité, c'est-à-dire qu'il ne peut recevoir plus qu'il n'a perdu par le sinistre ce serait une immorale

(1) Suprà, no 138.

(2) PONT, no 69.

:

spéculation. Il en est de même de l'assuré mutuel il ne recevra pour son sinistre que le montant exact du dommage, personne ne le conteste. Mais le bénéfice, l'avantage, le lucre, la spéculation qu'il a faite et qui lui réussira si la compagnie est bien organisée et si les frais d'administration n'absorbent pas trop d'argent, c'est d'avoir une assurance à bon marché. Il s'est associé pour cela, c'est pour cela qu'il a fait un contrat et qu'il met tous les ans une somme en commun.

Arntz va peut-être un peu loin en parlant de l'acquisition d'un droit; mais nous arrivons au même but en appelant bénéfice tout résultat appréciable en argent. A cet estimable auteur nous ajouterons Zachariæ, que l'on invoque souvent en sens contraire, à cause de la note d'Aubry et Rau, au § 176, p. 23, note 8 (t. II), dans laquelle ces honorables auteurs reproduisent l'argument dont nous avons parlé à savoir que les associés s'engagent à supporter leur contingent des sinistres que pourront éprouver les autres, mais ne peuvent entrevoir ni l'espoir ni la possibilité d'un bénéfice. Mais nous trouvons, dans le même ouvrage, page 28, la proposition suivante : « A la différence des sociétés commerciales proprement dites, les sociétés civiles ne constituent pas des personnes morales. » Puis, à la note 9: "Arg. à contr., article 529 du code civil, article 69, no 6, du code de procédure, articles 20, 23 et 30 du code de commerce. Le mot Société, appliqué aux sociétés civiles, ne désigne que la collection des intérêts communs et non un être moral distinct de la personne des associés. Le principe énoncé dans le texte ne s'applique pas aux associations civiles constituées en sociétés anonymes, par exemple, aux sociétés d'assurances mutuelles sur l'incendie. Ces sociétés forment de véritables personnes morales. >>

« AnteriorContinuar »